Quand nous travaillons à des virgules, nous faisons de l’artisanat,
La musique structure mon rapport à la traduction, parce que je considère que le texte littéraire est organisé comme un texte musical dans la mesure où les mots sont des entités sonores qu’on entend.
À la sortie de la ville, le voile bleuté de l'aube s'estompa pour laisser place à une lueur citron nimbant la dentelure des monts entre lesquels un immense plateau arable émergeait de l'obscurité. Le paysage nu s'accordait au ciel. Seule la veinule d'un fleuve entre les plis du relief rythmait la psalmodie terrestre, agrégeant des verts encore indécis au milieu de cette symphonie d'ocre, d'écru et de cassis.
Je promenais mon regard le long de ce parterre d'hommes et de femmes dont l'orientation parfaitement ordonnée me fit penser à un champ de tournesol. Ces fleurs d'étoffe claire beige, pourpre, bleu clair tournées vers le soleil se recueillaient comme un seul corps, réitérant de concert leur supplique...
Qui conquiert acquiert, pensai-je, ce qui se reflétait dans la langue où se forgeraient les récits de la victoire pour la mémoire des siècles. Avec pour corollaire : qui est conquis subit : styles, architectures, croyances, locutions. Mon tropisme consensuel m'incitait à tout équilibrer. Une concession ici, un contre-argument par là. Sais-tu Halil tout ce que le français doit à l'arabe? Abricot, jupe, café, alcool... azimut. Hasard! Plus de 400 mots (je viens de vérifier). Ce petit jeu mettait toujours de la bonne humeur dans un habitacle multilingue. Chacun pouvait y sonder sa langue et ses emprunts barbares.
Quand je traduis le livre de quelqu’un qui essaye de comprendre le monde et d’eclairer un peu lus l’obscurité ,j’ai l’impression d’y voir plus clair et J’espère aider aussi un inconnu à y voir plus clair.
Ce qui n’est plus ne m’intéresse qu’en tant que ferment d’un futur à faire.
Les mots étaient une espèce phorétique. Ils voyageaient avec les livres, accrochés à la parole de leurs locuteurs comme les rémoras sur le dos des requins avant d'être repris par d'autres, répétés, incorporés, détournés, ventousés sur la peau d'une langue étrangère. Tamam! lança Halil dont les lunettes de soleil ne suffisaient pas à masquer l'excitation. Tamam, acquiesça Shokoofeh avant de lancer un regard à son mari. Du verbe tamamlamak, compléter, terminer, hnir. Tamam signifiant: d'accord, très bien, c'est bon, entendu, je t'ai compris.
C'est alors que le lancinant préambule du muezzin, peu suivi par la foule jusque-là, prit une inflexion psalmodique. Chacun ajusta sa posture, disposant ses paumes vers le ciel. Celles et ceux qui n'avaient pas encore rejoint le sol s'abaissèrent, récoltant des moues désapprobatrices. Des paumes, des milliers de paumes et de doigts déployés s'élevaient désormais vers le ciel limpide où pas un oiseau ne volait : partois, prenant appui sur les genoux comme deux bols d'offrande ; parfois dépliés à hauteur de poitrine ou simplement recueillis en une forme de nid entre les jambes de ceux installés en tailleur.
Amine!
Bercé par cet ostinato, certain qu'on ne prêtait plus attention à ma présence, je promenais mon regard le long de ce parterre d'hommes et de femmes dont l'orientation partaitement ordonnée me fit penser à un champ de tournesols. Ces fleurs d'étoffe claire, beige, pourpre, bleu clair tournées vers leur soleil se recueillaient comme un seul corps, réitérant de concert leur supplique tandis quue j'entrevoyais la possibilité d'une sorte d'abandon. « Cesse d'opposer ton esprit à tout ce qui survient. Lâche prise. »