Il n'y avait plus maintenant qu'à préparer la viande, pour témoigner à la bête notre vénération. L'accommoder avec soin, c'était manifester le respect éprouvé pour l'animal auquel on venait de ravir le jour. Ainsi était sauve la vie, car si l'on admettait qu'elle fût un mouvement et la chasse un désir, les égards prodigués à la dépouille étaient source de vie éternelle.
Les vagues de la discussion montaient et redescendaient, selon que nous ravivions les flammes de la cheminée en y jetant de nouvelles bûches. Nos visages se mettaient à l'unisson l'un de l'autre, et la lueur du feu douait de contours plus vifs objets et phénomènes. Le sentiment d'harmonie que nous éprouvions naissait du désir inconscient de s'adapter à autrui. Il n'avait rien à voir avec la volonté de s'anéantir soi-même, mais tirait son origine du besoin passionné de se fondre en un tout. Et d'un autre côté nous nous trouvions requis par l'individuel. En cela nous étions d'étranges créatures, qui préféraient la vue qu'on a de la montagne à celle que présente le rivage. La nature n'avait pas daigné nous offrir des ailes, mais nous avait dotés de serres, dont nous avions bientôt appris à nous servir. Nous étions en état d'imiter le vol de l'oiseau, quand nos regards planaient sur les étendues qui s'ouvraient au pied de la montagne. En même temps nous avions la nostalgie des échos qui s'éveillent entre amis, lorsque le singulier cède le pas au pluriel. Immergés dans le collectif nous nous trouvions privés de la faculté d'agir, mais l'échange repoussait les bornes du domaine privé jusqu'à nous permettre de saisir comme une éclaboussure de la totalité. Cependant, c'était seulement après nous être de nouveau retirés dans nos coquilles que nous pouvions engranger nos découvertes et poursuivre.