Puisque du commandant de bord vous croyez tout savoir, regardez-le ! Il n'a rien à dire et ne dit rien. Il se tient là, neutralisant tout l'espace scénique. Quelle violence que de le voir ainsi, nu, nu comme jamais, nu comme nous l'avons mis, comme nous l'avons contraint, comme nous l'avons laissé. nu d'une exploration au plus profond qui soit, nu à en voir l’érection ! Elle remplit sauvagement le silence.
Le Petit Prince, savant et curieux, demande : — « tu dis que ton métier c’est d’être le commandant du bord ! Quelle est donc cette fonction étrange, en quoi consiste-t-elle exactement ? »
Le Pilote espiègle lui répond : — « tu ne préférerais pas que je te dessine un mouton ? »
Le Petit Prince, tout aussi espiègle et taquin :
— « dessine-moi un commandant-mouton ! »
Au commencement donc étaient le commencement, l'audace, l'audace du commencement. L’audace, c'est de la liberté avant la liberté, de la liberté en puissance, comme l'étincelle est du feu avant l'incendie. Nous ne pouvons pas concevoir cette chose, l'audace parce qu'elle nous est donnée. Nous pouvons reconstituer en rêve l'audace initiale, mais nous ne pouvons la revivre. Pour la vivre, il nous faudrait être le premier homme. Trop tard ! Pour la liberté, il ne va de même. Nous savons qu'elle existe, mais nous ne pouvons plus l'inventer ou la voler. Le rapt a déjà eu lieu. Dieu n'a pas donné le libre arbitre, il se le soit fait voler par la nomination, par l'érection. Prométhée n'a rien volé à Zeus pour le donner aux hommes, ils furent bien assez grands pour le voler eux-mêmes.
– Cognac sol, roumi 221, roulage !
Roumi 221 c’est moi, c’est mon indicatif radio. 221 indique que je suis un élève pilote en tout début de progression. Mais je m’en fous. Dire 221, c’est se nommer. Je suis déjà bien content. 221, ou plus, ou moins, peu importe, je suis moi, seul et je vole. Je me nomme et je m’annonce. Il me suffit de quelques nanosecondes pour penser, rêver, le long processus de mon avenir et le valider. Me nommer ainsi suffit à me gonfler d’orgueil. Je suis Roumi, j'ai le nom de mon escadron. Ce n’est que la mission qui me ramène à un peu d’humilité. La mission et tout ce qui gravite autour, bien sûr, comme le contrôle aérien qui me surveille et m’encadre.
Un vol ordinaire qui sera le voyage dans la décision, une circumnavigation, une révolution autour du monde aéronautique, un vol libre. Ce vol libre, par son action modifiera ce qui est au nom de ce qui n'est pas encore. Ce vol libre ne pourra s'accomplir sans briser l'ordre ancien, il sera une révolution permanente.
Exquis souvenir des jours rares et des vols extraordinaires où l'on prend la décision de l'envol vers où on ne nous attend pas et où on découvre la décision là où elle n'est pas.
Arrivé au bout de la piste, au moment de la suivre dans l’autre sens je voulus refaire l’expérience primitive de l’érection : je m’accroupis et me levai d’un bond. Je voulus saisir le sens du Sphinx. Dans le bond de mon propre enfantement, dans ma nomination me vint cette évidence : On ne naît pas homme on le devient ! J’étais là sur la piste, dressé, et je me hurlais : je ne descends pas du singe, j’en monte. Je suis un marcheur. J’ai la taille de mon envie.