Seul est mien
Le pays qui habite mon âme
J’y entre sans passeport
Comme chez moi
Il voit ma tristesse et ma solitude
Il m’endort
Et me couvre d’une pierre parfumée
Marc Chagall
Et pourtant il ne s’est pas passé un jour de ma vie où je n’aie douté de moi, de mon travail, où je ne me sois souvenu d’avoir été le dernier de ma classe. Comme si je marchais sur un pont suspendu dans l’air, et que les années de ma vie, transparentes comme des nuages, s’étendaient tel un manteau lumineux, sans matérialité. Je vois des mains et des pieds danser, je capte le son des mots, j’entends l’écho des siècles, comme si quelqu’un me donnait un baiser et me parlait de la vie que j’ai vécue, et je suis tout entier comme un bouquet de roses, un bloc de marbre, couvert par la rosée du matin. Je ne vis pas au jour le jour mais les vents de l’éternité me traversent, les problèmes de l’époque passent à travers moi.
Mémoires de Marc Chagall
Les prophètes bibliques tourmentés de Vitebsk firent leur apparition dans mes tableaux : un peu affamés, un peu déguenillés, ils jetaient sur le monde un regard sans espoir. Leur regard est pareil au mien. Les couleurs coulent sur eux comme de la sueur, s’écoulent Dieu sait où. Et en attendant que le jour se lève, qu’il n’y ait plus le vacarme, la propagande, les camps de concentration, les fours, les prisons physiques et morales, je peignais des prophètes torturés
Et la femme se révèle d'une sensualité qui passe par le tremblé du crayon. L'abandon du corps impose le renoncement à la ligne acide qui nomme ce qu'elle trace.
Jusqu'à l'âge de six ans, Fernand Khnopff a vécu à Bruges, où son père occupait la charge de substitut du procureur du Roi. La nostalgie de cette petite enfance se conjugue, chez lui, avec le souvenir d'époques plus lointaines. Une secrète complicité l'unit à Hans Memling, le grand peintre flamand qui vécut et travailla à Bruges au XVe siècle. Les deux artistes partagent le même goût pour un dessin strict et appliqué et, l'un et l'autre, cherchent à traquer une vérité au-delà de l'apparence des choses.
Ils se traînent maintenant en loques,
Pieds nus sur les chemins muets.
Les frères d’Israël, de Pissaro et de Modigliani.
Nos frères. Tirés à la longe
Par les fils de Dürer, de Cranach et d’Holbein
Vers la mort dans les fours.
Comment verser des larmes
Quand depuis longtemps, mes yeux
Ont été desséchés par le sel ?
Marc Chagall
Plusieurs décennies plus tard, d’ailleurs, Dali continuera à faire l’éloge de son confrère belge. En 1968, l’année qui suit la mort de Magritte, il le qualifiera de « peintre exemplaire » précisant même :
Je trouve que c’est peut-être le premier des peintres surréalistes, très scolaire et il devrait servir dans toutes les écoles du monde, la Chine de Mao Tsé-Toung incluse, pour illustrer d’une façon primaire ce que c’est que la poésie. C’est celui qui a donné les exemples les plus frappants du langage poétique.
Fernand Khnopff est véritablement hanté par la figure du dieu grec du Sommeil, Hypnos. L'a-t-il découvert pendant ses études classiques à Bruxelles ou à la faveur d'un voyage à Londres au cours duquel il aurait pu admirer, au British Muséum, le petit bronze attribué à Scopas? Il copie cette sculpture à maintes reprises, la colore en bleu, ou la surmonte d'un oiseau de nuit. Il installe dans sa maison-atelier de l'avenue des Courses un autel votif dans lequel il dispose, au-dessus d'une armoire en verre, un moulage de la tête ailée.
(..) Khnopff joue d'un " symbolisme caché "qui conditionne l'émergence d'une pratique symboliste du portrait. Celui de sa soeur qu'il exécute en 1887 en fixe la typologie: corps prisonnier de l'espace, contraint par le vêtement qui en comprime les formes, geste qui interdit tout contact avec le spectateur, regard qui se défausse et, pourtant, représentation qui se livre au regard. (...) À l'instar de la porte fermée, la femme reste cloîtrée dans un rêve qui bannit toute action et n'autorise que l'attente.
Tant Magritte que Dali nous déconcertent par la remise en question de nos hypothèses sur la vue. Ils contestent surtout notre compréhension de la réalité empirique, introduisant ainsi d’autres dimensions dans l’image d’une nature conceptuelle, linguistique ou psychologique