FILS et petit-fils de mineurs, aussi loin que remontent mes souvenirs, je retrouve la rude vie du travailleur: beaucoup de peines et peu de joies. Le coron triste, l'entrée du carreau, le cheminement des mineurs accablés par l'effort à plusieurs centaines de mètres sous terre, et parfois l'accordéon, la course des « coulonneur » et les flonflons de la ducasse. Sur ce fond monotone et terne surgit, plus intense, plus poignant, le défilé des bâches noires ou vertes marquées de taches foncées, s'allonge la perspective des cercueils de bois blanc, alignés dans les hangars. Je vois des hommes, des femmes, des enfants courir en tout sens, se heurter, se gendarmes gardent des portes contre lesquelles se brise une foule hurlante... Puis mes souvenirs s'enchaînent, se précisent, s'éclaircissent. Les scènes et les couleurs deviennent plus distinctes et plus nettes. Je vais avoir six ans, étant né presque avec le siècle, le 28 avril 1900...
...Un jour comme les autres, je jouais avec d'autres gosses du coron lorsque notre attention fut attirée par un grondement sourd, un piétinement lointain, le fracas des sabots sur les direction : je fis comme eux. C'était amusant de galoper, de dépasser les vieux qui soufflaient, les femmes qui portaient leur dernier-né sur le bras. On criait :
- C'est à Courrières ! A la fosse de Méricourt ! Il y a des centaines de victimes !
Ainsi le 10 mars 1906, je galopai dans la brume glacée et je parcourus, aussi vite que me le permettaient mes petites jambes, les sept kilomètres qui séparent Noyelles-Godault des corons de Méricourt, sur la route de Lens. Des villages environnants, mineurs quittant leur travail, femmes et enfants se bousculant, s'interpelant, brassés, mélangés, emportés, ressemblaient à quelque armée en déroute sur qui s'allongeait l'ombre de la mort.
A Méricourt, je ne vis d'abord rien. Le flot humain venait s'écraser contre une haute grille
...
-Mon mari est au fond...
-Mes enfants sont au fond...
-Tous les miens sont au fond...
Le monde était vêtu de noir. Sur le seuil des maisons, le long du coron, les gens pleuraient, des enfants se serraient autour de leurs mères. .... on transformait des hangars en chapelles ardentes ...
...Pour grossir les dividendes, treize cents ouvriers avaient connu une affreuse agonie au fond de la mine.
...
La politique dite de "non intervention" fut une sinistre duperie. Les concessions et les capitulations successives ne pouvaient qu'enhardir les gouvernants fascistes.
Il faut savoir terminer une gréve .