21 janvier 1953
Messe anniversaire de la mort de Louis XVI, à Saint-Germain-l'Auxerrois. Spectacle comique et gratuit. J'imaginais bien toutes ces moustaches blanches, ces barbiches, et les perruques des douairières, mais je ne voyais pas leurs tenues si râpées, si modestes. Certains couples, presque misérables, venaient manifestement d'un manoir aussi délabré que leur vêture. De rares jolies jeunes femmes élégantes représentaient néanmoins ce qui reste de la haute aristocratie. j'aperçois le frère du petit Rohan-Chabot, et le vieux duc de Doudeauville, notre voisin rue de Babylone, tiré à quatre épingles, guêtré, canne et cronstadt à la main, flanqué d'une octogénaire extravagante.
Elle est fardée à la mode du Grand Siècle, avec de la poudre blanche et des taches de rouge, vives comme des blessures, sur chacune de ses pommettes. Elle porte une cape de velours noir sans âge, ornée d'un col de chinchilla, et un amas de chiffons sur la tête, genre nid-de-pie, en guise de chapeau. On murmure autour de moi qu'il s'agit de "la princesse". Princesse de quoi ? De Chaillot, peut-être.
Je rencontre là mon copain de G., fervent pendant la messe, et divers godelureaux de ma génération à qui je n'aurais pas cru ce vice caché, le royalisme. J'ai vu, de mes yeux vu, des dames pleurer, partagées entre la pitié, l'émotion, même, et un petit chatouillis robespierriste me titille. A la sortie, un vieillard me serre la main. Pour qui m'a-t-il pris ? Quelqu'un de la famille ?
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