POÉSIE INDIENNE La Bhagavad Gita : Enjeux dun chant (France Culture, 1997)
Lémission « Les vivants et les dieux », par Michel Cazenave, diffusée le 27 décembre 1997 sur France Culture. Invités : Ysé Masquelier et Michel Hulin.
Si vous voyagez vers l'au-delà, apprenez le latin, c'est une langue morte.
L'instant où la lumière se fait est Dieu. Cet instant apporte la délivrance. C'est l'expérience originelle du moment vécu et elle est déjà perdue et oubliée quand on pense que le soleil est Dieu.
"Si l'être humain était toujours vierge, il ne produirait aucun fruit. Pour qu'il soit fécond, il est nécessaire qu'il soit femme. "Femme" est le mot le plus noble que l'on puisse adresser à l'âme, bien plus noble que vierge."
Maître Eckhart - Sermons
(...), il n'y a de "coincidence des opposés" que dans le sein de la divinité inconnaissable -les humains n'ayant accès qu'à la conjonction, qui manifeste la Déité, l'Ungrund, le "Fond sans fond" de Maître Eckhart.) (...), c'est à l'existence, au-delà de nos évidences sensibles, d'un Unus Mundus (d'un monde unifié) où les contraires ne sont pas encore différenciés, et en particulier, le physique et le psychique, de même que le spirituel- qui s'affirment dans notre expérience commune sous des traits distincts, sans qu'on ne puisse pourtant les y confondre. (...)
C'est aussi, en grande partie, l'équivalent de ce monde imaginal qu'a théorisé Henry Corbin à partir des réflexions d'un Ibn'Arabi sur la réalité d'une imagination créatrice : découverte et invention sont elles-mêmes une nouvelle fois réunies, dans une conjonction des opposés qui légitime, philosophiquement et épistémologiquement, toutes celles qui en découlent.
Bien entendu, ces réflexions n'ont cependant de sens que si l'on adopte l'idée de plusieurs niveaux de réalité : y aurait-il seulement possibilité d'un tiers inclus si l'on en restait aux couples de contraires de la logique classique et aux oppositions sans espoir auxquelles nous condamnerait l'unique existence de notre monde phénoménal ?
(...) à partir des années 1930, c'est la totalité de son oeuvre qui prend un tour décisif dans sa rencontre avec l'ancienne alchimie et dans sa participation constate aux séances d'Eranos qui se tenaient tous les ans dans la Suisse italienne.
Pourquoi est-ce important? Parce que c'est là que Rudolph Otto, le philosophe néokantien du "numineux" qui en fut le premier mentor, et avant que le falmbeau n'en passât au néoplatonicen Corbin qui en fut le troisième et dernier inspirateur (...), c'est donc là que Jung fut à la fois, pendant un quart de siècle, le point de référence et le spiritus rector d'un cercle où se réunissait et confrontait ses idées tout ce que comptaient comme spécialistes de renommée mondiale l'histoire et la science des religions, l'ethologie, l'anthropologie générale et la philosophie : Zimmer et Tuci pour L'inde et le Tibet Quispell ou Puech pour la gnose, Daniélou pour le christianisme des origines, Kérényi pour la philologie et la mythologie grecques, combien d'autres encore parmi lesquels Layard, Neumann, Van der Leeuw et Radin, en attendant Corbin pour le platonisme perse ou Scholem pour la kabbale, ont ainsi, profondément, échangé avec Jung et l'ont nourri de toute leur science et de leur puissance herméneutique !
Sinon que, s'inscrivant dans la tradition de la théologie négative de l'Occident, et particulièrement de Maître Echart ou de Nicolas de Cuse dont il se réclame ouvertement, Jung pose que l'inconscient comme il l'entend est aussi un supra-conscient (ou un trans-conscient comme proposera de l'appeler Henry Corbin), auquel nous n'avons pas accès, sinon par des images symboliques, et qu'il introduit à un inconnaissable dernier que nous ne pouvons "définir" que comme impensable et irreprésentable, bref, comme un "vide gros de toute plénitude" qui échappe par nature à toutes las catégories dans lesquelles on voudrait l'enfermer.
On constate à quel point, ici, on est proche du brahman, du total inconditionné comme il a été négativement circonscrit par la plus haute et la plus authentique métaphysique indienne, du nirvana du Bouddha ou du Tao suprême de quelqu'un comme Lao-zi ("Le tao que l'on peut nommer n'est pas le Tao" -à quoi fait écho la parole du Père grec de l'Eglise: "Si tu peux définir Dieu, alors, tu es sûr que ce n'est pas Dieu.")
(...); processus de la psyché déclenché généralement au solstice de la vie pour tous ceux qui rencontrent le tremendum du mystère et s'expliquent avec lui, qui assument leur âme, et dans la métamorphose impliquée, dans le surgissement du Soi et la lente construction, la difficile découverte de leur "homme intérieure", dans la religo accordée à ce mystère insondable; (...).
De Christine de Pisan dans "ballades" : Seulete sui
Seulete sui et seulete vueil estre,
Seulete m'a mon douz ami laissiee,
Seulete sui sanz compaignon ne maistre,
Seulete sui dolente et courroucee,
Seulete sui en langueur mesaisiee,
Seulete sui plu que nulle esgaree,
Seulete sui sanz ami demouree
l'imagination, quant à elle, je la définis d'abord comme puissance de l'âme. (...)
C'est une puissance de création de formes. Il ne s'agit donc pas d'éléments reçus du monde dans lequel nous vivons. Au contraire, l'imagination crée son propre monde d'images réelles et subsistantes, tout en étant, et c'est fondamental, réceptrice de ce qui lui vient d'un plan supérieur. Elle est donc à la fois active et passive. Mais il faut savoir ce qu'est cette passivité, je dirais même cette "passion". Il ne s'agit plus, comme dans le cas de l'imaginaire, de recevoir ce qui vient de l'environnement ou des illusions de notre propre moi. Il s'agit de la façon dont nous recevons en nous, et recueillons dans notre âme, l'Intellect divin; la façon dont nous tendons vers lui par la création d'un monde d'images (ce que Henry Corbin appelle L' "Imaginal"). Ces images ne renvoient pas à la réalité physique du monde, mais à la réalité divine.
Lorsque Jung parle d'imagination active, il essaie de désigner une imagination de cet ordre, de l'ordre du phénomène visionnaire, par la mise en oeuvre d'images souvent mythologiques. Ces dernières, elles sont de l'ordre de l'énigme du divin. Cette méthode permet alors de se trouver au-delà du moi, en découvrant que le moi n'est qu'une sorte de complexe, certes pratique quand il s'agit de vivre au quotidien, mais sans aucune vérité profonde. Se "trouver" signifie alors avoir emprunté un chemin de retrouvailles du Soi, de l'image divine en nous, qui est notre Je véritable. L'imagination est donc l'accession au véritable Je, au-delà du moi.
Il est peut-être temps que chacun trouve une étoile à l'abri du monde. Quand les étoiles sont touchées par le regard, un ciel nocturne s'éveille déjà en nous.