Deux livres de photographie mettent la contre-culture à l'honneur : "Contre-culture dans la photographie contemporaine" de Michel Poivert, et "Sontag" de Benjamin Moser, biographie de Susan Sontag, grande figure de la littérature étasunienne. Ils sont les invités d'Olivia Gesbert.
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Plus qu'en des représentations, les photographes croient en des images performatives c'est à dire participant à la création de nouveaux repères. Le paysage est à reconstruire et le photographe en sera l'arpenteur et l'inventeur.
"Ce que les peintres aiment regarder dans la photographie, ce sont bien plus les reportages dans la presse et la publicité, la photo de famille et les clichés scientifiques, ce qui, d'un mot, constitue désormais une culture photographique, sauvage, désordonnées, chaotique et non réglementée par les salons de photographies et les prix photo-clubs. Cette opposition est certes schématique, mais elle nous fait comprendre que lorsque les peintres pratiquent ou font usage de la photographie, ils n'ont nullement besoin d'y chercher un prolongement de leur métier de peintres. Au contraire, il s'agit d'une forme extérieure de relation à l'image, un ailleurs susceptible probablement de générer chez eux, de façon plus ou moins consciente, de nouvelles sensations, et un dialogue parfois direct ou parfois sourd avec leur art, mais qui instille par ses spécificités un mode de création particulier"
Car, c'est bien ceci, de Mai 68 au Biafra, que le photographe comprend: la victime est une actrice de l'histoire et non la conséquence des conflits. En travaillant longuement les portraits d'enfants démunis, en captant les regards qui, malgré les corps squelettiques, sont pleins de dignité humaine, Caron déplace les codes de la compassion pour ériger la plus fragile des figures en mouvement.
Qu'elles sont ces images et pourquoi continuent-elles, cinquante après, de choquer ? Peut-être tout d'abord, parce que ces actes gratuits sont faits en toute impunité, non seulement devant des passants, mais sous les objectifs des photographes présents parfois en nombre.
Il lui a suffi de sortir du campus pour pénétrer dans le bidonville de Nanterre, de se retrouver avec des enfants en guenilles, les enfants peut-être de ceux que son régiment de parachutistes traquait durant la guerre d'Algérie, de se poser derrière les barbelés et de faire des images de Nanterre de ce point de vue là: celui d'une France qui est très loin de se regarder en face. Michel Poivert
L'arpentage du terrain, chambre sur le dos, devient une des méthodes du photographe qui s'il renoue avec la tradition du peintre de chevalet autant qu'avec celle de l'ingénieur des Ponts et Chaussées, invente dans le même geste une façon de lire le paysage comme une métamorphose : il s'agit moins d'un constat que d'un dialogue avec ce qui sera un "site".
En attendant, le spectateur attentif des foules de Caron y trouve très souvent un point d'ancrage, un visage qui a attiré le photographe, une beauté expressive, parfois un regard pensif, comme empreints d'une grâce qui tranche avec l'effet d'anonymat de la foule.Michel Poivert
Impossible ici de ne pas relier l'acte d'observation de Caron à son vécu durant la guerre d'Algérie. Certaines lettres du photographe à sa mère rappellent à quel point les violences à l'égard des civils commises par l'armée française ont eu sur lui un caractère traumatique.
Au final, et au même titre que l'expression "art contemporain", il n'y a pas de définition de ce que l'on entend par "photographie contemporaine". Elle jouit, dès lors, du prestige que l'on accorde habituellement aux fausses notions claires.
Mais au fond, ce qui fait de Caron "le" photographe des "années 68", c'est surtout sa profonde compréhension de l'acteur social et historique en train de naître dans la culture occidentale: la jeunesse. Michel Poivert