Le thème de la mer recouvre un champ extrêmement vaste que les artistes ont représenté dès l'Antiquité à travers le paysage, la faune marine et son imaginaire ...
A côté des établissements qui viennent compléter les jardins zoologiques des capitales européennes - Londres en 1853, puis Vienne, Paris, Hambourg, Berlin, Copenhague, Amsterdam ...- on voit éclore, égrenées au long des côtes, des stations scientifiques souvent en lien avec des universités, à partir desquelles se développent de nouvelles discipline, la biologie marine et l'océanographie.
Après le marinarium créé à Concarneau par le Collège de France (1859), naissent les stations marines de Roscoff, de Wimereux, de Banyuls, de Tatihou, d'Arcachon, de Marseille, de la Seyne-sur-Mer, du Portel ...
Le rapprochement esthétique entre Jean-Francis Auburtin et Mathurin Méheut, deux artistes amoureux de la mer, ne s’imposait pas d’emblée. En effet, ce qu’un regard rapide retient de l’art de ces deux peintres semble appartenir à des univers maritimes très distincts : le paradis des nymphes chez Jean Francis Aubertin, le « symbolisme de la mer », le monde des gens de mer chez Mathurin Méheut. Ces traits essentiels de leurs expressions sont cependant limitatifs et, l’un et l’autre ont exploré d’autres facettes des côtes de la Manche, de l’Atlantique et de la Méditerranée. De plus, ils se sont parfois inspirés des mêmes lieux ; Roscoff, Ploumanac’h, Etretat.
A partir de 1878, année où le pavillon japonais connaît un grand succès lors de l’Exposition universelle qui se tient à Paris, la vague japonisante a déferlé en France ; les surprenantes estampes d’Utamaro, Horoshige et Hokusai ont passionné les artistes dont certains ont été de fervents collectionneurs, tels Claude Monet, Vincent Van Gogh, Auguste Rodin, Henri Rivière, les frères Goncourt. Beaucoup y ont puisé des cadrages originaux, des points de vue en plongée, des formes nettement définies, des couleurs franches, l’usage d’un monogramme… Ils ont découvert l’art de l’estampe, ainsi que les kakémonos, les netsukés, accessoires vestimentaires sculptés en ronde-bosse, présents dans les collections d’Auburtin et de Rivière.
Mais c’est dans son œuvre de décorateur pour des édifices privés ou publics que Méheut va utiliser avec le plus d’assiduité les ressources de la faune et de la flore marines qu’il a si longuement et si minutieusement étudiées. Ainsi, pour les restaurants Prunier de Paris et de Londres, il conçoit non seulement le service de table et les illustrations des menus ou du livre de recettes de cuisine, mais il réalise également un décor de salle à manger. Le panneau Faune des mers (1931) aujourd’hui conservé au musée des Beaux-Arts de Brest, réunit dans un sombré décor de laminaires des espèces familières des côtes de la Manche, moule, ormeaux, étoiles de mer, anémones…..
Le séjour de Mathurin Méheut à Roscoff, de 1910 à 1912, est ainsi placé sous un double patronage, artistique et scientifique. D’une part celui de la revue Art et Décoration et de ses animateurs, Eugène Grasset et Maurice Pillard-Verneuil. D’autre part celui du professeur Yves Delage, qui dirige la station biologique De ces deux années de vie sur la côte finistérienne et de la fréquentation quotidienne des chercheurs qui étudient les écosystèmes côtiers vont résulter plus d’un millier de croquis, de dessins, d’aquarelles et de gouaches dont la majorité est consacrée aux richesses marines.
Après la coupure de cinq années que constitue pour Mathurin Méheut combattant sa mobilisation, les dessins qu’il a accumulés au bord des océans vont constituer la matière première d’une intense production dans différents domaines des arts décoratifs : céramique, illustration architecture, et bien sûr, décors peints. En céramique, les composantes végétales et animales de table édités à partir de 1920 par la manufacture Henriot de Quimper, puis quelques années plus tard par Villeroy & Boch à Mettlach, et par les faïenceries de Sarreguemines pour les restaurants Prunier.
Il faut attendre la veille de la Seconde Guerre mondiale pour que la Manufacture nationale des Gobelins passe commande à Méheut de la seule et unique tapisserie à sujet marin de son histoire pluri-centenaire. L’artiste consacre plusieurs mois du printemps 1939 à la peinture de son carton, aux dimensions réelles, sur une toile de 3.5 à 6 mètres, mais en raison de la guerre, cette tenture murale sera tissée à Aubusson et achevée en 1947.
Très rares dans notre histoire de l’art sont les œuvres prenant pour sujet la mer et résultant de commandes publiques, en dehors des travaux effectués par les peintres officiels de la Marine à la demande de leur autorité de tutelle.
(Jean-Francis Auburtin)
Admirateur de Puvis de Chavannes, il vient à la mer par le biais de commande d’un décor.