POÉSIE CONTEMPORAINE Quest-ce que lÉcole fantaisiste ? (France Culture, 1982)
Lémission « Relecture », par Hubert Juin, diffusée le 30 juillet 1982 sur France Culture. Invités : Michel Decaudin, Louis Forestier et Bernard Delvaille.
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

CHANSON D'AUTOMNE
Ecoutez la voix du vent dans la nuit,
La vieille voix du vent, la lugubre voix du vent,
Malédiction des morts, berceuse des vivants...
Ecoutez la voix du vent.
Il n'y a plus de feuilles, il n'y a plus de fruits
Dans les vergers détruits.
Les souvenirs sont moins que rien, les espoirs sont très loin.
Ecoutez la vois du vent.
Toutes vos tristesses, ö ma Dolente, sont vaines.
L'implacable oubli neige sinistrement
Sur les tombes des amis et des amants...
Ecoutez la voix du vent.
Les lambeaux de l'été suivent le vent de la plaine;
Tous vos souvenirs, toutes vos peines
Se disperseront dans la tempête muette du temps.
Ecoutez la voix du vent.
Elle est à vous, pour un moment, la sonatine
Des jours défunts, des nuits d'antan...
Oubliez-la, elle a vécu, elle est bien loin.
Ecoutez la voix du vent.
Nous iront rêvez, demain, sur les ruines
D'aujourd'hui; préparons les paroles chagrines
Du regret qui ment quotidiennement,
Ecoutons la voix du vent.
Le Poème des décadences
( O.v.de L.Milosz ).
Ombre des bois
Je suis tout à la tristesse de ma vie perdue dans les
bois que le vent berce.
Je suis tout à la détresse de ma vie sans but dans
l'ombre des bois touffus.
Mon bonheur est d'y frémir, je m'y sens perdu. Tout
ajoute à ma tristesse.
Je le dis, j'ai du plaisir dans les bois touffus qu"aucun
sentier ne traverse.
Ballades françaises
Paul Fort
Jacques Prévert – Le cancre (Paroles)
Il dit non avec la tête
Mais il dit oui avec le cœur
Il dit oui à ce qu’il aime
Il dit non au professeur
Il est debout
On le questionne
Et tous les problèmes sont posés
Soudain le fou rire le prend
Et il efface tout
Les chiffres et les mots
Les dates et les noms
Les phrases et les pièges
Et malgré les menaces du maître
Sous les huées des enfants prodiges
Avec les craies de toutes les couleurs
Sur le tableau noir du malheur
Il dessine le visage du bonheur.
MINUIT
Au fond de l'impasse,
Un hôtel de passe:
Il pleut, c'est minuit,
J'entends sonner l'heure
D'une voix qui pleure
Et le pavé luit.
Qui donc ici passe ?
Quelle ombre s'efface ?
Quelle autre la suit,
Au fond de l'impasse,
Par ce soir de pluie ?
Romance de Paris ( francis Carco ).

Ce jour-là, quand je t'ai vue,
j'étais comme quand on regarde le soleil;
j'avais un grand feu dans la tête,
je ne savais plus ce que je faisais,
j'allais tout de travers comme un qui à trop bu,
et mes mains tremblaient.
Je suis allé tout seul par le sentier des bois,
je croyais te voir marcher devant moi,
et je te parlais,
mais tu ne me répondais pas.
J'avais peur de te voir, j'avais peur de t"entendre,
j'avais peur du bruit de tes pieds dans l'herbe,
j'avais peur de ton rire dans les branches;
et je me disais:" Tu es fou,
ah! si on te voyait, comme on se moquerait de toi!"
Ca ne servait à rien du tout.
Et, quand je suis rentré, c'était minuit passé,
mais je n'ai pas pu m'endormir.
Et le lendemain, en soignant mes bêtes,
je répétais ton nom, je disais:" Marianne..."
Les bêtes tournaient la tête pour entendre;
je me fâchais, je leur criais:" Ca vous regarde ?
allons, tranquilles, eh! Comtesse, eh l la Rousse."
et je les prenais par les cornes.
Ca a duré ainsi trois jours
et puis je n'ai plus eu la force.
Il a fallu que je la revoie.
Elle est venue, elle a passé,
elle n'a pas pris garde à moi.
Le Petit Village
Charles Ferdinand Ramuz.
PHASES
L' enfant pourra bien mourir
S'il se fatigue à courir
Parmi les objets aimés.
On écoute à la croisée
Le pauvre faire sa cour
Au silence du grand jour.
Bruit du jour, fais ta prière.
L'heure passe lente et claire
Sur la place somnolente,
Sous le ciel d'hiver tremblant.
Comme la vie fait souffrir,
Sans reproche, sans mot dire,
Pour un rien, pour le plaisir...
Léon-Paul Fargue
La faveur des étoiles est de nous inviter à parler, de nous montrer que nous ne sommes pas seuls, que l'aurore a un toit et mon feu tes deux mains.
René Char- Ligne de foi- (La parole en archipel)
TARD DANS LA NUIT
Je suis dur
Je suis tendre
Et j'ai perdu mon temps
A rêver, à dormir
A dormir en marchant
Partout où j'ai passé
J'ai trouvé mon absence
Je ne suis nulle part
Excepté le néant
Mais je porte caché au plus haut des entrailles
A la place où la foudre a frappé trop souvent
Un coeur où chaque mot a laissé son entaille
Et d'où ma vie s'égoutte au moindre mouvement
PIERRE REVERDY

LES QUATRE SANS COU
Ils étaient quatre qui n'avait plus de tête,
Quatre à qui l'on avait coupé le cou,
On les appelait les quatre sans cou.
Quand ils buvaient un verre,
Au café de la place ou du boulevard,
Les garçons n'oubliaient pas d'apporter des entonnoirs.
Quand ils mangeaient, c'était sanglant,
Et tous quatre chantant et sanglotant,
Quand ils aimaient, c'était du sang.
Quand ils couraient, c'était du vent,
Quand ils pleuraient, c'était vivant,
Quand ils dormaient, c'était sans regret.
Quand ils travaillaient, c'était méchant,
Quand ils rodaient, c'était effrayant,
Quand ils jouaient, c'était différent.
Quand ils jouaient, c'était comme tout le monde,
Comme vous et moi, vous et nous et tous les autres,
Quand ils jouaient, c'était étonnant.
Mais quand ils parlaient, c'était d'amour.
Ils auraient pour un baiser
Donné ce qui restait de leur sang.
Leurs mains avaient des lignes sans nombre
Qui se perdaient parmi les ombres
Comme des rails dans la forêt.
Quand ils s'asseyaient, c'était plus majestueux que des rois
Et les idoles se cachaient derrière leurs croix
Quand devant elles ils passaient droits.
On leur avait rapporté leur tête
Plus de vingt fois, plus de cent fois,
Les ayant retrouvés à la chasse ou dans les fêtes,
Mais jamais ils ne voulurent reprendre
Ces têtes où brillaient leurs yeux,
Où les souvenirs dormaient dans leur cervelle.
Cela ne faisait peut-être pas l'affaire
des chapeliers et des dentistes.
La gaieté des uns rend les autres tristes.
Les quatre sans cou vivent encore, c'est certain
J'en connais au moins un
Et peut-être aussi les trois autres.
Le premier, c'est Anatole,
Le deuxième, c'est Croquignolle,
Le troisième, c'est Barbemolle,
Le quatrième, c'est encore Anatole.
Je les vois de moins en moins,
Car c'est déprimant à la fin,
La fréquentation des gens trop malins.
- Fortunes - Robert DESNOS