Michaël Millasseau

Le silence du commandant Ferguson avait arrêté le temps.
Une larme roula sur sa joue. Les autres la regardaient, suspendus à ses lèvres comme s'ils attendaient son verdict. Ils suivaient ses gestes lents. Ilyana réduit les images de l'écran panoramique pour ne garder que la vidéo centrale; celle qui montrait la planète bleue.
Ferguson effaça d'une main ferme la traînée humide de sa joue
- Nous rentrons à la maison

Les gens cherchaient toujours à disséquer les problèmes d’autrui, ne serait-ce que pour se rassurer au sujet de leur misérable existence.

J'ai aidé ces monstres à tuer cette enfant. De victime, je suis devenu moi-même tortionnaire.

Hilarie ne s'était pas douchée depuis dix jours. Elle puait la transpiration. Sa culotte jaunie, son legging nauséabond qu'elle n'avait finalement pas changé après s'être pissée dessus et son T-shirt tâché d'huile de thon en boîte rejoignirent, au sol, le chemisier qu'elle portait le jour de ses retrouvailles avec Sandra. La tache rougeâtre de son cocktail auréolait le tissu. Hilarie grimpa dans sa baignoire. Toute la tuyauterie se mit à trembler dans les murs. Le pommeau de douche cracha un liquide rouillé. Hilarie écarta le jet de son corps avec énergie. Ses pieds disparaissaient presque dans le fluide infect au fond de la baignoire. La mâchoire serrée, Hilarie sentait la rage monter en elle. Non ! Elle ne s'abandonnerait pas à la colère. Elle devait se ressaisir. Et laisser couler. L'eau récupéra sa limpidité au bout de quelques secondes.
Il lui arrivait de mal dormir à la veille d'une présentation ou, même, de ne pas se coucher de la nuit. Un anticerne et un simple rouge à lèvres suffisaient amplement pour masquer le manque de repos. Ce jour-là, elle dut abuser de plusieurs artifices, après la douche, afin de paraître un minimum normal. Rien d'étonnant. Elle s'était enfermée une semaine et demie dans son appartement, telle une sauvage terrifiée par la civilisation. Hilarie considérait avoir droit à ces artifices. Elle rumina sur ces femmes qui se tartinaient le visage des heures durant pour ressembler à quelque chose de potable. Si ces pauvres filles en avaient besoin après une bonne nuit de sommeil, Hilarie se disait que, même sur ce point, aucune ne lui arrivait à la cheville.

Les journées se fondaient dans les nuits, sans début ni fin. Elles défilaient sans qu'il en ressorte quelque chose de constructif.

Ils sont partis ! Nous sommes partis, Commandant ! Et nous avons fait la bêtise d'oublier pourquoi !

Tout au fond de son cœur la musicienne se battait contre son propre mépris. Elle se battait pour sa liberté, pour la joie et l'amitié.

Et si nous ne devions retenir qu’une seule chose de ces cinq siècles d’errance dans cette nuit infinie, c’est qu’il n’existe qu’une insignifiante chance de trouver une planète capable d’offrir à la vie une telle diversité et beauté. Comment un monde aussi rare et précieux que celui-ci a-t-il pu être détruit ? Comment cette oasis, perdue dans l’immensité de l’univers, a-t-elle pu être asséchée jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien ?