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Citation de LeslecturesdeLily


Prologue
Shy est seul sur le pont Lune de Miel avec, en bandoulière, une glacière remplie de bouteilles d’eau fraîche.
Il attend.
C’est le sixième jour de son premier voyage à bord du bateau de croisière de la Compagnie Paradis au sein de laquelle il a décroché un job d’été : garçon de piscine le jour, et porteur d’eau la nuit. Un boulot peu reluisant, mais très bien payé. Suffisamment pour faire une réelle différence. Il calcule une fois de plus combien il aura gagné avant de reprendre les cours. Trois fois huit jours, plus les pourboires, moins les taxes. Assez pour aider sa mère, et en plus s’acheter des fringues ainsi qu’une paire de pompes. Peut-être lui restera-t-il même de quoi inviter une fille au restaurant.
Le jeune homme marche jusqu’au bastingage en imaginant le rendez-vous.
Une réservation dans un établissement chic. Avec des serviettes en tissu. Une jolie fille assise en face de lui dans un décor luxueux. Jessica, de l’équipe de volley-ball. Ou Maria, qui habite dans sa rue. Il offrira son plus beau sourire à l’heureuse élue, tandis qu’elle le regardera par-dessus son menu.
— Choisis ce que tu veux, dira-t-il. Quoi, tu n’as jamais goûté un terre et mer ? Vas-y, c’est moi qui invite.
La classe.
Quand le ciel est couvert la nuit, la lune n’est plus qu’une vague tache aux contours flous surplombant l’océan d’un noir d’encre. C’est à peine si on distingue où se termine l’air et où commence l’eau ; en revanche, on entend les clapotements réguliers contre la coque.
Encore une chose à laquelle Shy n’avait jamais songé avant de s’embarquer pour cette croisière de luxe. L’océan parle. Surtout la nuit. Des voix qui murmurent à ton oreille et jamais ne se taisent, pas même quand tu dors.
À tel point que tu as parfois l’impression de perdre la tête.
L’attention du jeune homme est attirée par un passager quittant le Grand Salon. Le temps que les épaisses portes en verre s’ouvrent et se referment, quelques notes de musique s’échappent sur le pont. À l’intérieur, une soirée dansante bat son plein : le traditionnel bal du Phare. Avec un véritable orchestre, des harpes, des violons et tout le tralala. Des centaines de riches sur leur trente et un bavardent en sirotant du champagne. Pour l’heure, le travail de Shy consiste à offrir de l’eau à toute personne sortant prendre l’air.
Comme ce type d’âge mûr, dégarni et habillé d’un costume deux fois trop petit pour lui.
Shy s’avance rapidement à sa rencontre et demande :
— Désirez-vous de l’eau fraîche, monsieur ?
Le passager contemple quelques secondes la bouteille parsemée de gouttelettes glacées d’un air hagard. Puis un sourire éclaire son visage. Il extirpe de son portefeuille un billet plié qu’il tend à Shy entre deux doigts blancs et boudinés aux veines apparentes.
— Désolé, monsieur. Il nous est interdit de…
Mais il n’a pas l’occasion de finir sa phrase.
— Ah bon ? Allez, prends-le, gamin.
Après une courte pause, pour la forme, Shy s’empare de l’argent et le range au fond de sa poche. Comme chaque fois.
L’homme débouche la bouteille, boit une longue gorgée et s’essuie la bouche d’un revers de manche.
— J’ai consacré ma vie à faire ce qu’il fallait pour en arriver là, dit-il, les yeux dans le vide. Je suis l’un des meilleurs scientifiques dans mon domaine. Cofondateur de ma propre entreprise. (Il se tourne vers Shy.) Assez riche pour acheter des maisons de vacances dans trois pays différents.
— Félicitations, monsieur…
— Arrête ça !
Shy le dévisage, perplexe.
— Arrêter quoi ?
— De me passer de la pommade. (Il secoue la tête en affichant une moue dégoûtée.) Dis-moi plutôt quelque chose de vrai. Que je suis gros, par exemple.
Confus, le garçon porte son regard sur l’océan.
Sûr, ce type est gros, mais si Shy a tiré une leçon de ses premiers jours de boulot, c’est que les passagers d’une croisière de luxe n’ont que faire de la vérité. Ils veulent qu’on les brosse dans le sens du poil. « Pâme-toi devant eux, et ramasse l’argent. » Telle est la devise de Rodney, son compagnon de cabine. Toutefois, ce gars-là semble différent.
L’homme pousse un profond soupir.
— D’où viens-tu, gamin ?
— San Diego.
— Tiens donc, de quel côté ?
Shy change la glacière d’épaule.
— Otay Mesa. C’est un tout petit village. Je doute que vous en ayez entendu parler, monsieur.
Son interlocuteur laisse échapper un rire amer.
— Et tu me félicites ? (Il secoue la tête, une fois de plus.) Quelle ironie.
— Pardon ?
Il agite la main en direction de Shy et rebouche sa bouteille.
— Je connais bien Otay Mesa. C’est un peu plus bas, sur la côte.
Shy acquiesce. Il ignore où ce type veut en venir, mais Rodney l’a aussi prévenu que ces gens se montraient parfois particulièrement excentriques. Surtout ceux qui, à trop boire de vin, arborent sur les dents de vilaines taches rouges.
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