Ce qui marque les esprits, c’est une forme de désenchantement, une profonde déception du rêve européen sinon brisé, du moins entamé, une vie contrainte par les restrictions ; la construction européenne, cette utopie des décennies précédentes, ne fait plus rêver.
L'âme féminine, plus facile à s'inquiéter, plus prompte peut-être à s'émouvoir, répond plus spontanément aux sollicitations de ces austères architectures : voilà qui expliquera peut-être qu'Anne Radcliffe soit si nettement supérieure à ses imitateurs masculins, et peut-être à Lewis lui-même, quand il s'agit de transcrire, avec des vibrations dans l’âme, les inquiétants mystères et la solennelle présence d'une demeure médiévale.
Ce n’est pas seulement le gouvernement qui suscite des doutes et de la méfiance. Ce sont toutes les élites, l’ensemble de la classe politique, la plupart des institutions, y compris la justice, mais aussi les médias qui perdent en crédibilité
Si Melmoth est cet "admirable emblème" de la condition humaine qui étonnait Baudelaire, c'est parce qu'il représente l'ultime incarnation des valeurs qu'avaient fragmentairement et imparfaitement portées avant lui Orazio, Connal et Bertram. Du premier, encore mal affranchi des pesantes servitudes de la fiction germanique, il a les manières théâtrales d'apparaître et de forcer les murailles ; du second, il a hérité la farouche intransigeance et le sens désespéré de l'absolu ; au troisième il doit enfin son acharnement tragique à se perdre. Mieux que tous, il incarne le type du héros maudit et du réprouvé.
"Le merveilleux n'est pas le même à toutes les époques. Il participe obscurément d'une sorte de révélation générale dont le détail seul nous parvient. Ce sont les ruines romantiques, le mannequin moderne, ou tout autre symbole propre à remuer la sensibilité humaine durant un temps."
La Nouvelle Angleterre, avec ses forêts profondes, ses merveilleux paysages, ses monts sauvages, sa côte déchiquetée, creusée de gouffres, est bien un lieu propice à l'aventure et au mystère. S'y promener, nous dit Lovecraft, c'est traverser le temps et l'espace, pénétrer dans un tableau accroché au mur, s'installer dans l'inadmissible : nulle part ailleurs il n'est possible de sentir aussi fortement la présence de l'insolite, du sinistre, de l'impie, du macabre.