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Citation de Cielvariable


Moi. — Dolores, je prends un bain.
Dolores. — Oh ! ça ne me gêne pas.
Elle s'installe sur un tabouret, me tournant le dos, concession à ma pudeur et à la civilisation.
Dolores. — Une cigarette ?
Moi. — Je veux bien.
Elle allume deux cigarettes, m'en donne une. Le désordre de la salle de bains est épique. Par les vitraux décolorés toute la maison d'en face m'observe à l'aise. Ces vitraux ont été peints il y a douze ans, avant notre mariage, à l'époque où Jacques berçait nos amours naissantes de belles promesses. Je nourrissais alors l'illusion que, remarquable bricoleur, il allait me faire vivre dans un univers digne des Arts ménagers.
Dolores. — Je profite de ce que vous vous baignez pour me reposer cinq minutes.
Je n'ose lui dire que c'était aussi mon ambition.
Dolores. — Hier j'ai lavé un tas de linge haut comme un homme. C'est qu'ils savent salir, les enfants ! Et hier soir j'ai fait une java ! Aujourd'hui je n'ai rien à faire, alors je suis triste. Dans ma famille on n'aime pas s'arrêter.
Moi. — C'est pourtant agréable de s'arrêter, parfois.
Dolores. — Est-ce que vous vous arrêtez, vous ?
Moi. — Mais... j'essaie.
Dolores. — Vous lisez, même dans votre bain.
Moi. — Ce n'est pas pareil.
Dolores. — Si, c'est pareil ! Moi, quand je bouge c'est comme si je pensais.
Je n'ai pas dormi de la nuit, ça m'a fait du bien. On a été d'un café à l'autre, en parlant, avec des Espagnols.
Moi. — Tu ne vois que des Espagnols ?
Dolores. — Des Espagnols ou des Marocains. On se comprend, pourquoi changer. Cristina, elle, ne fréquente que des Portugais. Comme ça, elle sait au moins quelle est la nationalité de son fils, si elle ne sait pas qui est son père.
La salle de bains s'est peu à peu remplie d'une foule discrète. Juanito1 joue par terre avec la laisse du chien, qu'on cherchera en vain tout à l'heure. Pauline explore ma trousse de toilette et se couvre de talc. Alberte écoute la conversation. Le chien et le chat Taxi se bagarrent gentiment.
Alberte (intéressée). — Elle ne sait pas qui est le père de qui ?
Dolores passe tout à coup d'un ton grave et contenu à un fausset suraigu, typiquement espagnol. Elle hurle, sans toutefois que son beau grand visage roman s'anime :
Dolores. — Voulez-vous laisser votre maman tranquille, petites andouilles ?
Un brutal reflux se produit sur le forum. Le chien sort en trombe, renversant Pauline qui s'effondre au milieu d'un nuage de talc. Pleurs. Alberte bat en retraite derrière la porte, l'oreille au guet. Juanito s'empare du chat.
Dolores (allumant une autre cigarette). — Ces enfants ! Il faut tout de même qu'ils soient bien élevés, non ? Juan a été sage cette nuit ?
Quand Dolores veut faire « la java », elle me confie Juan, beau bébé grave, un peu morose, d'une dignité tout espagnole, qui se love entre Pauline et Alberte dans un creux du lit, et y subit, résigné, les baisers passionnés de mes deux filles.
Moi. — Très sage.
Pauline (réapparue par miracle, toute blanche des pieds à la tête, voix aiguë). — Il n'a pas été sage du tout, je lui ai dit : « Dors mon petit chéri », et je lui ai chanté une berceuse, et alors il a crié fort, fort, et Alberte elle m'a pincée.
Alberte (de derrière la porte). — Elle lui chantait dans les oreilles !
Pauline (sanglotant avec rage). — Non ! Non ! C'est pas vrai 1
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