ce qui tremble et s’échappe
ce qui tremble et s’échappe dans le regard, à la limite du réel, une
clarté qui se dissipe et disparaît au gré des images de l’eau
c’est cela qui se joue dans la tonalité de ses lumières, et s’impose, insis-
tant, comme ces odeurs douces et ces voix disparues dans les chambres
désertes
et c’est là où se prend le rêve, cet écart entre absence et présence, terri-
toire de solitude et d’intense vertige dans l’abrupt de l’instant, où règne
un tremblement de prises d’être et de pertes d’être sans fin
…
c’est un lieu perdu dans le monde
c’est un lieu perdu dans le monde, au seuil de notre espace et de toute
pensée, en bordure de temps et d’haleine, ce lieu d’incertitude où
germe le poème
où vont se perdre ces reflets captifs des paysages qu’elle emporte, ces
images tremblées du réel dont l’encre se dilue sur un papier de soie ?
…
ne reste que la trace du paysage
ne reste que la trace du paysage, comme un mot suit un autre pour
atteindre le silence, un écho dans la gorge, au-delà de la voix
ainsi vont ces images, la même phrase à l’infini, reprise, biffée, réécrite,
répudiation à l’infini des mots de ce poème qui s’écrit sans nous et
qui, seul, nous parle d’un monde que nous ne pouvons pas comprendre
le temps n’existerait donc pas
La systémie c’est comme l’histoire de l’arbre qui cache la forêt. En haut d’une colline, il y a un jeune arbre qui va très mal, il perd ses feuilles, ses branches, il n’a plus de fleurs il est malade. Nous escaladons la colline pour aller le voir. Plus nous nous approchons de lui, plus nous constatons qu’il n’est pas seul et que derrière lui, il y a une forêt. Alors, pour mieux comprendre ce qui fait souffrir cet arbre, nous visiterons chaque arbre de cette forêt.
Il nous est souvent arrivé de demander à des familles que nous recevions pour la première fois, de nous dire pourquoi nous étions tous là ensemble. La plupart des familles désignait l’un des leurs, un des enfants, en disant que c’était à cause de lui si la famille était là. Alors nous reprenions en disant que nous n’allions pas dire que c’était à cause de lui que nous étions réunis, mais grâce à lui. Ainsi nous pouvions nous occuper de tous. Nous sentions alors comme une forme de soulagement au sein de la famille.
Jusqu’au XIXe siècle face aux difficultés que pose l’individu dans sa famille et dans la société, surtout dans les grands centres urbains, celui-ci est écarté afin de protéger le groupe. Voir l’histoire de Camille Claudel, qui passa 30 ans dans un asile psychiatrique. Au début du XXe siècle une alternative s’offre alors pour la résolution de ces problèmes, alternative centrée sur la personne, la psychanalyse était née. Freud dira qu’il faut garder la famille en dehors de la cure. La propre fille de Freud, Anna ne sera pas d’accord avec son père par exemple elle inclura la mère d’une petite fille dans la cure et dans d’autres situations. Et pourtant, Freud fera de la systémie sans le savoir avec le petit Hans, il fera cette cure par l’intermédiaire du père de l’enfant, alors que dans la psychanalyse le travail est duel, il n’y a pas l’intervention d’une tierce personne. Le père du petit Hans connaissait bien son fils, il y était très attentif. Freud profitera de cette opportunité pour aider ce petit garçon, qu’il ne verra qu’une seule fois. [...]
Une troisième voie verra le jour en 1950 avec l’apparition de la Systémie. La systémie nous dira, tout autre chose, c’est que l’individu est indissociable de son groupe, de sa famille et qu’il faut soigner tout le monde. Cette recherche autour de la communication dans les familles, considère qu’elle est un groupe vivant un ensemble d’événements, de manifestations communes, partageant une pratique collective.
Section Alejandra Pizarnik
QU'IMPORTE
Extrait 2
comment mourir quand
on n'est pas sûr d'avoir existé ?
que l'on sait si peu de son nom ?
qu'on est que présumé ?
qu'on est de nulle part ?
d'une colline d'une plaine
du lointain de l'horizon flou
de la menthe du temps ?
il y a tous les siècles
à regarder venir
avec leur part de ciel
avec des nuits glaciales
des nuits chargées de solitude
avec des temps défigurés
des jours taillés en pointe de silex
et des rêves de déchirure
dans les rideaux qui battent aux fenêtres
…
DE TOURBE…
de tourbe
de cailloux de sable
de racines d’écorce de sève
de ronces d’arc-en-ciel de nuages
de rameaux convulsifs
de feuilles pourrissantes sous des lunes amères
et de miroitement d’étangs éblouis de clarté
de flexion d’âme d’agonie glaciaire
de lichen de vase d’eaux sales
de noces indécises et d’oiseaux de glaise
de soleil blanc d’étoiles mortes
de plaintes telluriques
et de pierres vives
…
Section Claude Cahun
ARBRE AVEC OISEAU
l'arbre tourne
son ombre vers nous
tilleul ou acacia
quand s'affutent nos soifs
sa main levée
sépare les nuages
pour ouvrir un berceau à la pluie
lui sait
couvrir nos corps de feuilles
leur tremblante clarté de vitrail
et déposer une prière
dans les plis de notre sommeil
avec l'oiseau
merle ou mésange
perpétuant les gestes de l'amour
ils peuvent rire de la mort
qui se prend au sérieux
ce pouls inerte
qu'une lame d'agonie balaye
entre la tombée de la nuit
et l'incertain lever du jour
mais c'est sans importance
rien ne persiste dans nos voix
qu'un vent jauni cherche à trancher
que les rêveries du matin
enlacées à quelque parfum
où se retrempe la lumière
qui danse entre nos doigts
Section Claude Cahun
LE CHÂTAIGNIER DÉRACINÉ
versant ouest
ce qui vers le maquis bascule
gît cet arbre sabré
par la foudre
tête en avant jeté
dans le torrent des pierres
soulevant dans sa ruine
des éclats d'incendie
ses racines
dressées vers le ciel
sculptées dans le silence
lui sont un immobile poing levé
qui renverse l'ordre d'un monde
réglé sur la balance du soleil
dessus dessous se sont perdus
dans le chaos de la rocaille
invitant le regard égaré
qu'une lumière noire aveugle
à une désobéissance radicale
née de sa première stupeur
instant de nuit profonde
coulée de lave dans les yeux
où le temps suspendu
par une seule image
doit revenir dans le regard
qui doit apprendre à recouvrer
le temps de sa propagation
Section Walter Benjamin
FEU DE JOIE
il n'y a que l'errance
qui soit son début et sa fin
sur ce peu de terre habitable
où la mort est toujours plus vaste
les sables du désert plus proches
plus nombreux ces vents de folie
de poussière et de sel
qui défient le soleil
cette bouche d'enfer
il n'y a d'horizon
pour les yeux faméliques
dans le jour aveuglant et torride
que ces mirages secourables
au sang usé des illusions
et la vieille et vaine souffrance
de l'humaine calamité
alors aller
marcher en claudiquant
dans la conjonction suffocante
des astres et le noir de fumée
– sur le bûcher des certitudes
nous n'avons plus au cœur
qu'un sombre feu de joie
et une boussole brisée