
Je m’étais endormi, comme il m’arrivait souvent, sans m’en rendre compte, et il me semblait entendre Toine frapper du pied à mes côtés et grincer des dents d’impatience, sans doute parce que je ne m’éveillais pas assez vite à son gré. Mi-furieux, je me soulevai enfin sur un coude et grognai :
– Ça va, ça va, je me lève.
Mais ma colère s’évanouit lorsque je vis Toine, ou plutôt son ombre, se pencher sur moi en chuchotant :
– Tais-toi, petit, et regarde !
L’intonation qu’il employa – celle qu’on ne trouve que pour les belles choses qui vous intimident – me fit plus d’effet qu’un coup de pied lancé dans mes reins, car ce n’était pas précisément le genre de Toine de se pâmer d’admiration devant quoi que ce soit. Je me mis donc debout, chuchotant à mon tour :
– Qu’est-ce qu’il y a ?
En même temps, je fixai mon regard droit devant moi. Ne voyant que la forêt sous la couleur argentée de l’aurore blême, je me retournai vers Toine :
– Ben quoi, ce n’est que le jour qui se lève !
– En pleine nuit ? Tu as déjà vu, toi, petit, le jour se lever la nuit ? En plus, dans cet endroit où y a jamais de lune ? Et puis tu sais bien que le jour, ici, est rouge !
C’était vrai, comment avais-je pu l’oublier ! Mais alors, qu’allait-il encore se passer ? Je sentis mon sang se glacer lorsque le bruit que j’avais pris dans mon sommeil pour Toine frappant du pied avec colère se fit de nouveau entendre. Je m’accrochai au bras de mon compagnon.
– Vous entendez ? fis-je à voix basse.
– Oui, petit, me répondit-il d’un ton étrangement calme. On dirait qu’un cœur de géant bat sous nos pieds.