Superbe découverte avec ce recueil de courts récits et écrits datant de l'entre-deux-guerres et que les éditions Cambourakis rééditent avec bonheur: Cinéma muet avec battements de cœur. L'auteur en est Desző Kosztolányi, auteur hongrois qui fut aussi traducteur et poète, et qui fut l'une des figures importante de la Hongrie littéraire de son temps (1885-1936).
Remarquablement vivants, ironiques et précis, ces courts textes (une demie page à cinq pages) peuvent se lire dans le désordre, car ils sont indépendant les uns des autres. On les savourera sans doute d'autant mieux qu'on les picorera, plutôt que des les enchaîner dans une lecture industrieuse, même si elle est enthousiaste.
Bourrée d'ironie et de bienveillance, mais pas d'indulgence, vis à vis de lui-même comme de ces personnages, Kosztolányi pose sur tout un regard vif et une écriture lumineuse, sans rien qui pèse ou qui pose. Une littérature qui ne cherche pas à atteindre au chef d’œuvre, au grand livre qu'on admire, comme un tableau sophistiqué, romantique ou épique, dans la grande galerie d'un musée, mais qui semble plutôt simplement chercher à s'inscrire dans le tissu des jours, à vivre et dire, à montrer et révéler le merveilleux et l'humain du banal, de l'ordinaire. Pas d'intrigue inracontable, pas vraiment de bruit et de fureur, de vertige du zéro ou de l'infini, de fracas de la grande histoire... Dans ces écrits, la plume est plus style de vie qu'outil de travail. Un stylo-plume, qui a d'ailleurs droit a un texte qui devrait toucher tout ceux qui sont attachés à cet objet qui semble aujourd'hui d'un autre temps. Avec Kosztolányi, c'est la vie même qui devient littérature, en s'ancrant (ou en s'encrant!) avec légèreté dans le réel, sans souffrance. Il y a quelque chose d'une acupuncture réussit dans cette littérature, cette écriture: une piqûre de rien et la vie circule mieux, plus librement, plus énergiquement.
Il ne s'agit délibérément que de fragments, comme peuvent s'écrire les poèmes, sauf que ce ne sont pas des poèmes. Cette forme de littérature et d'écriture, l'auteur l'avait inauguré avec les nouvelles qui constituent cette sorte d'autobiographie parallèle ou en double qu'est Kornél Esti (qui a fait aussi l'objet d'une réédition par le même éditeur).
Dans le premier "chapitre" de ce dernier, le dialogue entre l'auteur et son double (né le même jour que lui et qui lui ressemble tant qu'on les confond parfois) envisage ce que doit être le livre à venir.
- Alors qu'est-ce que ce sera ?
- Les trois à la fois. Un récit de voyage dans lequel je raconterai où j'aurais aimé aller, une biographie romanesque dans laquelle je rendrai compte des diverses morts de héros en rêve. J'ai une condition cependant. Ne l'intègre pas à un quelconque récit stupide. Que tout reste comme il sied au poème : fragment.
Qu'on ne s'y trompe pas, tout cela est aussi un travail, qui est aussi exigeant que la vie elle-même. L'auteur fait avouer et revendiquer par son double que le métier d'écrivain est un vrai métier, et même un métier difficile, mais l'un et l'autre veulent être de ces écrivains qui cognent aux portes de l'être et tentent l'impossible.
Ecriture et vie se confondent. Il ne s'agit sans doute pas plus d'écrire pour vivre que de vivre pour écrire, mais simplement d'écrire et de vivre, de vivre et d'écrire. Cependant par dessus tout je suis sensible et curieux. Tout et tout le monde m'intéresse. J'aime tout et tout le monde, tous les peuples et tous les pays. Je suis tout le monde et personne. Oiseau migrateur, transformiste, magicien, anguille qui ne cesse de glisser entre les doigts. Impénétrable, insaisissable.
Les chose apparaissent dans toute leur précision, on les dit, on s'en émeut ou en en rit, et puis on les laisse passer et continuer leur vie, sans en rajouter. Sans en faire toute une "littérature".
On peut sentir là un bonheur trouvé de l'écriture. Il nous permet de trouver notre bonheur de lecteur.
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