Citations de Max Rouquette (19)
La pie
Ici elle régnait sur la branche la plus haute d'un pommier
en fleurs.
Là-bas, elle guettait, prudente et méfiante, tout passage de
quiconque autour de l'ormeau où elle avait construit son
nid.
Partout elle était femme, habillée en homme, vêtue de noir
et du gilet blanc du viveur ou de l'illusionniste.
Elle pouvait se passer du haut-de-forme, tant sa présence
faisait oublier tout le reste. Et quand je dis : pouvait, je
devrais dire, plutôt, peut, car elle ne s'arrêtera pas demain
matin.
Elle a la vie dure, reconnue aux chats parce qu'ils vivent
dans l'ombre des hommes, tandis que d'elle, la provinciale,
nul ne parle. Elle n'en pense pas moins. Et demeure. Impé-
riale.
À la cime de la plus haute branche d'un pommier en
fleurs.
p.26
la guêpe
Elle lissait ses antennes
ses antennes faites d'or,
auprès de l'eau-miroir
sur le souple lit de l'herbe…
Dans un matin qui agitait
ombre et lumière, de son souffle.
C'était pause en son élan.
Un éclair pour voir sa vie
et savoir ce qu'est la joie.
Un éclair dans la passion
qui, sans cesse, la jetait,
pierre lancée à la clarté.
Elle était flèche dans l'air.
Aussi rapide que parole.
aussi rapide que sa vie.
Qu'elle vivait sans y songer.
Elle était vie. Elle était la vie.
Sans en chercher la raison.
Elle l'était. Et cela suffisait, dans la lumière.
Elle portait une vie obscure,
venue de loin. Et qui devait
se prolonger au long des siècles.
Sans fin. De fin, rien que pour elle.
Elle lissait ses antennes
ses antennes faites d'or,
auprès de l'eau-miroir
sur le souple lit de l'herbe.
p.28
Le cygne
Cygne qui sais garder ta vie
de tout chant pour mieux recueillir
d'heure en heure l'or du silence
d'un cœur de braise enseveli,
heureux le chant de la merveille
qu'un cœur de neige peut cacher,
ultime fleur, altissime poème
où le désir se vient transfigurer.
Sur le miroir de l'eau tranquille
un phénix blanc songe au bûcher,
tandis que croît, ombre sur plaine,
l'éternel envol d'un chant dernier.
p.48
Septembre
Les cigales se sont tues,
couchées sur le sol par le grand sommeil,
et leurs petits bras repliés
comme si elles soutenaient le poids du ciel.
p.40
Les libellules
Sur le bassin mélancolique,
les libellules de septembre
ne se lassent jamais de se bercer
au-dessus de l'eau plane,
et d'écrire au ciel du miroir
le huit couché de l'infini.
p.38
Le lézard
Le lézard est tout pensif.
Dans sa tête il se souvient.
D'un grand songe il tient le fil,
mais le fil n'est pas la corde.
Et le lézard se souvient,
et souffle comme un lézard
qui lézarde en plein désert :
« Ah !..., soupire le lézard,
y songeant, j'ai tant de peine !
Sur la plaine et dans le désert
il n'y avait que des lézards !
Maintenant, le mond est fini… »
Et le lézard se rappelle
que si fil est le lézard,
le dinosaure est la corde.
p.30
Le grillon
Grillon perdu dans la méridienne,
grillon de la soirée de mai,
roi du royaume de la nuit,
roi de ma solitude et roi
de la solitude du monde,
ta chanson me rend la paix,
ta chanson qui meut les étoiles,
qui meut le monde avec le vent,
quand feu du ciel comme chandelle
vacille au gré de ton haleine.
Sage qui, selon les vieux sages,
prends tant de joie à ta chanson,
qu'en oubliant boire et manger,
délice, tu meurs en chantant.
p.54
Le crocodile
Maintenant mon cœur, je vous dirai
quel bon cœur ont les crocodiles.
Combien de larmes ont coulé
de leurs doux yeux de crocodiles !
Quel bonheur que celui qui va,
pour rencontrer le crocodile.
En ce monde horrible et si dur,
oh ! s'il vous mange, quel bonheur !
quel bonheur d'être aussi certain,
qu'au moins, ici, quelqu'un vous pleure.
p.36
La mante religieuse
Dévote, jolie dévote,
qu'espères-tu de l'été ?
De thym
il te rassasie,
de lavande
il t'enrichit.
De laiteron,
puis, t'enivre,
et te couvre
de légumes.
Dévote, jolie dévote,
qu'espères-tu de l'été ?
Mais, vêtue de sombre espoir,
maigre habitant du désert,
tu es comme Jean-Baptiste,
aigre moine, vert pèlerin,
fascinateur du Bon Dieu,
de garrigue, évangéliste,
et, la tête dans le ciel,
tu te nourris de sauterelles !
Dévote, belle dévote,
tu lasseras le Bon Dieu !
p.44
Les oiseaux que j'ai croisés
Les oiseaux que j'ai croisés, une heure de ma vie,
dans le passé volent éternellement
avec mon âme de cette heure ;
ainsi d'un arbre de l'hiver
une feuille qui se détache
et qui s'en va au fil de l'eau.
Moi de cette heure, oiseau d'antan,
palombes évanouies
où vous mena sans trêve ni repos
l'eau dans sa fuite ?
Toujours, toujours, mon cœur chemine
pèlerin ignorant du repos
dans la combe de ma poitrine,
éternel pèlerin sous un ciel
traversé d'absence d'oiseau.
p.62
Oiseaux
Oiseaux de l'été
qui volez vers l'eau,
la source tarie,
le vol éternel ;
traversant le ciel
oiseaux de novembre,
chemin de Saint-Jacques
au bleu du souvenir ;
oiseaux de bois noir
cercles de silence,
au ciel de mémoire
toujours revenez ;
et de rose marbre
ô mystique paon,
becquetant l'or du soir
aux raisins romans.
p.58
Le serpent du Nil
Douce vrille arrondie de sarment
sous la râpe d'une feuille de figuier,
dormait le serpent du Nil.
Il dormait dans l'oubli du destin qu'il portait
sans savoir qui, en un râle d'amour,
au baiser du venin tendrait le sein.
p.60
Citerne du hibou
Nuit, citerne
où le hibou jette son cri
depuis mille ans
sans jamais en avoir d'écho.
La nuit creusait son infini
peuplé de pèlerins en marche.
Les pauvres feux au vent du monde
se pliaient et se déployaient
en un doux tremblement.
Et les yeux de l'enfant étaient les seuls
à s'enivrer de cet espace.
p.50
La tique
Tique, tique, encore tique,
nous sommes parents, et cousins ;
si l'une goûte à bon sang,
elle informe ses voisins.
« Nous, de la race d'élite,
qui, cramponnés sur la patrie,
voyons passer les barbaries
avec les civilisations. »
p.34
Le dire de l'araignée
Je ne suis rien, je ne suis rien.
Rien qu'un défaut dans la lumière,
rien qu'un petit flacon de laine,
flocon de fils dans la lumière.
Je ne suis pas grand-chose.
De salive, je fais des constellations,
nébuleuses au fond de la lumière.
Sombre dans la lumière où tout est clarté
et tout est lumière autour de moi.
p.24
Le crapaud
Parce que ses yeux s'enchantent de la lune
claire dans le ciel obscur
un crapaud de l'été doucement nage
dans l'eau plane, pur miroir.
Plus haut que la plus haute branche
elle, qui glisse éternellement,
descend, et dans l'eau, un moment
danse pour lui en robe blanche.
p.56
Longue bête
Longue bête aux pas de silence,
elle rôde dans les ténèbres de tout homme.
Cent millions d'années n'ont pas atteint
sa peau tigrée sous laquelle se meuvent
les cordons noueux de sa force.
Fantômes des sentiers en sa forêt de pierre,
près des maisons, recherchant les cavernes,
sans trêve, elle allonge son pas,
et, svelte, dans la fureur de son rut,
en un long bâillement, montre les dents.
p.22
Chanson de l'araignée
L'araignée du soir,
crépuscule et crépuscule,
dans le soir tend son filet,
pour prendre le clair de lune.
Fait de toile
son étoile
et croit bien qu'en pâliront
au ciel les constellations.
Et l'araignée du matin
son jour n'est plus que chagrin,
quand au lieu de clair de lune,
voit changé son beau filet
en un fin mouchoir brodé,
où l'aurore, une par une,
recueillit, passant le mont,
les larmes de la nuit.
Et l'araignée dans le soir,
crépuscule et crépuscule,
à nouveau tend son filet
pour prendre le clair de lune.
p.20
L'essence de la poésie est rebelle à tout discours.
Quand elle le sent, elle se dérobe. Trop souvent, il y en a trop qui se contentent ainsi du discours, de la parole déroulée sans se soucier de la résonance des mots entre eux. Alors que l'écho le plus haut de la poésie n'est pas tant dans le message que dans le monde tout neuf créé. Et qui ne peut naître que d'une sorte de gravitation continue des paroles entre elles.
Comme des planètes, comme des astres qui s'envoient et se renvoient leur éclat pour composer, ensemble et par le mouvement de chacun, cet univers de fond de nuit qui nous fait rêver.
Message oui, mais autre et dit autrement. Dans la langue de la poésie qui est chant et musique d'images, de reflets et d'échos, et de leurs harmoniques vibrant toujours et sans cesse dans l'âme.