[...] Ce ne sont ni les métiers ni le milieu social qui déterminent une rencontre, mais des obsessions qui convergent et se nourrissent mutuellement.
La famille Lecomte est épargnée et rentre à Reims dès la fin des hostilités. Ce n'est plus une ville mais un champ de ruines. La cathédrale, ensevelie sous ses propres gravats, soufflée, écorchée, ses gargouilles arrachées des chéneaux, ressemble à une immense tombe. Les façades des immeubles éventrées, les maisons ravagées, les trottoirs défoncés, les arbres coupés en deux, des gouilles remplies d'eau croupie trouent les rues avec parfois, tout au fond, un cadavre décomposé. Les habitants repeuplent peu à peu la cité, balayent les décombres et rebâtissent. Roger grandit dans un paysage d'outre-tombe et voit - il ne lit pas dans les manuels d'histoire ni n'entend radoter un vieux grand-père - il voit de ses yeux vierges ce dont l'homme est capable.
[...] Ce ne sont ni les métiers ni le milieu social qui déterminent une rencontre, mais des obsessions qui convergent et se nourrissent mutuellement. Ainsi la toile des amitiés grandit [...]
" Ce que nous cherchons ... nous cherchons les instants bouleversants qui redonnent enfin du suc à cette vie inquiète .
En peignant , en écrivant , mais aussi en admirant une huître ou une simple palissade , nous cherchons , affamés , ces nourritures incalculables ! "
p.75
"Toute chute ne coïncide pas avec un échec. On ne monte pas amoureux. On tombe."
« Sur l’estrade, l’orchestre a entamé un nouveau quadrille. La foule s’écarte, laisse passer les danseuses, les talons frappent le sol et les mains l’air. La Goulue s’est levée, le visage écarlate, les seins nus, elle s’approche de Lautrec, pose sa main sur son crâne, et lui lance : « Vas-y dessine-moi ! » comme un maître sommant son chien. Le petit homme plisse les yeux, lèche ses babines, une bosse se forme sous son pantalon.
Il attrape son cahier, son crayon, trouve une page vierge, et regarde. D’abord la Goulue ondule, malaxe sa poitrine, lève sa jupe, écarte les cuisses. Elle reste un long moment les jambes ouvertes, ses hanches qui bougent au rythme du quadrille. Le petit homme trace des traits sur la feuille comme on masturbe un sexe. Il a les yeux gonflés, les dents qui mordent sa lèvre. »
Il n’y a rien d’extraordinaire. Ou plutôt : l’extraordinaire s’est découvert dans l’ordinaire, dans le partage total, complet, absolu de nos deux personnes. Dans l’affection, la compassion, la douceur ; dans tous ces états de réception et d’offrande auxquels nous avons osé nous soumettre.
S’émerveiller, s’émouvoir, et produire de l’amour. Notre unique réponse.
" L'amour, c'est autre chose .... l'amour, c'est seulement quand l'envie vous prend .... mais alors à en crever ... l'envie qu'on ait envie de vous ... à en crever aussi !"
Le lien d’amour qui nous unit : d’abord un simple fil, plus ou moins tendu ; et puis, avec ce partage, démultiplié, le fil se renforce, d’autres ficelles s’enroulent autour jusqu’à former un lien épais, massif, qui ressemble aux cordes dont les bateaux se servent pour s’amarrer au port. Aux racines entrelacées d’un banian. Hannah et moi sommes enchevêtrés, définitivement complices.
Quel livre a écrit Alain-Fournier ?