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Critiques de Melita Maschmann (1)
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Ma jeunesse au service du nazisme

La plupart des témoignages de l'horreur nazie coule de la plume des victimes évidemment. L'ouvrage de Melita Maschmann fait exception à cette règle.

Son témoignage "Ma jeunesse au service du nazisme", publié en Allemagne en 1963, porte en version originale comme sous-titre "Pas une tentative de justification", ce qui est encore plus rare, pour ne pas dire stupéfiant. Et toujours aussi extraordinaire, lors de la rédaction, elle en a référé avec la grande journaliste-philosophe Hannah Arendt, de qui l'ouvrage important "Eichmann à Jérusalem" a d'ailleurs paru la même année.

Que cette oeuvre a fait l'objet de multiples traductions et a très souvent été citée par des historiens, en revanche, n'est pas étonnant du tout, plutôt le contraire ! Ainsi, Daniel Jonah Goldhagen s'en est inspiré pour son ouvrage controversé "Les bourreaux volontaires de Hitler", tout comme l'historienne américaine, Claudia Koonz, pour son oeuvre "Les mères-patrie du IIIe Reich, les femmes et le nazisme".



Autre originalité de cette oeuvre : Melita Maschmann a écrit son mémoire comme un document adressé à une amie juive. Pendant longtemps il y a eu toutes sortes de spéculation quant à l'identité de cette amie, allant jusqu'à prétendre qu'il s'agissait d'une fiction littéraire. de la version anglaise de 2016 que j'ai en main, son existence ne peut plus faire de doute car dans une postface, Marianne Schweitzer raconte, avec l'aide d'Helen Epstein, qu'elle est cette amie de classe de l'auteure à qui ce récit était destiné. En 1933, les 2 devinrent les meilleures amies, jusqu'à la fuite, en 1939, de la famille Schweitzer aux États-Unis.



Mais qui était cette Melita Maschmann au juste ?



Née à Berlin en 1918 dans une famille aisée : sa mère avait un commerce d'articles en cuir et son père dirigeait l'agence de voyages Thomas Cook.

L'année où Hitler devint chancelier, elle rejoint en secret à 15 ans la ligue des jeunes filles allemandes - "Bund Deutscher Mädel" (BDM) - en fait la section féminine des Jeunesses Hitlériennes ("Hitlerjugend"), où elle est devenue responsable pour la presse et la propagande, entre autres en Pologne et jusqu'en 1943 à Berlin. Deux ans plus tard, elle a été arrêtée par les Américains et a passé jusqu'en 1948 dans un camp. Libérée, elle a entrepris des études de philosophie à l'université de Francfort et écrit des articles pour un quotidien de Darmstadt. Vivant totalement isolée et pauvrement, mais intéressée par la philosophie orientale, elle est partie s'installer en Inde. À 80 ans, elle est rentrée à Darmstadt, souffrant de la maladie d'Alzheimer et y est décédée en 2010. Elle n'a jamais été mariée et n'a pas eu d'enfants.



Mais beaucoup plus intéressant que ce bref curriculum, sont les questions qu'il suscite : pourquoi se porter volontaire pour une organisation nazie ? Qu'est-ce qu'elle y a bien pu faire de "beau" ? Pourquoi cette confession ? N'a-t-elle vraiment pas voulu se justifier ?



Melita Maschmann explique son adhésion au BDM pour les raisons bien connues : la défaite de l'Allemagne, le Traité de Versailles, le montant des réparations de guerre, le nombre de sans emplois, l'occupation de la Rhénanie... Mais elle avance également ses propres motifs : sa famille conservatrice et autoritaire, son rêve d'une Allemagne forte mais solidaire sans clivage entre nantis et pauvres et sa désillusion d'un premier amour. Contrairement à moi qui me borne à énumérer, elle explique son engagement à forts détails et sans vouloir se disculper. le lecteur, ému par son idéalisme déplacé, lui donnerait presque raison. En tout cas, on comprend mieux comment des jeunes se soient si gravement trompés.



À cause de son éducation et son penchant pour les grands classiques et philosophes (Kant, Nietzsche, Goethe), elle est affectée au service de presse et propagande du BDM, à pondre des textes idéalistes. le niveau lamentable de beaucoup de petits chefs nazis, elle s'explique par le grand nombre de morts durant la guerre, tout comme elle est convaincue que l'antisémitisme n'est qu'une erreur passagère.



D'une part, elle a été, pendant 10 ans, membre d'une organisation pareille ; d'autre part, ni à Poznan en Pologne, ni à Berlin, ni ailleurs elle n'a commis des actes moralement condamnables. Par ailleurs, elle s'est vu taper souvent sur les doigts par ses chefs pour indulgence envers "l'ennemi". Son drame a été d'espérer un renouveau de sa patrie et sa confiance aveugle dans un Hitler et son parti qui allaient réaliser cela.

La première fois qu'elle a eu un doute dans la sagesse du Führer, c'était en 1941, quand il lança son opération Barbarossa contre la Russie. Et ce n'était que fin 1944, au moment où ses parents moururent dans un bombardement allié, qu'elle a commencé à envisager une défaite de son pays.



Sa longue confession n'est intervenue qu'une bonne quinzaine d'années après la fin de la guerre, après avoir entamé des études de philosophie et une rencontre avec un prêtre, qui lui a ouvert les yeux sur les méfaits d'un régime qu'elle avait servi pendant si longtemps.



Personnellement, je crois que cette confession est honnête et qu'elle n'a pas cherché à se justifier dans son témoignage adressé à son amie d'enfance. Marianne Schweitzer, vivant à San Diego, Californie, a apprécié le courage qu'elle a eu, comme une des toutes premières en Allemagne à rendre public son passé nazi. Hannah Arendt lui a écrit votre livre est un document important en ce temps "et je crois que vous avez été totalement sincère, autrement je ne vous aurais pas répondu."



Melita Maschmann termine son témoignage en certifiant à son amie que "rien que l'idée que j'aurais tentée (consciencieusement ou inconsciencieusement) de me justifier dans tes yeux, me remplit de honte".



Cet ouvrage bouleversant mérite absolument d'être lu, ne fût-ce que pour la description minutieuse d'un processus de foi dans une idéologie épouvantable et un processus long et pénible de finalement s'en défaire.



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