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Critiques de Maurice Dekobra (33)
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La Madone des Sleepings

Après la lecture aussi éprouvante que passionnante du roman de Jérémy FEL "Héléna", voyager avec la Madone des Sleepings et le Prince Seliman est un agréable détour qui nous rajeunit de près d'un siècle et nous mène de Londres au Berlin dépravé et décadent des années 20 puis au fond de l'univers soviétique où nous affrontons la sanglante Irina Mouravieff.



Détente et badinage, certes, mais regard sur l'Europe au lendemain d'une guerre mondiale, et à la veille d'une deuxième conflagration …



Ce roman d'aventures connut entre les deux guerres un succès mondial et Maurice DEKOBRA collectionna les best sellers traduits dans le monde entier : ses ventes le plaçaient en tête du Box office. Mais son exil américain en 1940 marqua le début de l'oubli et il est aujourd'hui un illustre inconnu !

Et pourtant ses ouvrages valent largement, à mes yeux, certains des 567 romans de cette rentrée 2018.

Merci encore à madameduberry pour sa liste « Livres oubliés, pépites cachées: les anti best sellers » qui sort de l'ombre 25 titres qui méritent de sortir du purgatoire.

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La Madone des Sleepings

Lecture d'ete. La lecture d'ete est un exercice beaucoup plus difficile que la lecture d'hiver. L'ete est une saison chaude ou mes enfants me distribuent de grands sourires, de chaleureuses accolades, parsement leurs rejetons dans ma cour et decampent sans prendre le temps de souffler. A moi de jouer le chef de bande, role qui ne me convient pas du tout. J'ai beau me concentrer, je perds toujours au monopoly, aux dames, au jeu des sept familles, et je dois essuyer les moues dedaigneuses de toute la marmaille. Je sors toujours trempe des batailles d'eau et la maffia courtaude en profite pour m'enduire de boue. Qu'est-ce qu'ils croient ces braillards, qu'on est au temps du goudron et des plumes? Heureusement que mon aide de camp arrive a temps et me sauve en brandissant un plateau de pizzas.



Le soir les plus grands s'eclipsent avec leurs tablettes, je joue le feu de camp et lis "Le vent dans les saules" aux plus petits assis par terre autour de moi. Eux jouent les attentifs (“assis par terre / voir le monde qui defile / et n'avoir pour domicile / qu'un bout de grand-pere”), mais les tetes basculent bientot. Au lit!



Moi aussi je vais au lit, le corps et le cerveau courbatures. Je me prescris une lecture legere. Ce sera La madone des sleepings, esperant avoir choisi juste.



Parfait ce livre! Juste ce qu'il me faut! Un roman d'aventures sans trop de sang, ou s'imbrique un peu de roman d'espionnage a l'ancienne (c'est ecrit dans les annees 20), le tout entrelarde de scenes legerement erotisees et de quelques histoires d'amour. Ecrit avec humour dans le registre d'un snobisme abusif.



Nous avons droit a un parfait gentleman aventurier (le grand-pere de Bond?) qui, pas par hasard, est francais bien qu'il porte un titre au charme oriental, prince Seliman; a une lady ecossaise, Lady Diana Wynham, femme fatale non archetypique, tres glamour, tres excentriquement british, et en fin de compte courageuse et brave, faisant honneur a sa noble caste (dixit l'auteur); face a elle un autre archetype, une femme de pouvoir qui n'hesite pas a torturer ni a assassiner, Irina Mourafiev.



Nous avons droit a la premiere incursion de l'Orient Express dans le roman d'aventures. Vienne, Budapest, Brasow, Bucarest, Constanza, Constantinople. Et a chaque etape le fin du fin. A Vienne le Ring et l'hotel Bristol, mais notre aventurier n'oublie pas de manger des haluschkas pres de l'eglise des Augustins. Sur le quai de Pest ce sera l'hotel Hungaria. A Istamboul le Pera Palace, mais on se promenera aussi du cote de Sirkedci ou de Iedi-Koule. Avant cela, a Berlin, nous logerons au fameux hotel Adlon, sis au coin de Sous-les-tilleuls et de Pariserplatz, mais nous irons lorgner, pleins de pitie, les peripatetitiennes de Friedrichstrasse. Sans oublier Cannes, ou nous mangerons au Ciro's.



Mais il y a aussi Batum dans la mer Noire et ses sombres geoles ou se retrouve enferme notre heros, contrefait par la Mourafiev. Batum, qui permet a l'auteur de nous dire ce qu'il pense du pouvoir sovietique en place. Et de son vrai visage, oppressant, baillonnant et etouffant la plus grande partie de la population. Un auteur qui des les annees 20 ne se laissait pas abuser par les decors presentes aux visiteurs etrangers? Ou peut-etre etait-il un anticommuniste enrage depuis le debut de la revolution?



Beaucoup de voyages donc dans ce livre, beaucoup de peripeties. Beaucoup d'exotisme, beaucoup de coups de theatre, que je ne vais evidemment pas divulgacher ici. Et ca se laisse lire tres agreablement parce que le tout est toujours teinte d'humour, d'une legere ironie. Et par ci par la quelques tuyaux, quelques indices, pour marquer que l'auteur a une serieuse culture.



Un livre tres sympathique. Pour moi, le bon choix, au bon moment: de quoi me ressaisir entre deux assauts des armees impuberes. Mais il est tard et je vais arreter d'ecrire pour aller voir s'ils sont bien couverts…

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Mon coeur au ralenti

Comment les fascistes ont ils financé l’ascension de Mussolini ?

Jusqu’où une femme répudiée peut elle mener sa vengeance ?

Jusqu’où un homme peut il aller pour sortir une gamine de l’addiction à la drogue ?



Cette triple interrogation permet à Maurice Debroka de nous offrir une intrigue à double face avec un dénouement aussi improbable que brutal.



Ce roman précède « la Madone des Sleepings », mais peut être lu indépendamment, et fait sortir du néant le Prince Seliman, séducteur impénitent et archétype de l’aristocrate cherchant à redorer son blason en épousant une riche héritière.



Excellent ouvrage, d’une lecture facile et agréable, agrémenté de formules ciselées offrant de mémorables aphorismes, qui nous promène d’un continent à l’autre dans ces années folles bordées par deux guerres mondiales.



Personnellement je positionne « mon coeur au ralenti » un cran au dessus de «la madone des sleepings » … cinq étoiles sans hésitation aucune.
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Le Sphinx a parlé

Classique triangle amoureux, en Inde, époque britannique, atmosphère "les trois lanciers du Bengale", aux confins de l’Afghanistan...



La nostalgie impériale nous saisit et l'Angleterre domine l'univers civilisé !



Maurice Dekobra nous dépeint l'armée des Indes, des combats, une tragédie, une amitié virile entre militaires. Amitié que la perverse Alba se fera un malin plaisir à éprouver... un scénario banal, en apparence, mais une conclusion improbable, comme l'auteur sait les provoquer.



Une analyse psychologique d'une grande finesse fait de ce roman méconnu, un chef d’œuvre.
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Fusillé à l'aube

Fusillé à l'aube ou l'étonnante aventure d'une espionne anglaise à Vienne en 1914, est une agréable distraction ressuscitant l’Autriche Impériale, ses charmes surannés, sa douceur de vivre, à l’aube d’un conflit mondial qui la condamnerait.

Mais Dekobra nous prive ici des aphorismes qui font le charme de ses chefs d’oeuvres et le scénario n’est pas d’une grande originalité.
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La Madone des Sleepings

Je connaissais bien sur de réputation La Madone des Sleepings, le film de 1955 mais j'ignorais tout du roman de Maurice Dekobra qui l'avait inspiré. C'est chose faite et j'avoue être agréablement surprise par cette rencontre.

Une aristocrate anglaise, que dis-je pas anglaise Ecossaise!! , veuve depuis quelques années se doit impérativement de trouver les fonds nécessaires à son fastueux train de vie .

C'est ainsi que Lady Diana Wynham s'entoure de la présence du Prince Seliman et lui confie le rôle de secrétaire, homme de confiance. Commence alors un périple mouvementé qui le mènera en Géorgie .

Nous sommes en 1925, le Bolcheviks ont pris le pouvoir en Russie, l'Europe fragilisée au sortir de la Grande Guerre cherche à redresser la barre , la Haute Société court de droite à gauche , de fête en fête et la sublime Lady Diana les fascine et les horrifie tout à la fois . Comment tolérer le mode de vie de cette femme , son "je m'en foutisme " du qu'en dira t'on et des convenances .

Même si ce roman m'a paru vieilli et suranné j'ai beaucoup apprécié ce personnage féminin hors norme pour son époque, cette femme indépendante qui prône le droit à la liberté de penser et de vivre. La photographie faite par Maurice Debroka de l'état politique de ces années 1920 est elle aussi digne d'intérêt. La Madone des Sleepings paru en 1925 a été l'un des très grands bestsellers de l'entre deux-guerres , son côté légèrement canaille n'est sans doute pas étranger à cela.



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La Madone des Sleepings

Livre d'aventure qui me rappelle un peu "Gatsby le Magnifique" à cause de cette période des années folles où des personnes vivaient une existence oisive et luxueuse, au luxe même très tapageur..., et où les classes sociales se mélangent; nouveaux riches, aristocrates désargentés, femmes bien nées qui sont aussi des cocottes ou des "poules de luxe". Le titre ne me plaisait pas, ni l'illustration de couverture. Mais ce roman, qui a connu un certain succès, se lit comme un livre facile et est plutôt agréable.
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La Madone des Sleepings

« Plongée dans le kitsch littéraire de l'art déco » a écrit un critique en parlant de ‘'La Madone des sleepings''…



Best-seller de l'entre-deux guerre, ce roman colle en effet à cette période : découverte de la psychanalyse, goût pour les voyages et curiosité pour la Russie où une révolution vient de renverser le tsar ; de plus, l'héroïne, lady Diana Winham, est une de ces femmes libérées que la Belle Epoque a fait éclore.



Le roman démarre par une consultation de Lady Winham chez un psychiatre, disciple de Freud : explications crues de la patiente qui assume totalement sa libido, jargon scientifique et séance ‘'d'analyse spectrale des réactions pendant l'orgasme'' m'ont bien amusée ; il semblerait que Dekobra ne prenne guère tout cela au sérieux.

Quant à l'intrigue policière elle alterne entre passages glamours (nuits dans les palaces, voyages dans l'orient-Express, yacht de croisière, etc…) et moments sombres, voire très sombres, dont le séjour de Gérard (prince Séliman et secrétaire de Lady Winham) dans les geôles de la Tchéka n'est pas le moindre.



Non seulement j'ai plongé dans le style de vie d'une certaine société de la Belle Epoque mais aussi dans son style d'écriture. Pour citer Jean Dutourd (*) : « Malgré une profusion de métaphores et d'aphorismes idiots (« elle mit sur ma bouche la fleur vivante de ses lèvres »), le récit va vite, c'est toujours amusant, captivant même quelquefois. Dekobra ne rate jamais un imparfait du subjonctif, et ses références honorent le lecteur parce qu'elles lui supposent une certaine culture. » Style très typé, donc, et dépaysement total…



« Sous son pseudonyme de Maurice Dekobra, le Parisien Ernest-Maurice Tessier (1885-1973) a été un des écrivains français les plus lus de l'entre-deux-guerres. Il aurait vendu plus de 90 millions de livres et fut une véritable star mondiale » (Paul Aron). Aujourd'hui, cet auteur est quasi inconnu, sans doute car trop typique de son époque. C'est pourtant agréable de se replonger, à l'occasion, dans une époque si différente de la nôtre… une époque qui donne l'impression que rien n'est fondamentalement grave, rien n'est vraiment pris au sérieux.





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(*) cf ‘'Contre les dégoûts de la vie'', chapitre ‘'Décadence de la mauvaise littérature''





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La Madone des Sleepings

J'ai lu ce roman « cosmopolite » dans son édition originale : « Achevé d'imprimé le XX de Mai MCMXXV (1925 pour ceux qui causent pas romain :-)) par les soins de F. Mériaux Maître-Imprimeur à Paris, 63, rue du Ruisseau, pour le compte des éditions Baudinière ». Ça en jette ! Non ? C'était une autre époque ; Les Années Folles. L'objet est franchement défraîchi, papier jauni, mal massicoté et puis quand même avec quelques coquilles (sans faire injure au Maître imprimeur Mériaux), bref dans son jus. A l'époque se fût un best-seller, comme M. Levy ou G. Musso aujourd'hui, je suppose. Je n'ai pas lu ces deux là, mais je peux vous dire qu'en 1925 Maurice Dekobra écrivait dans une prose très élégante, imagée et relevée. Il y a donc dans ce roman d'aventure, qui nous emmène de Berlin à Paris en passant par Istanbul, le Caucase et l'Ecosse, de la distinction et de la légèreté. On y croise des aristocrates riches et oisifs, de bons et de méchants soviétiques. J'ai d'ailleurs été étonné par la lucidité de l'auteur quant à la situation et aux systèmes politiques de cette époque, qui devaient déboucher sur la 2ème guerre mondiale ; lucidité que d'autres n'ont pas eu, mais c'est une autre histoire. Alors si cette lecture est un peu datée, elle reste néanmoins distrayante et très agréable. Allez, salut.
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La Madone des Sleepings

Pour moi, c'est le roman des excès :

-trop d'érudition, (l'auteur étale-t-il sa culture ou est-ce un effet voulu pour le personnage ou l'époque) à la longue,ça fatigue

-trop, le personnage de lady Diana, excessive, agaçante

-trop de préciosité, atmosphère suranné

Vous comprendrez que , malgré la bonne dose d'humour savoureux,un langage fleuri et très imagé, je n'ai pas eu l'engouement général pour ce livre qui a mal vieilli

De plus, je suis très déçue par l'édition pocket qui comprend de nombreuses fautes de frappe genre "limite des seaux territoriales" ou des lettres manquantes qui rendent difficile la lecture , un manque de sérieux!
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La Madone des Sleepings

« La Madone des Sleepings » est en littérature que ce que l'on appelle au cinéma un « nanar », mais un « nanar » crucial, qui a marqué son époque. Il nous est difficile de comprendre pourquoi ce roman s'est vendu à des millions d'exemplaires dans le monde, et reste encore régulièrement réimprimé aux Etats-Unis, mais on peut néanmoins se pencher sur la recette avec laquelle il a été composé. car si l'ensemble est indéniablement un peu « gras », les ingrédients eux sont particulièrement subtils et très astucieux.

Ce qui frappe d'entrée, c'est que si « Mon Coeur Au Ralenti », le roman précédent dont le prince Seliman était déjà le personnage principal, était un récit déjà un peu fantasque, mais à l'intrigue policière plutôt classique, très inspirée des romans noirs américains, « La Madone des Sleepings » relève de plusieurs genres. le roman est divisé en plusieurs parties contrastées et néanmoins complémentaires. Maurice Dekobra a retrouvé ici la verve des feuilletonistes du XIXème siècle, mais en chassant impitoyablement le tirage à la ligne et le remplissage forcené qui faisaient de ces ouvrages des volumes épais et interminables. Son roman ne dépasse pas les 300 pages, et y gagne un certain dynamisme, une grande énergie qui faisait défaut à « Mon Coeur Au Ralenti ».

Bien que commençant de manière plutôt bavarde et érotique, le récit évolue assez vite vers l'aventure, puis vers l'espionnage, puis à nouveau l'aventure, le mélo, et au final le dénouement spectaculaire et feuilletonesque. Ces montagnes russes narratives ont un grand impact sur le maintien de l'intérêt du lecteur le long d'un récit à l'intrigue assez minimale et aux personnages limités et stéréotypés. Il y a du feu d'artifice, dans « La Madone des Sleepings », une succession assez heureuse de séductions bavardes, de décadentisme décomplexé, d'aventures trépidantes, de pamphlets anticommunistes, et d'une sorte de mélange improbable mais efficace entre mélo sentimental et papillonnage débridé. Le livre doit beaucoup de son charme à cette dimension copieuse d'éléments littéraires très divers mais très appréciés, chacun à leur manière, à l'époque de la publication de ce roman, qui apparaissait alors comme une synthèse de vieilles ficelles et d'idées modernes.

L'anticommunisme, déjà présent dans « Mon Coeur Au Ralenti », se trouve ici décuplé, au point d'être à la base de tout le roman. Mais son importance permet aussi de disséquer la démarche de l'auteur en deux sous-thèmes forts, et néanmoins différents :

– D'abord Maurice Dekobra pratique une partie de sa propagande sur des éléments assez classiques : le bolchevisme serait la revanche des ratés sur l'élite. La nouvelle philosophie prolétarienne ne serait que le cache-misère de la jalousie et de l'envie des pauvres de s'emparer des richesses et des biens de personnes plus méritantes. C'est évidemment un reliquat de pensée impériale et monarchiste, qui place la hiérarchie des classes sociales comme un ordre naturel. Le personnage de Varichkine est l'archétype de l'arriviste militant, ayant en lui une part de sauvagerie et de cruauté, mais qui n'en est pas moins un ambitieux, ne demandant pas mieux que d'appartenir au grand monde ou à l'élite, qu'il ne combat que parce qu'il n'a aucune chance d'y rentrer. Selon Dekobra, les bolchevistes eux-mêmes ne croient pas au bolchevisme, ils n'y adhèrent que pour faire carrière. Bien des personnages secondaires dans ce roman partagent plus ou moins la même philosophie. Seule Irina Mouravieff demeure une militante fanatique pure et dure, et très logiquement, Dekobra en fait un monstre de sadisme.

– Ensuite, Maurice Dekobra stigmatise un autre aspect du bolchevisme : le fait que ce soit une doctrine rigide, rigoriste, basée sur l'effort collectif et l'effacement de l'individu devant l'Etat. Dekobra l'hédoniste, le collectionneur de femmes, se hérisse, se cabre devant cette doctrine du devoir commun aussi sacrificiel qu'un devoir chrétien. Il n'est plus là question de vision sociale, mais bien plus d'un dégoût du sectarisme. Car contrairement à la plupart des auteurs célèbres pour leur rejet du communisme, Maurice Dekobra n'est pas véritablement un conservateur. Il n'est jamais question de religion dans ses romans. Il n'y a presque jamais de prêtres, de curés, ni même de personnages ou de figurants qui soient dévots ou simplement croyants. En bon tentateur de ces dames, Dekobra fait l'impasse sur tout ce qui touche à la morale. Il n'en dit pas du mal, il fait comme si elle n'existait pas. L'essentiel de ses personnages est constitué de gens riches et décadents, ou fort désireux de le devenir. On suppose qu'à ses yeux, les gens qui n'ont pas cette tournure d'esprit n'ont aucun intérêt. De ce fait, il juge le bolchevisme comme une incarnation politique de la morale religieuse. Il y trouve sous une forme nouvelle les mêmes dérives liberticides et autoritaires, et sur ce plan-là, il est assez prophétique. On trouve sous sa plume, dès 1925, les critiques qui seront durablement émises sous les régimes de Staline et de ses continuateurs jusqu'à la chute de l'U.R.S.S. Il parle déjà de transfuges qui veulent passer à l'ouest, tout un imaginaire qui alimentera les romans et les films d'espionnages trente ou cinquante ans plus tard. Même si l'on ne partage pas sa vision hiérarchisée de ce que doit être une civilisation ou son éloge permanent de la richesse et de la fatuité, il faut admettre qu'il a été lucide sur la dérive dictatoriale qui allait progressivement s'installer en U.R.S.S.

Cette position fait que, même s'il est réactionnaire, Maurice Dekobra est, à son époque, un chantre de moeurs plutôt progressistes. Il demeure un jouisseur dont les romans s'échinent à donner le mauvais exemple. Plus encore que Victor Margueritte et sa « Garçonne », Maurice Dekobra est resté l'auteur par excellence des Années Folles. Ses héroïnes sont des vaporeuses et des lascives pour la beauté de la chose, et non pas comme la Monique Lherbier de la « Garçonne », à la suite d'une trahison amoureuse. Lady Wynham est en ce sens un personnage fantasmatique qui conserve presque cent ans après, toute la fascination exercée de son temps sur des lectrices encore inhibées, dans une France où tout le monde n'allait pas faire la fête la nuit. Aujourd'hui, de par celle liberté frisant l'inconscience et cette nymphomanie tranquille, il est néanmoins difficile de la voir autrement que comme un fantasme masculin un peu trop parfait pour être vrai. Cependant, Maurice Dekobra a su la doter d'esprit, d'érudition, d'un humour irrésistible, capricieuse sans être infantile, avec une part d'ombre à peine esquissée, laissant entendre que Lady Wynham mène certes la vie qu'elle veut mais se sent surtout moyennement capable d'en mener une autre. La peur de l'ennui, l'horreur de ce rôle fade d'épouse modèle, le refus du devoir, le refus de la contrainte sont ses épouvantails. Sans que cela soit explicitement dit, Maurice Dekobra arrive à la même conclusion que Victor Margueritte : la femme ne mérite pas la vie que l'homme l'a obligée à mener durant tant de générations.

On comprend que ce message ait parlé au coeur de plusieurs dizaines de millions de lectrices, même si là où Victor Margueritte, homme de gauche, cultive l'espoir d'une société future plus juste, Maurice Dekobra, homme de droite, refuse d'espérer : la liberté, c'est l'argent. Point final. Une fois qu'on a beaucoup d'argent, on peut s'acheter toutes les libertés que l'on veut, et on serait bien bête de ne pas le faire.

On ne comprend que trop bien pourquoi ce roman a eu tant de succès en Amérique…



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La Madone des Sleepings

Lady Diana Wyndham est une jeune veuve pleine de charmes et aux moeurs joueuses et libérées, et de plus elle possède une certaine fortune. Du moins celle-ci s'essouffle peu à peu. Et Lady Wynham est de fait obligé de se lancer à la conquête du camarade Varichkine, délégué bolchevik à Berlin. Il faut qu'il lui obtienne l'autorisation d'exploiter les champs de pétrole...



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La gondole aux chimères



C'est en triant des dons que j'ai découvert ce roman de Maurice Debroka, publié en 1926. Dans le cas présent, le hasard (et, la chance) ont bien fait les choses, et, une véritable petite pépite a atterri entre mes mains.

En effet, ce titre est désormais introuvable en librairie, à part peut être chez les bouquinistes.



Il semblerait que La Gondole aux chimères soit la suite de La Madone des sleepings car on y retrouve le personnage de Lady Diana Wynham, et, Maurice Debroka renvoie à des événements qui s'y sont déroulés.

Pour ma part, n'ayant pas lu La Madone des sleepings, cela ne m'a guère gêné dans ma lecture ainsi que dans la compréhension générale du roman.



C'est écrit dans un style désuet, avec un vocabulaire imagé, voire inusité. J'ai même dû ouvrir, une à deux fois mon dictionnaire afin de vérifier la définition d'un mot et/ou corroborer le sens générale et/ou du paragraphe.



Sinon, les amours tragiques de Lady Diana Wynham sont plaisantes à suivre tout en se laissant lire. Le dénouement ne pouvait être autrement que celui imaginé par M. Debroka. En effet, à force de journée avec le feu, cela finit toujours par se retourner contre soi



Ce fut pour moi, une "jolie" parenthèse ainsi qu'une petite pause charmante entre deux romans "plus sérieux" tout en découvrant un romancier quelque peu oublier actuellement.

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La Madone des Sleepings

Les années folles constituent une période que j’apprécie énormément. Aussi, lorsque je suis tombée sur cette jolie couverture qui m’attendait depuis quelques temps dans ma bibliothèque, je n’ai pas pu m’empêcher de me plonger dans cette intrigue qui comprend une part d’historico-politique, mais aussi toute une galerie de personnages hauts en couleur. J’ai adoré me retrouver dans cette atmosphère si particulière aux années 20. La Madone des Sleepings aurait d’ailleurs connu un grand succès dans les années folles. Je vous avoue qu’il s’agissait pour moi d’une découverte puisque je n’avais jamais entendu parler de ce titre (ni même de l’auteur pour le coup). Il s’agit d’un roman sympathique, que je vous conseille si comme moi vous appréciez cette période de l’Histoire. Je n’ai pas été aussi transportée que je l’aurais souhaité, mais je dois le reconnaître, j’ai suivi les aventures de Lady Diana et du prince Séliman avec plaisir.



Au bord de la ruine, la sulfureuse et charismatique Lady Diana engage Gérard, prince de son état, dont le quotidien est plutôt morne depuis sa séparation brutale avec Griselda, son ancienne épouse, et ce dans le but de mettre un peu d’ordre dans sa vie plus que mouvementée. Icône de la mode, Lady D. n’a en effet qu’une ambition : briller et défier les codes de la bonne société à laquelle elle appartient. Sa ruine imminente la rend cependant extrêmement inquiète, et prête à accepter un mariage arrangé pour retrouver de sa superbe. Dévoué à sa nouvelle amie, le prince Séliman est alors prêt à prendre tous les risques pour la sauver du déshonneur. De Berlin aux rives de la mer Noire, du monde soviétique en passant par l’Ecosse, nos deux personnages ne sont pas au bout de leurs surprises. Ils croiseront notamment Varichkine, un diplomate russe peu recommandable ou encore la glaciale et manipulatrice Irina Mouravieff.



On retrouve dans ce livre certains codes du roman d’espionnage, et je crois que cet aspect m’a beaucoup plu. Le rythme de l’intrigue ne faiblit pas, tandis que nous voyageons aux quatre coins du globe en même temps que nos personnages. Le passage où le prince Séliman est emprisonné est terrifiant. Ce récit a pourtant été publié en 1925, personne ne savait alors encore ce qui allait se passer une dizaine d’années plus tard… Le final du roman est imprévisible. Mais j’ai été déçue par la scène en train et les toutes dernières lignes du livre. Disons que j’aurais souhaité pouvoir envisager une suite au livre (mais je ne préfère pas vous en dire davantage).



En bref, un roman d’espionnage plutôt agréable à suivre. Je n’ai pas eu de coup de coeur, mais je vous le conseille pour son ambiance années folles ainsi que pour ses multiples rebondissements.
Lien : http://labibliothequedebened..
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Flammes de velours

j'ai lu M.Dekobra par curiosité, pour avoir un avis définitif et surtout personnel. Il était pour moi un auteur à la mode pour la bonne société, qui avait gagné beaucoup d'argent, et de qualité littéraire médiocre. Un tableau plutôt négatif.

j'ai rencontré un romancier dont beaucoup peuvent encore s'inspirer aujourd'hui.

un réel plaisir de lecture.

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La Madone des Sleepings

C'est drôle, vif, l'histoire avance à cent à l'heure devenant par moment presque trop rocambolesque. Je me suis laissée emporter avec beaucoup de plaisir dans les aventures de Lady Diana Wynham et du Prince Seliman. Les personnages sont pétillants, plein de vie et surtout d'idée farfelues.

Une lecture trépidante idéal pour l' été.
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La Madone des Sleepings

Voilà un livre que je redoutais un peu, tant sa bonne réputation mais aussi son âge m’effarouchaient.

Et bien ce fut une excellente surprise.

La peinture de l’entre deux guerres.

Les portraits des protagonistes.

Le français, faux prince mais homme du monde, l’aristocrate désargentée à la reconquête d’une bonne fortune, l’apparatchik bolchevique et sa maîtresse sadienne.

De l’épisode psychanalytique jusqu’à l’ambiance inquiétante des prisons de la Tchéka.

Tout concourt à la réussite.

Roman policier, d’espionnage et d’amour.

« Un sommet du kitch des années folles » en dit Bernard Pivot.
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La prison des rêves

Au début des années 30, le sulfureux Maurice Dekobra, auteur emblêmatique des Années Folles, célèbre pour sa "Madone des Sleepings" et autres garçonnes délurées dont il chantait les exploits et les conquêtes, sentit le vent tourner, et jugea bon de tempérer ses ardeurs et son hédonisme au travers d'une série de romans plus sages, qui n'en connurent pas moins un retentissant succès commercial.

"La Prison des Rêves" en est un vibrant exemple, puisque Dekobra s'y aventure dans un genre qu'il n'avait pas encore abordé : le conte oriental. L'ombre des "Mille et Une Nuits" plane en effet sur ce petit roman qui en adopte les codes et la moralité, tout en le situant dans l'Inde contemporaine, encore à cette époque sous domination coloniale britannique. Un exercice difficile, dont Maurice Dekobra ne se dépêtre qu'avec une grande difficulté et en laissant progressivement de côté toute velléité de réalisme.

Le roman narre l'histoire de la Princesse Brindi, fille malheureuse du Maharadjah de Jahlpore, qui l'a eue d'une aventurière européenne qu'il a épousée, laquelle a fini par s'enfuir du palais en laissant derrière elle, et apparemment sans remords, le fruit de ses amours avec le Maharadjah. Agacé par cette enfant métisse dont la vue lui rappelle de douloureux souvenirs, le Maharadjah l'envoie en France, dans une pension de jeunes filles où, élevée à l'occidentale, la jeune Brindi devient une brillante étudiante, aimée de ses professeurs comme de ses camarades. Mais à l'aube de ses vingt ans, alors que ses études arrivent à son terme, la jeune princesse est rappelée en Inde afin d'y épouser un prince local choisi par son père le Maharadjah.

Le retour au pays de l'enfant (peu) prodigue se passe terriblement mal. Convertie au christianisme, faite au mode de vie occidental et à la libéralité de ses moeurs - bien qu'elle soit encore vierge -, Brindi se hérisse à l'idée de s'abaisser à un mariage hindou. Néanmoins, sa volonté se heurte douloureusement à celle de son père, pour qui ce mariage lui apporte une alliance stratégique précieuse, et qui considère qu'une fille n'a pas à aller contre la volonté de son père. Il la retient prisonnière dans le "zenana", le quartier des femmes, et la confie à la Maharanee, la favorite de son harem, laquelle a pris auprès du Maharadjah la place d'épouse morganatique abandonnée par la mère de Brindi.

La Maharanee est une mauvaise femme qui, à vrai dire, ne songe qu'à torturer et humilier cette jeune fille qui n'est pas la sienne, et seule héritière avant elle des biens du Maharadjah. Elle tente en vain de briser l'orgueil de Brindi et de la pousser au suicide. Elle saisit même le prétendu blasphème qu'aurait commis Brindi en se promenant le visage non voilé dans le temple de Siva pour la faire exposer nue aux yeux des passants. Mais rien ne parvient à entamer la volonté de Brindi, bien décidée à mourir plutôt que d'épouser l'homme choisi par son père.

Le Maharadjah n'a cure de tout cela. Briser la résistance des femmes fait partie de la tradition, et la mort de sa fille ne lui poserait problème que dans le sens où elle lui ferait perdre son alliance avec un royaume voisin. Par ailleurs, le Maharadjah est un homme qui ne se passionne réellement que pour le pouvoir et pour les intrigues qui y mènent. Parallèlement, il ambitionne de faire acter le prolongement d'un canal jusqu'à son royaume, mais pour cela, il a un besoin impérieux (c'est le mot) de la faveur du délégué de l'empire colonial britannique. Or celui-ci, Ronald Armstrong, est un capitaine de l'armée coloniale, hébergé dans une riche maison attenante au palais, mais dont la nature d'homme d'action ne se fait guère à la mollesse de la vie orientale. Il songe à partir, s'en ouvre au Maharadjah qui s'en émeut, sentant que la transition sera suffisamment longue entre le départ de ce diplomate et l'arrivée de son remplaçant pour lui faire louper son projet de canal.

Le Maharadjah décide alors de tout faire pour retenir Armstrong auprès de lui, et voyant que celui-ci mène une vie de célibataire, le Maharadjah fait appel à une amie de longue date, l'aventurière cubaine Concha Guerrero.

Cette autre "Madone des Sleepings", demi-mondaine voyageant de par le monde en négociant âprement ses charmes, se trouve justement de passage à Calcutta. Le Maharadjah l'envoie chercher et la ramène au Palais de Jahlpore, en lui proposant un marché : elle accepte de séduire le capitaine Armstrong et de devenir sa maîtresse jusqu'à ce que l'affaire du canal soit entendue, en échange de quoi il lui promet un collier d'émeraudes d'une valeur inestimable. Concha accepte le défi avec enthousiasme et appât du gain.

Néanmoins, elle doit vite déchanter : Ronald Armstrong a beau être dans l'abstinence depuis de nombreux mois, l'homme est volontiers galant et attentionné envers le sexe faible, mais avant tout par éducation puritaine. Concha Guerrero consacre de longues heures à exercer des manoeuvres d'approche insistantes et à tenter par ses charmes le capitaine, qui y répond avec politesse, mais intérieurement, ne sait pas comment se débarrasser de ce crampon. Le harcèlement de cette experte en séduction ne parvient pas à échauffer cet esprit borné de militaire incorruptible.

De son côté, la princesse Brindi, après une première tentative d'évasion avortée, s'associe avec un missionnaire local en très bons termes avec Ronald Armstrong, afin que ce dernier cache la princesse Brindi durant quelques semaines. En effet, si la jeune fille s'évade, le Maharadjah la fera rechercher partout, et elle ne pourra quitter le pays, tandis que si les forces indiennes la cherchent en vain et arrivent à la conclusion qu'elle leur a déjà échappé, elle pourra enfin partir en sécurité. Sensible à la détresse de cette jeune femme, dont il ignore cependant qu'elle est la fille du Maharadjah, Ronald Armstrong accepte de la cacher dans sa maison, mais il tombe bien vite amoureux de la princesse qui, de son côté, sent un tendre sentiment naître en elle pour ce protecteur venu de ce monde occidental qu'elle veut tant retrouver.

Hélas, une apparition imprudente et jalouse de Brindi, tandis qu'il reçoit, contraint et forcé, les hommages de Concha, renseigne cette dernière sur la raison du peu d'ardeur qu'elle inspire à Armstrong. Dénoncée par Concha Guerrero et reprise de force par la Maharanee, la princesse Brindi se retrouve bientôt condamnée par cette dernière à être donnée en pâture à un tigre dans une arène, lors d'un spectacle sanglant et public. Mais c'est sans compter sur le courage inattendu du capitaine Armstrong, invité dans les gradins sans savoir que la princesse est au programme, qui ne va pas hésiter un seul instant à risquer sa vie pour sauver sa bien-aimée des griffes du fauve...

"La Prison des Rêves" est donc à tout prendre un conte étonnamment romantique, au cours duquel Maurice Dekobra brûle véritablement ses idoles de la décennie passée au nom de valeurs morales que, jusque là, il prétendait combattre (et qu'il combattra d'ailleurs de nouveau après guerre). Seule subsiste une certaine velléité féministe qui le pousse à défendre instinctivement l'indépendance morale et sexuelle de la femme, bien que ce soit là dans le contexte un peu malsain d'une comparaison entre la civilisation occidentale "éclairée" par le christianisme face à la "barbarie" orientale, qui en dépit de ses charmes et de tout ce qu'elle peut avoir de suave, reste quand même aux yeux de l'auteur une société primitive dénuée d'humanité.

Ajoutons aussi que l'Inde décrite par Maurice Dekobra est hautement fantaisiste, mêlant une vision touristique et dépaysante issue principalement de l'imagination des feuilletonnistes, avec des éléments qui relèvent plus des civilisations perses ou musulmanes, voire de l'Antiquité Romaine (Je ne suis pas persuadé que les Hindous avaient des arènes où ils livraient des jeunes filles chrétiennes aux fauves).

Néanmoins, cette fantaisie, volontaire ou non, contribue à inscrire le roman dans la plus pure tradition des amours contrariées que l'on trouve dans les contes du monde entier, y compris dans ceux de l'Orient. Cepndant, cet académisme de complaisance a le défaut de rendre l'intrigue très prévisible, malgré le mal que se donne l'auteur pour offrir une narration fertile en rebondissements. Qui plus est, on sent Maurice Dekobra plus appliqué à qu'à l'ordinaire, mais moins à l'aise dans ce classicisme qu'il a toujours vigoureusement combattu : les scènes romantiques entre Brindi et Armstrong sont d'une grande niaiserie, les dialogue sont pauvres et conventionnels, et Maurice Dekobra, qui a toujours affiché sa préférence pour les "cougars" délurées face aux jeunes filles tourmentées et peu à l'aise avec leurs corps, peine à nous rendre attachante cette princesse Brindi trop idéale pour être vraie, trop Cendrillon en martyre chrétienne, et dont toute la détermination repose quand même sur une aversion raciale envers ses origines.

Concha Guerrero est, sur bien des plans, plus passionnante et plus humaine, même si Dekobra lui fait jouer un bien mauvais rôle et laisse entendre que ce genre de femmes sur lesquelles il a longtemps fantasmé, sont souvent des irresponsables dénuées de scrupules. Néanmoins, on sent Maurice Dekobra plus à l'aise et plus attendri par ce pêrsonnage que par sa princesse de carton-pâte auquel lui-même ne semble pas croire.

Tout cela fait de "La Prison des Rêves" un sympathique divertissement exotique, même si on y découvre un Maurice Dekobra étonnamment prude et assagi, et qui se force assez visiblement à se montrer ainsi.

Désuet par certains côtés, notamment au point de vue psychologique et moral, "La Prison des Rêves" est néanmoins un livre toujours très actuel, vu qu'il reste bien des pays où les femmes ne font pas ce qu'elles veulent et n'épousent pas qui elles aiment. Le long discours moral et patriarcal que le Maharadjah fait à sa fille en début de roman est hélas finement observé, et reflète fidèlement une mentalité rétrograde encore très en vogue dans cette partie du monde. L'échec du mariage du Maharadjah avec la mère occidentale de Brindi témoigne assez du peu d'espoir de conciliation qu'entrevoyait déjà Maurice Dekobra il y a presque 90 ans. Brindi échappe à son destin, parce qu'elle a été élevée dans les lois de la République et dans le dogme de la foi chrétienne, elle y puise la force de sa résistance, mais sans l'amour fou d'un occidental partageant les mêmes valeurs, Brindi se serait soumise ou se serait tuée.

Malgré tout, Maurice Dekobra s'abstient de noircir le tableau : les personnages négatifs, à part peut-être la Maharanee, ont leurs bons côtés, et inspirent même une certaine sympathie. D'ailleurs, aucun des tortionnaires de la princesse Brindi n'est sévèrement puni. Pour l'auteur, la faute repose avant tout sur le choc des cultures, qui pour autant n'empêche pas de s'entendre sur certains sujets - même si c'est totalement impossible sur d'autres.

Le grand message de ce roman, c'est d'abord qu'une femme doit avoir le droit imprescriptible de choisir sa destinée, mais que s'il ne lui est point possible de le faire dans son pays, alors il faut qu'elle en parte définitivement. Cela reste un fort bon conseil, même au XXIème siècle...
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Sous le signe du cobra

Phénomène littéraire des Années Folles, Maurice Dekobra reste surtout connu pour ses romans "cosmopolites", « Mon Cœur Au Ralenti » (1924) et  « La Madone des Sleepings » (1925), succès planétaires qui bénéficient toujours de ponctuelles rééditions. On en oublierait presque que Maurice Dekobra fut tout sauf, précisément, l’auteur éphémère d’une époque déterminée. Sa carrière s’étale sur presque 60 ans, et comprend près de 80 romans et récits de toute sorte. Si son âge d’or se situe indéniablement dans les années 1920-1930, Maurice Dekobra ne cessa pratiquement jamais d’écrire, jusqu’à sa mort en 1973.

Entre 1923 et 1953, il fut presque exclusivement publié aux éditions Baudinière, fondées en 1918 par Gilbert Baudinière, fils d’un éditeur de cartes postales. Le succès de Maurice Dekobra est intimement lié à celui de cet éditeur roublard, provocateur, pionnier en stratégies marketing, qui assura à son poulain une liberté totale de publication, et une promotion spectaculaire et inventive qui ne s’était jamais vue auparavant.

Mais, hélas, en 1940, Gilbert Baudinière eut le tort de se lier à la France de Vichy, publiant nombre d’ouvrages antisémites ou à la gloire du Maréchal Pétain. Ne partageant nullement ces convictions, Maurice Dekobra s’est réfugié aux États-Unis durant l’Occupation. À son retour, l’écrivain assista à la débâcle de Gilbert Baudinière, traîné en justice pour collaboration, et dont la maison d’édition fut un temps saisie par l’État. Mais Gilbert Baudinière était un lutteur infatigable, qui sut faire reporter son procès sans cesse pour vices de procédure, tout en continuant, à partir de 1947, à publier des romans, alors même qu’exclu du syndicat des éditeurs, il était frappé d’une interdiction d’exercer.

Durant six ans, Gilbert Baudinière put compter sur Maurice Dekobra, qui ne ménagea pas ses efforts, offrant à son mentor huit nouveaux romans, puis enfin, les deux premiers volumes d’une autobiographie, « Sous le Signe du Cobra » (1951) et « Mes Tours du Monde » (1952). Gilbert Baudinière mourut en 1953, aussi le dernier tome de cette trilogie, « Les Femmes que J’Ai Aimées » parut en 1954 aux Éditions du Scorpion, auxquelles Dekobra restera fidèle durant quelques années.  

De ce fait, les trois volumes de cette autobiographie restent mal connus, leur publication étant quelque peu perturbée par le décès de Gilbert Baudinière. À cela s’ajoute la forme particulière que Maurice Dekobra a souhaité donner à cette autobiographie, celle d’une collection de souvenirs classés par thèmes plutôt que par ordre chronologique. Selon ce que l’auteur laisse entendre dans la préface de « Sous le Signe du Cobra », il semble que Maurice Dekobra n’était pas très à l’aise avec l’exercice d’autocélébration narcissique qui semble lui avoir été demandé par Gilbert Baudinière.

Il faut rappeler aussi que Maurice Dekobra était un Don Juan littéraire, un séducteur qui plaisait aux femmes, à la fois parce qu’il savait leur parler et les faire rêver, mais aussi parce qu’il se présentait, soit lui-même, soit via un alter-ego littéraire, d’une manière extrêmement romancée, et ne tenait sans doute guère à se montrer sous un jour plus réaliste.

Cette appréhension à se raconter, à partager l’intimité de son histoire, transparaît en permanence dans le premier tome e cette trilogie autobiographique, qui avoisine les 400 pages. Si au début de son ouvrage, Maurice Dekobra joue relativement le jeu, et se présente, de manière assez réaliste, comme le dernier né d’une famille parisienne aux idées radicales-socialistes, les lecteurs qui veulent découvrir l’homme derrière l’écrivain en seront tout de même pour leurs frais.

Certes, Maurice Dekobra veut bien se dévoiler enfant dans une famille, dont le père semblait lui-même être un homme plein d’ironie, issu de l’enseignement, et qui, en dépit de son engagement politique, appréciait beaucoup de fréquenter des représentants de l’aristocratie. La raison de cette proximité avec quelques grandes familles d’Île-de-France n’est d’ailleurs pas explicitée. Peut-être un cousinage indirect. Mais toujours est-il que le jeune Ernest Tessier (puisque c’est là le vrai nom de Maurice Dekobra) semble avoir grandi au sein d’une famille bourgeoise assez fortunée, ayant offert à son unique rejeton une éducation coûteuse et ouvertement polyglotte. Ce talent linguiste semble d’ailleurs lui avoir servi, en 1914, à couper court à la mobilisation générale pour servir d’interprète au sein des armées britanniques et américaines.

Cependant, de cela, il ne sera guère question dans ce volume. Maurice Dekobra raconte son enfance, son adolescence déjà voyageuse en Allemagne, puis dans toute l’Europe Centrale, d’abord comme étudiant, puis comme journaliste dans des organes de presse locaux, et souvent mauvais payeurs. Mais de cette évolution professionnelle, ou même de la vocation qui les a initiées, il ne sera jamais question. Maurice Dekobra veut bien reconnaître ce qu’il a fait, pas comment il a été amené à le faire. De même, rien ne justifie ses passages d’un pays à un autre, d’un journal allemand à un journal tchèque ou italien. Ces voyages se font d’ailleurs en compagnie d’amis proches ou de collègues journalistes, dont on ne saura rien d’autre, si ce n’est qu’ils furent des compagnons de voyages. En bon mondain soucieux de discrétion, Maurice Dekobra parle de sa vie à travers des évènements factuels, taisant l'origine et la nature de ses fonctions et de ses amitiés.

À partir du début de la Première Guerre Mondiale, le caractère autobiographique dela narration s’estompe peu à peu pour ne devenir, dans un premier temps, qu’un simple recueil savoureux d’anecdotes, de choses vues ou entendues, parfois même vécues en spectateur. L’année 1914 démarre ainsi sur une sorte de bref « journal de guerre », rédigé à l’époque, mais qui semble rapidement s’être interrompu. Vers la fin de la guerre, Maurice Dekobra est amené à séjourner longuement aux États-Unis, où il restera jusqu’en 1923, ce qui lui inspirera d'ailleurs « Mon Cœur Au Ralenti ». Mais de ces cinq ou six ans à parcourir le continent américain, Maurice Dekobra ne partage ici que son émerveillement face à la découverte de l’« american-way-of-life », un émerveillement d’ailleurs nuancé d’inquiétudes ou de pensées négatives face au libéralisme sauvage parfois délirant ou à la parfaite inculture des citoyens américains. Une guerre plus tard, il reprendra d’ailleurs cet exercice dans « Sept Ans chez les Hommes Libres » (1946), rapport circonstancié de sa vie américaine pendant l’Occupation française.

Néanmoins, dans « Sous le Signe du Cobra », l’auteur mêle souvenirs personnels avec ce qui apparaît clairement comme une anthologie éparpillée d'articles publiés à l’époque, dont la forme rédactionnelle et la longueur calibrée tranchent grossièrement avec le reste de la narration. Plus on avance dans le récit, plus celui-ci perd en cohésion et devient un patchwork contrasté d’articles factuels vieux de trente ans et d’impressions nostalgiques couchées sur le papier en 1951, sans d'ailleurs beaucoup d’enthousiasme, ni de nostalgie. Au final, « Sous le Signe du Cobra » devient rapidement un patchwork d’anecdotes amusantes ou d’histoires savoureuses, qui préfigurent d’ailleurs les recueils à succès de « La Réalité Dépasse la Fiction » d’Albert Aycard et Jacqueline Franck ou des « Perles du Facteur » de Jean-Charles.

Tout cela demeure néanmoins extrêmement plaisant à lire, car Maurice Dekobra s’y connaît en anecdotes et sait les raconter, même si quelques unes témoignent d’un humour bon enfant terriblement désuet. Mais nous ne sommes clairement plus dans une autobiographie, l’auteur disparait derrière ses souvenirs, comme s’il estimait que les histoires qu’il a vues ou qu’on lui a racontées sont de toutes façons bien plus passionnantes que la sienne.

Néanmoins, Maurice Dekobra consacre quelques dizaines de pages à sa carrière littéraire, même s’il semble le premier à vouloir la réduire à ses premiers succès chez Baudinière. À l’entendre, « Mon Cœur au Ralenti » serait même son premier livre, après quelques manuscrits qu’il aurait brûlé, honteux, sans les faire lire à personne. Ce qui en réalité est faux : Maurice Dekobra avait déjà publié neuf romans entre 1913 et 1924, même s’ils témoignent d’un auteur qui cherche encore son style.

On est néanmoins bien plus surpris de découvrir en Maurice Dekobra un érudit en littérature, qui connaît parfaitement les grands classiques français, et se reconnaît volontiers en héritier du Symbolisme et en vieil adversaire du Naturalisme – ce qui ne l’empêchera pourtant pas de se moquer de « l’écriture artiste » des frères Goncourt ou du style ampoulé des feuilletonistes du XIXème siècle, tout en brocardant également au passage la pauvreté d’imagination de ses contemporains, ou la stupidité de certaines de ses lectrices.

En fin de compte, dans cette alternance d’opinions littéraires, soit académiques, soit irrévérencieuses, une fois encore, le vrai visage de Maurice Dekobra nous échappe, d’autant plus que sur Claude Farrère et Pierre Loti, qui sont certainement ses plus grandes influences littéraires, Maurice Dekobra reste à peu près muet, se contenant de placer la comparaison dans la bouche de son éditeur, comme si c’était là l’opinion incongrue d’un profane.

En amour, enfin, on ne saura pas grand-chose. Maurice Dekobra veut bien confesser ses premiers flirts, deux allemandes qui s’appelaient toutes deux Klara, et qu’il désigne comme Klara I et Klara II. Mais des cironstances de la rencontre, du jeu de séduction, de la durée des relations, de la raison des ruptures, on ne saura rien. Peut-être est-ce abordé plus longuement dans le troisième tome, « Les Femmes Que J’Ai Aimées », puisque une bonne partie des lacunes de ce volume – et sans doute des deux autres - est forcément conséquente à la volonté de l’auteur de découper son histoire en thématiques.

Malgré cela, et malgré encore une fois tout le plaisir que l’on éprouve à effeuiller le recueil de souvenirs ironiques et hédonistes de Maurice Dekobra, quelque chose de crispé, et même d’horripilé, se fait sentir dans ce panier garni d’autobiographie contemporaine et de vieux articles greffés à la va-vite. Soit qu’il eût été pressé par le temps, soit que ce retour en arrière lui soit pénible, soit aussi qu’il ait rechigné à s’exécuter car ce projet n’était vraisemblablement pas le sien, on sent perpétuellement chez Maurice Dekobra le désir d’en finir au plus vite avec un livre qu’il s’efforce de rendre le plus copieux possible, comme s’il craignait que les lecteurs se sentent floués.

Heureusement, ce qui nuit gravement au rythme et à la qualité d’une autobiographie apporte en compensation une très grande richesse documentaire sur les mentalités en Europe et aux États-Unis durant la première moitié du XXème siècle. Suivant son flair journalistique, le jeune Dekobra est souvent attiré par l’insolite et le bizarre : témoin d’une obscure secte religieuse en Allemagne, des débuts de la prostitution fétichiste à Berlin, des "bootleggers" de la prohibition à Chicago, de la première réunion panafricaniste autour de Marcus Garvey (qu’il juge néanmoins ridicule, du fait que les Noirs et les Blancs sont des citoyens égaux aux États-Unis), interviewant des écrivains, des hommes d’État, des scientifiques (même si le texte de ces interviews n’est pas reproduit, ou ressemble beaucoup trop au style habituel de l'auteur), Maurice Dekobra appartient à ces hommes de lettres qui ont « survolé leur époque », selon l’expression consacrée, et à défaut d’avoir tout vu ou d’en témoigner avec une neutralité absolue, il pose un regard acéré d’hédoniste perpétuellement sceptique sur tout ce qui ne touche pas au plaisir et à la grande vie, ce qui fait de lui un témoin insolite mais pertinent.

La seule vraie question que soulèvent ces « Souvenirs de Globe-Trotter », comme Maurice Dekobra les a sous-titrés (sans que ce soit non plus un qualificatif approprié), c’est : à quel point peut-on s’y fier ? Que valent les souvenirs d’un beau-parleur soucieux de son image, et que l’on incite à la sincérité et au déballage privé, bien qu’il prévienne dès le départ ne pas vouloir tomber dans l'impudeur et la vulgarité ? Jusqu’où a-t-il joué le jeu ?

Car en vérité, même avec les moyens modernes qu’Internet met à disposition, il est impossible de vérifier la véracité de tout ce que Maurice Dekobra nous raconte. Lorsque les personnages le touchent de près, il prévient qu’il a modifié leurs noms. Quand il échange avec une célébrité, notamment américaine, cela se fait toujours dans un contexte relativement privé, dont Dekobra reste le seul témoin vivant, au moment de la publication de ce livre. Tout au plus peut-on se dire qu’un écrivain mythomane atteint du syndrome de Munchausen ferait comme le célèbre baron : il irait très loin dans l’affabulation. Or, Maurice Dekobra semble au contraire trier soigneusement ses souvenirs pour n’en conserver qu’un certain nombre, qui sont généralement rapportés de manière peu exhaustive. Cela ne ressemble pas aux manières ordinaires des mythomanes, à l’imagination toujours féconde. Sans doute que ce qui semble parfois suspect chez Maurice Dekobra, c’est le style bien reconnaissable avec lequel il raconte des anecdotes véritables, mais où il imprime la marque de sa rhétorique et le sel de son esprit, ce qui revient à donner à une anecdote réelle exactement le même ton que s’il s’agissait d’un des chapitres de ses romans.

Pour conclure, « Sous le Signe du Cobra » est un récit tout à fait passionnant, drôle et  instructif, mais c’est un livre bourré de défauts, principalement liés à sa conception, et au désir de Maurice Dekobra d’y mettre trop de souvenirs et de ragots, eux-mêmes découpés en fragments incomplets où l’auteur peine à se mettre en scène de manière crédible et réaliste, pour des raisons qui restent difficiles à cerner. On perd parfois le fil conducteur dans cet enchaînement chaotique et hétérogène d’historiettes et d’anecdotes rédigées à diverses époques, et qui tiennent du puzzle impossible à reconstituer; mais cet "hamburger" littéraire est si copieux, si nourrissant, si souvent drôle, qu’il est impossible en le refermant de rester réellement sur sa faim, même si on apprend bien peu de choses sur Maurice Dekobra lui-même, et absolument rien sur son œuvre ou sur le regard que lui-même y porte. À 66 ans, Maurice Dekobra ne voulait ni sortir de son personnage, ni l'ériger en statue pour la postérité. Le fameux signe du cobra se résume, fort trivialement, à partager avec ses lecteurs l’évocation de quelques bonnes rigolades durant ses nombreux voyages. Pour peu qu’on n’en attende pas davantage, « Sous le Signe du Cobra » sera toujours une lecture particulièrement délectable.     
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Confucius en pull-over ou le beau voyage en..

Depuis le succès planétaire de sa « Madone des Sleepings », Maurice Dekobra, créateur du roman dit "cosmopolite" qui va marquer durablement les années 1920-1930, est devenu une véritable star littéraire française, ce que beaucoup de ses confrères ne lui pardonneront pas, et qui plus est, une star littéraire exportable. Traduit dans près d’une trentaine de pays, y compris aux États-Unis où ses séances de dédicaces mobilisent des milliers de personnes (l’une d’elles, à New York, affichera une file d’attente de 7 kilomètres), Maurice Dekobra doit son immense succès aux femmes, plus particulièrement aux garçonnes, dont il a habilement compris le désir d’indépendance et les envies d’aventures émoustillantes. Parce qu’il les connaît bien et qu’il sait les rejoindre sur le terrain de la duplicité et du fantasme, il devient pendant presque quinze ans l’auteur le plus vendu des Années Folles et le plus copieusement honni par le monde des lettres, vendant au total 90 millions de livres en 60 ans de carrière.

Pourtant, si Dekobra se laisse griser par son succès, et affiche sans vergogne ses innombrables conquêtes féminines, il se montre d’excellente composition avec chacun, restera jusqu’à l’après-guerre chez l’éditeur qui l’a découvert, Baudinière, et charme tout le monde par son humour, sa simplicité et son caractère mondain sans excès. C’est donc très naturellement qu’on lui offre un poste de diplomate et d’attaché d’ambassade, sur le seul prestige de son nom – ce sur quoi il ne semble pas s’être leurré, d’autant plus que son aîné Claude Farrère, romancier exotique à défaut d’être encore cosmopolite, l’avait précédé sur cette voie diplomatique. Outre l’éventualité d’orienter son tableau de chasse vers des femmes de la haute société, Maurice Dekobra, qui semble avoir été un assez bon diplomate, voit dans cette nomination honorifique d’appréciables occasions de voyager dans de nombreux pays aux frais de l’État. Cette fonction lui permit, sur le plan littéraire, d’écrire sur les pays qu’il visitait avec nettement plus de connaissances géopolitiques que beaucoup de ses confrères. Pour autant, si être attaché d’ambassade est bien pratique pour connaître les coulisses de la politique d’un pays, on ne visite ce pays qu’à travers ses ambassades, ce qui n’est pas nécessairement le meilleur moyen de le connaître.

Lorsque Maurice Dekobra visite la Chine, c’est un pays fort différent de ce qu’il est aujourd’hui. Depuis de nombreuses décennies, la Chine ne parvient pas à sortir du régime médiéval dynastique dont elle est héritière depuis de trop nombreux millénaires. Plusieurs généraux ambitieux se retranchent dans différentes grandes villes de Chine, et mènent entre eux une guerre sans fin, chacun se jugeant le seul souverain de la Chine. La situation pourrait sombrer dans le chaos total, si la Chine n’avait eu ce brillant sens du commerce international dont elle fait encore preuve aujourd’hui.

Face à l’instabilité du pays, qui n’autorisait pour l’Occident ni un protectorat, ni une colonisation, face à un peuple aussi fragmenté et perdu dans une guerre civile sans issue, la communauté internationale avait installé en 1861 un système unique au monde de "concessions territoriales". D’abord allouées à des entreprises d’import-export qui souhaitaient travailler en Chine tout en demeurant neutres quant aux conflits internes, ces concessions sont devenues des zones territoriales externes, au sein même des villes chinoises, régies par une autorité locale qui était en mesure de faire régner la loi en dehors de toute partisanerie chinoise. Les concessions, qui étaient généralement les quartiers entourant des sièges d'entreprises européennes ou américaines, avaient leurs propres règlements qui ne s’appliquaient pas aux zones chinoises, ni autres concessions. Outre la France, la Grande-Bretagne et le Japon étaient majoritaires dans le nombre de concessions obtenues en Chine, tandis que la plupart des pays européens (Belgique, Italie, Allemagne, Autriche), et les grandes puissances (États-Unis, Russie) y avaient une ou deux concessions dans quelques villes.

Ce morcèlement de concessions maintenait une paix fragile en Chine, en paralysant les grandes villes du pays, principalement Shanghaï et Tientsin, où il y avait tant de concessions que les zones chinoises y étaient minoritaires. Impossible donc d’y recruter ou d’y faire défiler une armée, impossible d'y livrer bataille. Mais l’inconvénient, c’est qu’il s’agissait tout de même d’une colonisation en bonne et due forme, où chaque concession employait du personnel chinois, mais où tout commerce d’exportation ne payait que peu de taxes – voire pas de taxes du tout – aux villes chinoises.

Ce système de concessions fut aboli en quelques années durant la Seconde Guerre Mondiale, le conflit rendant de plus en plus fragiles les industries qui avaient jusque là l’avantage appréciable de fournir des salaires au Chinois. La France fut la dernière à quitter le pays, d’abord parce que la renonciation aux concessions françaises fut négociée avec le Maréchal Pétain, sous le Régime de Vichy, et donc totalement remise en question par le gouvernement provisoire à la Libération; et ensuite parce que la France disposait également d’un territoire authentiquement colonial, au sud-est de la Chine et à l’est de l’actuel Vietnam, incluant une grande partie de la province de Guangdong et la totalité de la péninsule de Leizhou. Ce territoire était rattaché administrativement à l’Indochine Française, il fut envahi et partiellement ravagé par les Japonais en 1943, et finalement, rétrocédé à la Chine en 1945, vu que la France n’avait ni l’envie ni les moyens financiers de procéder à sa reconstruction.

Aussi Maurice Dekobra, fraîchement nommé diplomate, découvre une Chine à bout de souffle. Il assiste au lent pourrissement de ce système de concessions internationales, qui empêche les guerres, mais autorise tacitement toutes les corruptions, tous les trafics...

« Confucius en Pull-Over » : ce titre peut faire sourire, mais au moment où Maurice Dekobra publie ce premier essai directement inspiré de sa jeune expérience de diplomate, cette métaphore fait pleinement sens. Déchirée entre des conflits claniques, la population chinoise préfère en effet en rester à Confucius. Quant au pull-over, c’est alors un vêtement récent et occidental, une modernisation américaine du classique chandail des ouvriers, destinée primitivement aux officiers de marine. Affirmant avoir vu, sur l’œuvre picturale d’un jeune peintre chinois ayant étudié en Europe, une représentation de Confucius en pull-over, il y voit le symbole de cette union absurde et contre-nature entre Orient et Occident.

Pour autant, s’il ne manque pas d’une certaine lucidité sur la défiance et la difficulté de compréhension entre Chinois et Occidentaux, Maurice Dekobra n’est pas un essayiste qui veut faire entendre une théorie argumentée. Son livre est avant tout une collection d’impressions, d’anecdotes, de doutes et d’interrogations, ce qui dénote néanmoins d’un bel esprit d’indépendance, car ces conclusions ne sont certainement pas celles qui dominaient en France dans l'administration coloniale de l’époque.

Rédigé vraisemblablement à partir de notes de voyage, dont on sent parfois le mastic un peu grossier qui les unit, « Confucius en Pull-Over » suit Dekobra pratiquement au jour le jour, mais de manière confuse, sans aucun repère chronologique (on ne sait d’ailleurs pas combien de semaines ou de mois dure ce séjour) ni de précisions sur ses trajets. L’auteur passe de ville en ville, d’une ambassade officielle à la vaste propriété d’un haut-fonctionnaire. Il interroge et rapporte les propos des administrateurs coloniaux qu’il croise apparemment dans des réunions mondaines, mais aussi celle des invités chinois qui "collaborent" - parfois de mauvaise grâce – avec l’occupant. Là est sans doute la faiblesse de cet ouvrage, où les interlocuteurs de Maurice Dekobra sont certes bavards et érudits, mais ne représentent guère le Chinois "moyen". Il n’y a là que des diplomates, des édiles locaux, chinois ou non, des notables, des stars du cinéma, des étudiants chinois de retour de l’étranger, toute une jeunesse partagée entre deux cultures, mais qui continue à préférer Confucius à Voltaire et ne nous envie que nos élégances superficielles.

Maurice Dekobra fait en effet un "beau" voyage en Chine, c’est-à dire un voyage à la fois diplomatique et touristique, guidé par des fonctionnaires qui lui racontent et ne lui indiquent que ce qui leur plait. L’auteur est conscient de n’avoir finalement, pour remplir son livre, que les opinions des autres, ou du moins, celles qu’on veut lui faire écrire. À titre personnel, il n’a que des lieux touristiques à nous décrire – et à nous montrer, car son livre est accompagné par d’abondantes photographies prises en Chine souvent par lui-même - ainsi que les quartiers de la prostitution, au sujet desquels il nous raconte à peu près tout, sauf ce qu’il est venu y faire – mais une explication est-elle nécessaire ? Quelque part, il faut reconnaître au moins à Maurice Dekobra une sincérité réaliste et gauloise qui l’amène, contrairement à Claude Farrère, à ne pas aseptiser sa prose pour la rendre digne de sa fonction, honorable et tous publics.

Tout au plus, reprochera-t-on, à Dekobra, comme à son fort négligent éditeur, des transcriptions très fantaisistes des noms chinois de lieux et de personnages, sans doute seulement entendus à l’oral et très imparfaitement occidentalisés ("Szetchouen" au lieu de "Sichuan", "Whangpou" au lieu de "Hangpu", "Hangchow" au lieu de "Hongzhu", etc…), mais sans doute n’existait-il pas, à l’époque, de romanisations "officielles"…

Il n’empêche, malgré une certaine platitude due à la récurrence linéaire d’une vie tranquille de diplomate, passant de ville en ville, de conversations mondaines en cocktails huppés, le récit de Dekobra hésite de façon intéressante et personnelle entre le séjour idyllique, curieux et rigolard d’un riche touriste, et l’inquiétude sourde du diplomate redoutant un désastre à venir, une spoliation territoriale malaisée, une corruption irrattrapable, un racisme réciproque destiné à mener tôt ou tard à un conflit très grave. Tout cela amène Maurice Dekobra à s’interroger plus globalement sur les prétendus bienfaits de la civilisation occidentale, et sur la condescendance et l’humiliation que dissimule notre soi-disante sollicitude morale et politique. Il est troublant de lire, sous la plume presque nonagénaire d’un écrivain plutôt sympathisant à la base de l’empire colonial français, des reproches et des condamnations morales qui sont encore celles que nous renvoient l’actuel gouvernement chinois, preuve peut-être que si la Chine a bien changé, l’Occident, lui, n’a sans doute pas su évoluer tant que ça, dans le regard qu’il porte sur des civilisations qui ne partagent pas ses valeurs fondamentales.

« Confucius En Pull-Over » s’achève d’ailleurs sur quelques prospectives terriblement pessimistes. Maurice Dekobra n’imagine pas, en 1934, d’issue heureuse à la situation bancale de la Chine, sinon par le biais d’une fragile réconciliation de ses différentes factions autour d’une volonté commune de chasser les Occidentaux. Mais il pense également que notre retrait de Chine serait de nature à encourager les ambitions conquérantes de la Russie et du Japon, et qu’une guerre sanglante pourrait opposer ces trois pays le jour où les concessionnaires occidentaux quitteraient la Chine.

Cependant, Maurice Dekobra ne devine pas que cette guerre sera aussi la nôtre, pas plus qu’il ne devine que, sous l’impulsion d’un seul homme, un certain Mao Tsé Toung, l’idéologie communiste parviendra, seulement quinze ans plus tard, à cimenter, comme jamais il n’a été, ce peuple émietté et égaré dans des hostilités sans fin. De même que beaucoup d’autres observateurs géopolitiques français du premier tiers du XXème siècle, Maurice Dekobra n’imagine pas l’incroyable travail de métamorphose qui saisira la Chine et le Japon quelques années plus tard. Il ne voit dans la Chine qu’une sorte de nation antique délicate, sans doute trop délicate, totalement à la dérive, et dont il n’est pas certain qu’elle ne soit pas amenée à disparaître. Peut-être d’ailleurs faut-il voir dans cette inquiétude sur le futur de la Chine la raison de ce flot de photographies, certaines pourtant guère plus passionnantes qu’une carte postale, dont il parsème son ouvrage.

Pour toutes ces raisons, « Confucius en Pull-Over » est un livre très pertinent à relire aujourd’hui, même s’il témoigne d’une époque révolue, car si les peuples changent, les problèmes demeurent, et c’est cette permanence transgénérationnelle de problèmes jamais totalement réglés, qui font peut-être aujourd'hui soudainement vaciller une humanité qui se croyait à jamais débarrassée du spectre hideux de la guerre. En 1934, pourtant, la guerre n’était pas loin, et Maurice Dekobra en sentait confusément les prémisses. Qui pouvait se vanter, il y a seulement cinq ans, de présager aussi justement le retour d'une guerre aux implications mondiales ?
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