Ne pas chercher à remplir ce qui doit rester accueillant au vide. Ne pas chercher à émonder ce qui ne demande qu'à éclore librement.
Simplement, rester attentif au jeu imperceptible des mots du quotidien, qui ont plus d'un tour dans leur sac. Ils nous disent au plus juste de quoi sont faits les instants dont nous sommes faits : menues choses sur lesquelles le regard distrait passe sans s'arrêter, et qui sont pourtant la trame indiscutable de la vie, la substance de toute mémoire.
“sur les écrans de papier
elles font des arabesques
les chiures de mouches”
Issa
La courtisane rougit en le lisant, puis saisit son pinceau et lui répondit sur le même registre :
On dit que vous êtes de fer,
Je vous avais cru fer rouillé.
Mais à ce que je vois maintenant,
Vous êtes un fer authentique.
Quant à moi je possède un soufflet,
J'ai désir de le fondre.
Page 70
Cette brièveté dans l'expression, cet art de l'impromptu, nous le retrouvons chez les peintres japonais et chinois. La rapidité de pinceau est à leurs yeux la vertu cardinale : quelques traits, jetés sur le papier avec une apparente désinvolture, suffisent à cerner l'image avec une miraculeuse précision.
Là encore, il s'agit d'évoquer beaucoup en montrant peu, l'essentiel étant laissé au blanc de la page qui symbolise l'espace indéfiniment ouvert - où l'image (comme la note en musique) peut résonner indéfiniment.
LA FIANCÉE DU DRAGON
Jadis, une certaine année, il n’avait pas plu du tout. Les paysans étaient extrêmement ennuyés. Les petites pousses de riz avaient à peine commencé de croître. Pas d’eau. Pas moyen de sarcler. Les paysans de chaque village priaient les dieux, pour obtenir de l’eau. En vain. Ils devenaient malades d’inquiétude.
Dans un certain village vivait un paysan, nommé Tokubei, qui avait une jolie fille. Il avait prié pour avoir de la pluie, mais rien à faire. Pas une goutte. Il s’avisa de se tourner vers le dieu dragon Ryûjin et lui dit :
– Si vous daignez nous octroyer la pluie, je vous offre ma fille unique !
Il pria de toute son âme. Alors, une chose bizarre se produisit. Soudain, le ciel se couvrit de nuages noirs, le tonnerre tonna gorogoro ! La pluie se mit à tomber.
Les villageois, ravis, se mirent à sarcler. Le riz se mit à pousser correctement. L’automne venu, on moissonna. Mais celui qui avait prié le dieu dragon et lui avait promis sa fille n’était pas tranquille. Il avait gardé secret ce vœu, sans le révéler ni à sa femme ni à sa fille.
Un jour d’automne, arriva au village un jeune homme, marchant lourdement, las, urouro, et s’arrêta devant sa maison, et demanda l’hospitalité:
– Je n’ai pas réussi à vendre mes éventails. Veuillez m’accueillir !
Plein de compassion pour le pauvre jeune homme, notre paysan l’accueillit et l’installa dans une chambre qui était libre.
Le lendemain, le nouvel hôte ne démarra pas, alléguant sa faiblesse. Les jours passèrent, le jeune hôte ne s’en allait pas. Mais il se liait avec la jeune fille de la maison. Ils sympathisaient. La jeune fille déclara vouloir l’épouser. Le soir du jour fixé, on fit la cérémonie de mariage. Le plateau d’offrandes était étalé. Soudain, le fiancé, tsut ! se leva et dit à la fiancée :
– Voici le jour venu, enfin ! Je suis le dieu dragon ! Selon le vœu fait par ton père, je te prends pour épouse !
Il enveloppa la fiancée dans sa large manche, et aussitôt, se transformant en un grand serpent, il appela un nuage, où, se lovant, il disparut dans le ciel.
(conte n°70, p.162 sq)
LE COQ ET LE CANARD
Un jour un coq et un canard allèrent se promener au bord du fleuve. Tout en marchant, le coq se vantait de sa beauté. Il se moquait du canard :
- Avec tes pattes qui ressemblent à des feuilles d’arbre et ta démarche dandinante, ah ! ridicule !
Le canard répondait :
- Tu as une paire d’ailes magnifiques ! Avec elles, tu peux voler et haut !
Le coq ne voulait pas avouer sa faiblesse. Il prit son élan, afin d’atteindre l’autre rive du fleuve, et de montrer ainsi ses capacités. Au beau milieu du fleuve, il tomba. Comme il ne savait pas nager, il sombra, coula, criant :
- Au secours !
Le canard vint à sa rescousse. Alors, il lui dit :
- C’est grâce à ces vilaines pattes que je t’ai sauvé.
Le coq resta coi, rougit de honte. Depuis lors, les coqs n’osent plus se vanter, et ont la crête rouge.
(conte n°38, p.93-94)
Dans le vaste ciel
le blanchoiement de la plume
Se fige
Kyoshi
Jadis, une très jolie fille s'appelait Kusŭl "perle". Chaque jour, elle puisait de l'eau au puits Okryu-chǒn, et la donnait à boire aux passants assoiffés. Cela gratuitement. C'était la plus belle fille du monde : sourcils noirs, nez bien proportionné, yeux calmes et profonds comme des lacs. On croirait une fée céleste descendue sur terre.
Je lève la tête
L'arbre que j'abats
Comme il est calme
Issekiro
En plein jour j'ai vu
Une fourmi
Elle me hante cette nuit
Seishi
En ce monde nous marchons
Sur le toit de l'enfer et regardons
Les fleurs
Issa
Bruits : déchiffrés avec une attention toute musicale. Monodies : pott pott de la fauvette ; cri du marchand de loches. Polyphonies, polyrythmies : crépitement de la grêle et grésillement du télégraphe ; bourdon sourd de la cloche, bruit mat des fruits trop mûrs tombant ; cri des cailles et roulement du tonnerre. Accord parfait : un saut de carpe, tout proche, une note de harpe, plus loin, derrière la colline ...
Bruit de la grêle
Bruit du télégraphe
Paysage nocturne à la fenêtre
Setsujin
Arrivant sur la neige
Elles font pott
Les fauvettes
Bôsha