Les rencontres philosophiques de Monaco // Colloques 2018
La Maison de la philosophie 2018 avec :
Bernard E. Harcourt : foucault et le pouvoir
Catherine Chalier : Levinas et le visage
Robert Maggiori : Jankélévitch et l'amour
Sandra Laugier : Wittgenstein et le language
Geneviève Fraisse : Beauvoir et le sexe
Miguel de Beistegui : Deleuze et le désir
Michel Contat : Sartre et la liberté
Camille Riquier : Bergson et le temps
Géraldine Muhlmann : Arendt et le mal
Marlène Zarader : Heidegger et la mort
Gérarld Bensussan : Derrida et l'hospitalité
Sabine Prokhoris : Freud et le rêve
Musique © Clara Dufourmantelle
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Quand le soir tombait et qu'il fallait rentrer au Waisenhaus, à l'orphelinat qui alors portait lourdement ce nom terrible, j'avais l'âme plombée de détresse. Il m'arrive encore aujourd'hui, certains dimanches vers six heures du soir, de ressentir cette sourde anxiété. Lisant Dickens, plus tard, j'ai senti dans mon corps la vérité de ces livres écrits pour nous, les enfants délaissés. (p. 32)
Ma douleur fut extrême, je ne savais pas qu'on pouvait souffrir autant, par amour, par abandon. Ma détresse était telle qu'elle inquiéta ma mère, mes amis. Je ne trouvai pour la combattre que la lecture de Proust, -A la recherche du temps perdu-, qui fut mon-pharmakon-, à la fois remède et poison, parce que cette lecture me centra sur moi-même plus qu'il n'aurait fallu. Je crois que c'est le jazz qui me sauva, la mobilisation existentielle qu'il entraîne et qui exclut complaisance et pitié de soi. (p. 69-70)
Cette musique était bien une perle que la grosse huître du monde avait sécrété autour d'un grain de sable humain qui blessait la chair. On y entendait, indicernables, la souffrance et la joie.( p.9 préface de Michel Contat)
Extrait de la nouvelle "Lettre aux morts" de Michael Ginzburg.
Rien ne commence dans l'innocence. Ni les histoires d'amour, ni les transactions commerciales... même pas la vie. Demandez-vous ce qu'il y a d'innocent dans le désir? Ce qu'il y a d'innocent dans les ronds de jambes et les sourires, la sueur et les soupirs, la douce malédiction poétique d'une étreinte enflammée, les cajoleries et les caresses, les soupirs et les larmes qui précèdent le soi-disant miracle de la vie? Rien. Qu'est-ce qu'il y a d'innocent dans la naissance? Rien. Quand on s'engage sur le toboggan glissant de l'utérus, on est déjà un ancien combattant. Neuf mois dans un ventre et on a déjà entendu plein de choses, tout ressenti, toute la palette de l'amour et du chagrin, le feu du désir, les cendres froides de la tristesse, le sucre de la joie... Ouais, naître, ce n'est pas du gâteau ; les foetus devraient avoir des boules antibruit dans les oreilles et un casque : toutes les tensions et les déchirures de la chair tendre, l'élasticité, les fragiles cellules qui éclatent tandis que la mère hurle... Sang et chaleur : souffrance, petit, souffrance - la souffrance en cadeau, la souffrance en héritage, la souffrance et le savoir, le savoir et la souffrance - le savoir est souffrance... Ouais, tu sais quand tu nais et, bon Dieu, ça fait mal... Et puis un géant monstrueux, en blouse blanche, avec plein de poils dans le nez - semblables aux buissons qui entourent l'entrée de la caverne de l'enfer éternel - te donne une claque sur les fesses et ta première goulée d'air doux et rance, qui sent le cuivre et le sang, ton premier souffle c'est un gémissement, un cri de désespoir :
- Seigneur, qu'est-ce que je fais ici ? Ici, parmi les morts, les morts-vivants? Cette race morte d'esprits errants dans l'erreur... ?
(...)
Ils veulent tuer la musique. (...) Je rêve encore d'une musique faite de toutes les musiques. Je rêve de lambeaux de musique, de scories, de rebuts, de bouts de mélodie, de reliquats de rengaine, de restes incandescents. Oui, je rêve de mettre le feu à ce bazar de rythmes. Je suis un recycleur de petits riens. (...)
Pourquoi disent-ils que je suis le diable ? Je marche pour ne plus entendre leurs voix. Le seigneur est bon. Il me laisse crier.
Je n'ai jamais triché.
A la Fondation Maeght, Calder, Miró et Giacometti m'ont compris. L'homme qui marche, l'homme si frêle, si fragile, si pur, l'homme de Giacometti, c'est moi. (...) Ma musique est ma berceuse et ma course. Elle révolte les autres, moi, elle me sauve. J'ai raison. Je sais que j'ai raison. (...) Je joue l'amour, mais je sème la haine. Je n'y comprends rien à la haine. (...)
Pourquoi hurlaient à Pleyel ?
Cette question me tue. La réponse aussi. (...) Mon cri les a enragés, moi qui ne voulais que chanter la paix. Je deviens faible. J'étais si fort. Je ne savais les affronter qu'en les aimant.
J'étouffe dans ces rues. Où est le fleuve ? (...)
Maman je n'ai plus peur. Le fleuve est là.(...)
Ma musique ne va jamais s'envoler. Elle ne m'a pas englouti.
Je vais simplement m'effacer à la surface de l'eau. Avant de disparaitre je vais crier. Tu sais, ce cri silencieux et éternel.
Je ne te quitte pas, maman. Je vais ailleurs.
Au pays des fulgurances, des suraigus et de la bonté. Au pays où tout le monde est naïf. J'ai été fou. J'ai été bon aussi. Que l'eau est belle ! Je ne me tue pas. Je vais sauter dans le fleuve comme on saute dans la musique. Je n'appellerai personne à l'aide.
Regarde, maman, je nage.
Tout corps placé dans un fauteuil à bascule subit une oscillation d'avant en arrière proportionnelle au volume de rhum avalé. (p.105 Le retour de Maître Misère de Jean-Claude Charles)
Bébert de quoi j'Ayler. ( p.217 Tinetorette et Toquaille de Jean Bernard Pouy)
Je lus avec émoi -Le Portrait de Dorian Gray-, et j'eus le sentiment, pour la première fois, d'avoir accès à ce continent mystérieux, dérangeant et tout à fait autre qu'on appelle la littérature. (p. 42)