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Citation de Charybde2


– La vie m’a abandonné à mon départ de Lil Nwé. J’ai perdu vivres, navire et équipage. Suis-je donc aux portes de la Mort ?
– Qu’il n’y est pas, m’assura l’aveugle alors que la douce clarté des étoiles lui gonflait les yeux d’une étrange vérité. Oui, qu’il est sur le territoire du Roi en jaune.
Et, prononçant ce nom, il me salua d’un geste qui m’emplit d’effroi. Je jurai voir quelques endroits de la Voie lactée s’éteindre pour de bon, avant qu’il ne continue :
– Qu’on ne peut le traverser indemne sans garder contre corps un collier-montre qui compte le pas, là où d’autres grattent le temps, hé, ici, les constellations ne sont pas les mêmes, ouais, mais qu’il n’est pas mort, non, qu’il est Ailleurs, hein, l’Œil peut te l’affirmer.
Le ton de sa voix m’était familier, non pas parce que je l’avais déjà entendu, mais parce qu’il avait sous la glotte l’intonation qu’ont les vieux bourlingueurs et autres chasseurs de trésors. Il avait la bouche mauvaise, salée de rire et d’affronts, miellée d’honneurs et d’aventures. Il avait bien raison : ce qu’il me manquait, sous la voûte étoilée, c’était mon fétiche, mon point cognac, le cap ordinaire que je signais de mon compas. J’étais perdu bien loin de mon port d’attache.
– Où trouver ce collier ?
– Qu’il cabèche trop, répondit-il sèchement, hein, qu’il suive l’Œil pour le moment !
L’aveugle me guida dans la brèche, puis à travers les mortes plaines qui n’étaient que des lacs emplis d’une vase sèche et d’un brouillard d’argile grise. Nous avançâmes avec lenteur, sans voir nos pieds sur le chemin qui menait aux remparts de la cité.
Elle était construite de manière illogique. Je ne m’en aperçus pas d’emblée, mais au fur et à mesure que nous approchions, l’aveugle et moi, et à mesure que la forteresse du Roi en jaune s’élevait au-dessus de nos crânes et par-dessus les murailles et les tours, les perspectives changeaient, se distordaient et m’écoeuraient, comme si cette ville n’en était pas une, mais un piège dans lequel je me glissais de mon plein gré. J’acceptai mon sort la tête pesante de fatalité. Je sombrai en elle comme on sombre dans une vague épaisse. Je m’offris comme on s’offre au loup, au fond d’une forêt de Sibérie.
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