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Citations de Melania G. Mazzucco (54)


Aujourd’hui, on vous traîne au tribunal pour une phrase de travers, et si vous êtes peintre, pour un personnage de travers, c’est-à-dire un personnage qui n’apparaît pas dans les Écritures, fait quelque chose dont elles ne parlent pas ou le fait autrement. L’imagination elle-même est sous les verrous. Je ne me souviens pas très bien de tous ces débats, qui avaient peut-être à voir avec la théologie, mais peut-être aussi simplement avec le sens de la vie. Et je ne veux pas m’en souvenir, car mon Église les a condamnés
et je me suis incliné : nous avons brûlé tous les livres qui en rapportaient l’écho.
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On était fin mai, peut-être le même jour qu’aujourd’hui où j’évoque ces souvenirs : je ne sais pas, je ne me suis jamais soucié de connaître ma position dans le temps. Je ne me souviens même pas de ma date de naissance. Ce qui compte, ce n’est pas où j’étais ni où je suis, mais où je serai dans cent, trois cents ans. Si je ne suis nulle part, j’aurai vécu une existence inutile et stérile de caillou. Le scandale en nous n’est pas la mort, mais l’éternité. Le vent balayait la lagune, notre reflet se fragmentait sur l’eau comme dans un miroir brisé. La gondole avait la même couleur menaçante et brillante qu’une carapace de scarabée. Tout devenait livide, et le ciel semblait se refermer sur nous. Mais je n’avais décelé aucun présage.
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...l'amitié ne renaît pas, elle a besoin de temps pour s'enraciner, comme un arbre. Les vieux n'ont pas d'amis.
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Venise brûle régulièrement. La ville d’eau meurt par le feu.
Venezia brucia regolarmente. La città d'acqua muore di fuoco.
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Exitus

La nuit est tombée. Le rideau est tiré, on a dû allumer, je perçois l’odeur de fumée et de cire, mais pas une lueur ne m’arrive de la clarté qui m’entoure. Les ténèbres ont englouti mon corps. J’ai beau savoir que je suis allongé, je ne me rencontre pas, j’ai beau sentir ma main, je ne la trouve pas. Je me suis perdu. Si tu es là, je ne te vois pas. Quelqu’un bouge dans la pièce, je capte ses gestes et jusqu’aux vibrations de sa pensée. Mais je sais que ce n’est pas toi. M’entends-tu ? Car c’est à toi que je m'adresse. Je t’ai appelé et t’appelle encore. Viens, je ne veux pas parler tout seul.

Je ne dors plus. Quinze jours ont passé depuis la dernière fois que le sommeil m’a visité, me transportant au pays où ce qui est perdu reste présent et où le futur est déjà accompli. J’ai commencé par ne plus rêver, je sombrais dans mes nuits comme une pierre dans un puits sans fond, puis j’ai cessé de dormir. Tout ce que j’ai vécu chatoie dans l’obscurité. Mes yeux pourtant se perdent dans le vide terrifiant qui aspire chaque chose. Tout est éteint, mais je suis encore cloué ici, seul avec ce que moi seul sais et garde en mémoire. Et que j’emporte avec moi.

(INCIPIT)
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Peu importe ce qui restera de moi, quelles anecdotes mes élèves raconteront à mes biographes, si l’un d’eux saura me reconnaître ou me confondra avec l’artiste qu’il croit vouloir être. C’est l’hameçon qui choisit le poisson, on ne pêche pas une baleine avec une mouche. Dans le récit d’une vie sont tissés éloges et aveuglements, et l’essentiel se perd entre les mailles larges de la mémoire.
C’est un tissu de secrets, censures, enjolivures, omissions, inventions et mensonges, et la vie vécue ne l’est pas moins. Je sais maintenant qu’il est totalement inutile de vouloir étouffer les rumeurs, corriger les opinions, rétablir la vérité : c’est battre vent. Mais je l’ai compris trop tard. Ma vraie vie se trouve là où tout le monde peut la voir, dans les
églises, les maisons, les façades, les palais des souverains, à la Scuola di San Rocco.
Quiconque me cherchera me trouvera là.
Mais elle, où est-elle ?
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On naît en un lieu et une époque dont on absorbe les idées et les habitudes avec l’air qu’on respire. On ne les discute pas. En un certain sens, on les subit, de toute façon, on les accepte.
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Mais un remède incertain était préférable à un mal certain. Les médecins ne comprenaient pas les causes de ce mal sans nom qui se propageait en ville depuis des mois : la volonté divine, l’influence néfaste des astres dans une conjonction défavorable, la sécheresse de l’année précédente qui avait tari les humeurs liquides du corps, l’empoisonnement des puits envahis d’eau salée pendant la dernière acqua alta, la corruption de l’air ou une piqûre d'insecte. Pour finir, tout ce qu’ils savaient faire était nous répéter ce que nous disaient déjà les prêtres : priez.
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La persistance des choses et des lieux que nous avons aimés me donne l’illusion qu’en eux aussi persistera une part de nous.
(La persistenza delle cose e dei luoghi che abbiamo amato mi illude che qualcosa di noi persista in essi.)
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Car l'art n'imite pas la nature, il la crée. La vérité et la beauté ne résident pas dans les choses, ni dans le monde, mais au fond de nous, dans cette partie cachée qu'on ne connaîtra jamais, mais à laquelle il faut laisser libre court. Peindre, peindre vraiment, pas pour satisfaire un client ni pour gagner son pain, c'est comme rêver. Tout est semblable au monde là-dehors, presque identique, mais sans l'être. C'est dans ce glissement que se trouvent la vérité et la beauté, ainsi que le sens de toute recherche et de toute représentation. Il faut réussir à rêver ses souvenirs. Voilà ce que signifie créer.
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On ne l'avait pas prévenu que dans ce pays il serait redevenu petit et impuissant_comme les bambins qui avant d'apprendre le nom des choses, pleurent, gesticulent sans pouvoir s'expliquer et hurlent sans pouvoir de quoi ils ont peur ou ce qui les fait souffrir. P 100
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Dans mon atelier, La Mise au tombeau m’attendait sur le chevalet. J’étais désormais impuissant : ce tableau était achevé. C’est toujours une déception de découvrir que votre œuvre ne vous appartient plus. Vous voyez qu’elle ne ressemble à rien de ce qu’elle aurait dû être, pas même à un pâle brouillon de vos intentions, et pourtant elle ne saurait être différente.
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Ainsi, aussi bien mon frère que moi, nous rejoignîmes le but qu'on s'était fixé en désertant ce pays fruste qui ignorait tout principe pour vivre civilement, dans lequel les plus déshérités pâtissaient de, faim et de travail sous les infâmes, égoistes tyrans qu'étaient les maîtres des terres.
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Le temps passant, les éloges devenaient caustiques, on doutait de mes capacités effectives, de mon caractère, de mon style, bref de moi. J’étais suspect. Comme un criminel gardé à vue, voué tôt ou tard à commettre l’erreur qui le perdra. La marée du succès refluait, m’abandonnant telle une algue morte sur le rivage. Je compris alors que Venise pouvait me tuer. J’envisageai de fuir, de chercher par le vaste monde – en Italie, en Europe, ailleurs – la patrie digne de moi. Je ne pouvais pas être celui que Venise voulait. J’étais moi, je ne pouvais changer. Au contraire, je devais me trouver, et me trouver tout seul. Mais Venise est la ville que j’ai toujours aimée. Et toujours haïe. Venise était mon ennemie et mon destin. Chacun a son champ de bataille, Venise était le mien.
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Moi aussi, j’ai aimé les couleurs, le bleu du ciel de mai, le reflet de la lumière sur une manche en soie écarlate, le rose du soleil couchant sur la mousse verte d’une fabrique de gondoles. C’est la première leçon que j’ai reçue de mon père : veiller à m’entourer de belles choses aux couleurs éclatantes et précieuses et me salir les mains pour les obtenir.
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Le passé revient quand la lune sera toujours pleine, quand la mer sera toujours comme un miroir, et regarder en arrière ne sert à rien.
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Geremia devinait chez son cousin le besoin que lui-même connaissait trop bien, de se passionner et de discuter pour une question qui, finalement, lui était étrangère, seulement pour faire taire des pensées intimes trop insupportables.
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Les Mazzucco avaient la conviction que le théâtre, l'écriture, la poésie, la musique, sont des plaisirs___ceux-ci apaisés, il reste la faim. il leur était interdit de se lamenter, se confesser, manifester faiblesse, ignorance, fragilité__être recalé à un examen, un amour, la santé. 132
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Rocco explique qu'on ne s'enrichit qu'aux dépens des autres. Il ne s'agit pas nécessairement d'argent. On peut voler tant de choses : le temps d'un homme, sa santé, sa jeunesse,ses sentiments, sa dignité, son âme.
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>Je t’écris d’un endroit où tu n’est jamais allée
Où les trains ne s’arrêtent pas, où les navires
N’appareillent jamais, un lieu à l’occident,
Où de muettes parois de neige entourent chaque maison,
Où le froid malmène le corps nu de la terre,
Où les gens sont nouveaux, et les souvenirs,
Quand ils arrivent, arrivent par la poste
Sans invitation comme des fantômes.
C’est ici un endroit qui ne se réchauffe pas au soleil
Mais la nuit je fonds comme glace dans la chambre ardente des rêves
Pour recueillir les plaisirs venus du passé –
Jours arrachés comme des pages
Et je cherche le chat noir, les tablées sans fins, le chœur discordant autour de notre chanson,
Effaré.
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