Comment dire la beauté des films de Tourneur à qui n'a pas encore éprouvé leur pouvoir d'envoûtement? A qui n'a jamais découvert I Walked With a Zombie, Stars in My Crown ou Night of the Demon? Ce sont des films discrets, modestes, qui nous parlent sur le ton de la confidence. Ils conservent pourtant un éclat hypnotique longtemps après que leurs péripéties se soient estompées dans nos mémoires. Peut-être parce que l'ambition secrète du conteur était immense: nous prendre par la main et nous conduire sur le seuil de l'outre-monde. Aux limites de l'indicible. Ce qu'il attendait de son art: rien moins que capter les ombres et rumeurs de mondes occultes. Suggérer l'invisible.
Né et mort en France, nourri de culture française, Tourneur a fait l'essentiel de sa carrière aux Etats-Unis. Mais son oeuvre est trop fascinée par l'inconnu et l'ambiguïté pour ne pas déborder les deux cultures. Elle bat en brèche la tradition cartésienne: le réel est bien trop complexe pour être appréhendé et à plus forte raison expliqué rationnellement. Et elle fait fi du moralisme anglo-saxon: l'évaluation morale des actes est si aléatoire qu'elle décourage tout manichéisme. Fuyant le noir et blanc, la vérité se dérobe dans une frange de clair-obscur où se déploient toutes les irisations du prisme. A quoi tient cette vocation de semeur d'inquiétude, unique de part et d'autre de l'Atlantique? Est-elle due aux convictions personnelles de l'homme? Ou à la réception d'un créateur aussi déraciné que ses caractères de prédilection; donc plus sensibles que ses pairs à la fondamentale instabilité des êtres et des choses?
Tourné en 21 jours, Cat People ne coute que 134000 dollars. Cet exploit témoigne de la débrouillardise de nos contrebandiers qui détournent des décors existants, tel l'escalier de The Magnifient Ambersons (Orson Welles, 1942) pour l'immeuble new-yorkais d'Irina, ou les allées de Central Park qui ont déjà servi pour The Hunchback of Notre Dame (William Dieterle, 1939). (...) De Cat people, le studio n'attend sans doute guère plus qu'un film de monstres dans la veine des séries "B" de la Universal. Nul, en dehors de l'unité Lewton, ne se doute qu'il s'agit de sexualité, et de sexualité féminine de surcroit. Que l'héroïne (Simone Simon), se débat entre frigidité et nymphomanie, entre répulsion et agression. Que l'animalité a valeur de métaphore.
"Si on veut travailler dans le charbon, il faut aller en Alsace-Lorraine. Si on veut faire des films, il faut aller dans l'usine des films qui est au Etats-Unis."