L'hôpital était en rase campagne, à quelques kilomètres au nord de Prémont, sur la gauche de la nationale qui conduit droit aux betteravières de la Somme. Au bout d'une petite route que les Ponts-et-Chaussées avaient décrétée sans issue, se dressait une muraille monumentale, l'enclos centenaire des jours sans fin de milliers de tourmentés et d'exclus. Avec l'arrivée des neuroleptiques, dans les années cinquante, fini les déserteurs, plus de cris de révolte ni de colère, les camisoles devinrent chimiques et, dès lors, l'imposant mur de pierres ne fut plus que le paquet-souvenir délimitant les cent hectares de l'ère nouvelle.
Qui, en France s'intéresse aujourd'hui au sort réservé aux dizaines de milliers d'internés? Les années soixante-dix datent, si je puis dire, et l'anti-psychiatrie n'est plus qu'un mot mis au rencart dans un lexique, qui, d'ici quelques décennies, ne sera plus consultable que dans la dernière bibliothèque psy fréquentable : la décharge dans laquelle les neurosciences vident leur poubelle.
"Regrets éternels." C'était écrit en lettres d'or sur la stèle funéraire exposée dans la boutique de pompes funèbres jouxtant l'hôpital Saint-Louis. D'un moment à l'autre, le marbre allait trouver preneur ; alors, on graverait un nom, un prénom et deux dates faisant parenthèses dans l'éternité.
En s'approchant de la vitrine, Aimable distingua son visage éthéré, aérien et spectral survolant la pierre tombale. Qui allait le regretter, lui, ce sans-famille, ce sans-histoire ? Un jour, il s'évanouirait comme une ride sur la grève, sans même un clapotis, et le voyageur de commerce qui n'avait jamais voyagé ne laisserait derrière lui que des échantillons de produits de bureau et d'école : des crayons et des feutres, des craies et des éponges...
- Regarde cette calligraphie ! Elle est superbe, elle sent la communale d'avant-guerre, la robe-tablier, les lignes et les coups de règle sur les doigts. Tu vois quelqu'un de la génération du stylo bille ou du feutre écrire comme ça ?