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Citation de Cielvariable


Juanito, fils de Dolores, trois ans.
Moi (faible et conciliante). — Il n'aime peut-être pas la musique ?
Dolores (indignée). — Lui ? Il n'aime pas la musique ? Vous allez voir !
D'un revers de main elle arrache le chat à son rejeton (qui l'enfournait patiemment dans un sac en plastique), plante Juanito sur ses pieds, lui crie : « Olé ! » et entonne un chant sauvage. Docile, l'enfant claque des doigts et saute sur place, sans perdre sa gravité héréditaire. Dolores le contemple un instant avec ravissement, puis l'empoigne, le couvre de baisers, lui suce la joue, et s'apercevant qu'il est tout mouillé, le rejette du même mouvement sur le sol.
Dolores. — Oh ! mon amour ! oh ! l'horreur !
Juanito retombe sur le sol comme un petit coussin, rattrape le chat du même mouvement et recommence à le fourrer dans le sac, que je reconnais au même instant pour être celui de mon éponge.
Moi. — Dolores ! C'est mon sac à éponge 1
Dolores (très ferme). — De toute façon, votre éponge est perdue. Qu'est-ce que nous disions ? Ah oui, Cristina. C'est la honte de l'Espagne.
Moi. — A cause des Portugais ?
Dolores. — Oh ! non. Ça encore... Elle est un peu simple, vous savez. Alors elle ne s'aperçoit même pas qu'elle change. Elle ne sait ni lire ni écrire.
Moi. — Evidemment, c'est une explication.
Dolores. — Mais ce n'est pas une excuse à tout. L'honnêteté, ça ne s'apprend pas, c'est dans le sang, comme la danse. Et Cristina n'est pas honnête.
Moi. — Ah ! non ?
Dolores. — Non. Elle vole même ses amis. Et elle ne sait pas recevoir. Faites-lui un cadeau, ça la chiffonne. Mais voler, oui. Ça laisse libre. J'ai bien ri quand elle s'est trouvée enceinte. Je lui ai dit : « Cette fois tu ne peux pas le refuser, le cadeau ! »
Rire argentin d'Alberte derrière la porte. Dolores bondit.
Dolores. — Petite misérable ! Tu nous épies ! Tu écoutes aux portes ! Je vais te couper les oreilles Je ne te donnerai pas à déjeuner ! Je...
Alberte (froide, dédaigneuse, un peu pâle, tient tête à l'orage). — Tu es bien obligée, rétorque-t-elle, sachant ce qu'elle déchaîne.
Dolores (dans un paroxysme). — Comment, je suis bien obligée ! Est-ce que tu sais ce qu'elles gagnent à Marseille, les Espagnoles ? Des 100 000 francs, et plus, et elles ont leur week-end, et elles ont la télé ! Si je reste ici, c'est à cause de ta pauvre maman 1
Alberte (ne cédant pas d'un pouce). — Tu es quand même obligée de me donner à manger.
Dolores (folle). — Je ne suis obligée à rien ! Je fais ce que je veux ! Et pourquoi, d'abord, que je suis obligée ?
Alberte (digne). — Parce que je suis un enfant.
Un moment stupéfaite devant cet argument, dont le bien-fondé la frappe, Dolores tout à coup laisse tomber son ire comme un masque, et éclate de rire.
Dolores (me prenant à témoin). — Quel amour cette petite !
Elle l'enlace, la couvre de baisers. Alberte se laisse faire, calme, comme le boxeur qui après un K.O. reçoit l'ovation importune, mais inévitable, de la foule. Le chat étouffe dans son sac de plastique. Juan entreprend de s'asseoir dessus.
Dolores (tout attendrie). — Voyez-les, s'ils sont gentils tous les deux.
Moi. — Je crois que le chat va étouffer.
Dolores. — Mais non, mais non... Tenez, je les sépare. Toujours à vous en faire pour tout le monde ! (Dans un élan.) Le mois prochain quand vous me paierez, je vous en achèterai une sur mon argent, d'éponge !
Moi. — Merci, Dolores.
Je sors de mon bain devant la foule qui a reparu, renonçant à trouver au fond de la baignoire un abri contre les vicissitudes de la vie.
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