Ce langage muet qui sort d'une toile, d'un marbre rendu vivant par l'effort du génie, n'est-il pas éloquent, à l'égal des plus beaux discours ? Voilà pourquoi la religion qui appelle dans ses temples des orateurs pour enseigner et moraliser les peuples, appelle aussi les arts dans leur enceinte.
Son goût pour les maîtres du seizième siècle commençait aussi à se développer. Il occupait alors une des cellules de l'ancien couvent des Capucines, au coin de la rue de la Paix et du boulevard. C'est là que s'étaient retirés plusieurs artistes peintres ou sculpteurs: Girodet, Gros, Delécluze, comme lui élèves de David, Dupaty, Chauvain, Granet, Bergeret, Bartolini, etc. Ingres, en compagnie de Bartolini et de Bergeret, dirigeait là ses études sur les artistes italiens de la Renaissance. « A eux trois ils formaient, dit M. Delécluze, une espèce d'académie à part dansles Capucines. Personne n'était admis chez eux, et l'on n'avait qu'une idée vague de ce qu'ils faisaient dans le mystère de leurs ateliers.»
En 1800, Ingres, âgé de vingt ans, concourut pour le prix de Rome. Son tableau, Antiochus renvoie à Scipion son fils qui avait été fait prisonnier, obtint le second prix. Ce succès exempta le jeune homme de la conscription.
Plus heureux au concours de l'année suivante, il mérita-le premier grand prix. Le sujet était: Achille recevant dans sa tente les envoyés d'Agammennon. Ces deux tableaux se distinguent déjà par une touche large, un dessin savant et de belles carnations. Le second, conservé aujourd'hui à l'Ecole des beaux-arts, aurait dû envoyer le jeune lauréat à Rome, si la situation du trésor public l'eût permis.
Ingres nous apparaît aujourd'hui comme l'une de ces glorieuses figures
qui sont dignes de l'admiration de leurs contemporains, et qui passeront à la postérité, entourées du respect des âges. Pendant soixante ans, il opposa aux attaques les plus passionnées l'énergie d'une volonté persévérante, l'exemple d'un dévouement absolu à son art, l'autorité d'une science consommée et d'un génie fécond jusque dans sa vieillesse. N'en est-ce point asse pour rendre un nom glorieux et digne de mémoire?
L'Empereur sur son trône n'est pas sans défauts; mais il a aussi des qualités qui frappent. On admire le caractère austère du personnage, la majesté de l'attitude, le style grandiose du dessin; c'est un portrait épique. L'intelligence du peintre, qui ne récusait aucune des formes expressives du grand art, avait adopté celle de l'épopée pour représenter l'empereur des Français.
Consacrer sa vie à ce noble labeur, c'est être artiste. Oh ! qu'elle est donc grande, élevée cette mission ! Ériger des temples à Dieu, des palais, des monuments à la cité; sculpter sur le marbre ou l'airain la figure des grands hommes; reproduire sur la toile une fidèle image du passé et les actions dignes d'un immortel souvenir quel sublime apostolat !...