Mardi 1er décembre 2020
(...)
Cher jacques,
Il y a tous les ces livres qui n'ont absolument pas besoin du coup de pouce du libraire pour se vendre et il y a les autres, plus secrets, plus âpres, plus difficiles, qui exigent une attention particulière, une recommandation, une mise en avant. Aussi quelle joie lorsque l'un d'entre eux , que l'on a défendu avec coeur et conviction, rencontre son public ! Le lectorat de ces singuliers bijoux a beau souvent être clairsemé, il ne s'agit pas de nombre dans cette affaire, mais d'intensité. Avec toi, Jacques, la librairie baignait dans un climat d'ouverture et de mystère qui m'a frappée lorsque j'y mis les pieds pour la première fois il y a une quinzaine d'années. Comme je suis nostalgique du "Pain des rêves" de cette époque, dont tu étais le maître tout à la fois obscur et éclairé ! (p. 58)
Les mots de Baden-Powell le fondateur du scoutisme, retiré au Kenya. « Soyez toujours fidèles à votre Promesse scoute même quand vous aurez cessé d’être un enfant - et que Dieu vous aide à y parvenir ». « …J’ai eu une vie très heureuse et je souhaite à chacun de pouvoir en dire autant. … Ce n’est ni la richesse ni le succès ni le laisser-aller qui créent le bonheur…. Contentez vous de ce que vous avez et faites-en le meilleur usage possible. Essayez de laisser ce monde un peu meilleur que ce qu’il ne l’était lorsque vous y êtes venus et quand l’heure de la mort approchera, vous pourrez mourir heureux en pensant que vous avez fait de votre mieux. Soyez toujours fidèles à votre promesse, même lorsque vous serez adultes. »
Or les médailliers de mon grand-père et le cabinet de curiosités de son père étaient tout, sauf un pandémonium. Car le monde de la collection était un monde en miniature que l'on rangeait, un monde où l'on nommait, un monde que l'on classait, un monde où l'on ordonnait. ce n'était pas un monde de bruit et de fureur, et s'il y avait des démons, ils ne se trouvaient sans doute pas dans les vitrines, mais dans les têtes de ceux qui les constituaient. --- Alain Gnaedi, Le Pays de l'horizon lointain, Joëlle Losfeld, 2020 (p. 54)
Maintenant qu’il est disparu
Maintenant qu’il est disparu
et peut-être bien mort
nul n’en sait rien
et c’est tout comme
j’ai pris la place de l’homme
qui marche et dort dans les granges
c’est moi qui vaque dans ses pas
vers mon finistère
qui est aussi le sien
car en vérité c’est lui
qui est entré chez moi
il y a déjà longtemps
avec la clé de sa phrase
pour n’en plus sortir
Pourtant ni lui ni moi
ne sommes enfermés
nous marchons sans cesse
nous marchons silencieux
chacun au creux de l’autre comme
un couple dort emboîté par
animale habitude
Je mâche sa tartine du matin
beurrée de blonde raison
ou de miel fou c’est selon
et dans le thé noir
brûlant dans ma tasse
je voie ses yeux sarrazins
animés d’une joie neuve.
VIII
J’avais écrit un poème
comme on raconte
à soi-même une histoire
il y a longtemps
avec la phrase de l’homme
à peine entendue
j’aurais voulu l’inventer
tant elle vibrait
la phrase
j’en ai fait un mensonge
de travers
pour un peu m’absenter
C’était un temps
de mauvaise fièvre
à croiser le diable
dans un corridor
et l’adorer pourtant
comme l’agneau mystique
en le reconnaissant
Poésie poésie
qu’as-tu fait de ton visage
la nuit était transfigurée.
Ce qui sans doute l'a maintenu en vie, cet acharnement, cet attachement forcené aux études, à la littérature en particulier, mais aussi aux langues et à la géographie. (p. 91)
XVII
Extrait 1
Front collé à la vitre de février, une nostalgie
de Baltique s’épand à l’horizon. Sous le paquet
anthracite des nuages s’étrécit une zone claire
que l’on dirait sableuse, où le souvenir arpente
comme un marcheur regrette une négligence.
…
Je veux un champ d’étoiles…
Extrait 2
Efforts efforts à bout de souffle tout vient pour finir
Là haut couleurs
Lumière lumière
Bleu jaune ocre
Eclat perle dynamite
Eclat cuivre
Des sons éboulent
un monde
Les mots les mots droites images brûlent
Gigantesques et barbares et fleuris
Verre cristal musique
Esprits magnifiques
Submergent l’eau forte et fatiguée des litanies
Déboulent cloches tintamarres dans la chambre des astres
Tonnent étonnantes de neuves planètes
Avec pour écharpe l’éternité
Aux chimères boire toute la coupe si bleue
de nuit après des jours
Jeudi 10 décembre 2020
Cher Jacques
(...)On peut mourir de chagrin. On peut crever de solitude, c'est donc vrai, Jacques. On a beau le savoir, on a beau faire tout pour l'empêcher, c'est elle, la solitude, la mort, qui a le dernier mot.
Tirera-t-on un jour les leçons du confinement, outre ses conséquences économiques, désastreuses, établira-t-on le bilan des ravages psychologiques dont il est responsable ? Des suicides ? Tu es, Jacques, un ami fidèle. Je sais que le dernier soir encore, alors que tu n'étais pas venu travailler à la librairie de la journée, tu es passé voir une vieille dame à qui tu rendais visite presque quotidiennement. Une dame seule à qui tu offrais tes services car elle perdait la vue. Tu étais sensible à son isolement, d'autant plus en cette période.(p. 84)
« Ses partisans et ses adversaires saluaient le courage de ses déclarations. Des postures, en vérité. Du vent tout cela. Du vent, de la pluies, une grande nuit. Elle savait au fond d’elle-même que cette reconnaissance ne valait rien. La méprise était totale. Elle connaissait sa voix de l’intérieur. Depuis près de dix ans elle n’était plus qu’un instrument désaccordé. »