«Un jardinier disait à ses mains...»
Un jardinier disait à ses mains,
Disait au jardin :
Je suis ta jument je suis ton pré
Je suis ton ciel je suis ton sol
Je suis ton aile et ton tourment
Je suis ton eau
Je t’abonde tu m’embrasses
Tu m’élèves tu te glisses
Tu m’inventes tu t’élides
Tu m’étonnes tu t’en viens
Je suis ton ambre et ta lumière
Je suis la manne de tes fruits
Je suis l’entaille du matin
Je suis le toit je suis la plaine je t’étreins
Je suis ton aile tu m’emportes
Tu t’envoles tu m’étrennes
Tu te donnes tout le ciel
Tu me donnes ton haleine
Tu es l’embrun tu es le sel
Je suis la chair de ton hallier
Tu es l’embrun tu es la sève
Je suis ta brume ton entrain
Je suis ton bras je suis ta main
Je suis ton ombre et ton sentier
Je suis ton pas
Je suis ta soie ton couturier
Il contempla la toile de ses mains,
Il regarda le buis, l’érable, il vit l’aubier,
Il vit la feuille et la ligne des feuilles,
Il regarda le ciel, il regarda le sol,
Il contempla la soie de ses mains,
Il vit que la soie était celle du jardin.
CINQ POÈMES POUR UN JARDIN
1
Un kilim est un tapis, un sac, une couverture.
Nous l'avons posé sur notre lit.
Les nuits ont le goût de la menthe
Et les fleurs jaunes en buissons tapissent la montée du ciel.
2
La chaise vide arrange l'ordre des dalles.
Nous sommes la chaise, le vent.
Le vide est une emblavure
Ou peut-être une lampe.
3
Elle a dit : « Ne pars pas. »
Elle a dit : « L'acacia doit adoucir le ciel
Et balayer la maison. »
Elle a des yeux très étonnés
Qu'elle encadre des mains.
4
Ici les insectes morts intacts
Détaillent d'ailes bleues les fenêtres.
Le vitrail est notre patience.
Les marches font l'ourlet,
Nous apprenons à coudre avec de l'air opaque.
5
En même temps nous avons le temps,
Tout le temps.
La chauve-souris est arrivée
À l'heure imprévue,
Elle a posé sur le ciel de la fenêtre un aveugle,
Nous l'avons longuement dessiné sur nos mains.
UN REGRET
…
Laisse vivre
Assèche le sel
Laisse la sève
Laisse un rosier près de la vigne
Laisse le sang monter aux joues
Laisse les yeux former le mur
Laisse la rue quêter les fleurs
Et regrette
De ne pouvoir être
À la ville et au moulin
Au four et aux charmilles
Au mors aux caresses à la mer
Quand il les faut en même temps
Regrette
La pierre et le laurier jetés aux cendres
Regrette
La persistance des grilles
Regrette
De ne pas être entendu quand tu le cries
Regrette
L’arbre et la feuille
Les mains posées
La fenêtre au vent
Une porte entrebâillée
Regrette
Mains et mondes
Demande encore le défendu
UN REGRET
Laisse-le
Il vient
Laisse-lui
La pluie le printemps le buis l'ombre
Laisse l’étreinte et l’ombre aux mots
Laisse à leurs voix la rue et l’enfant
Laisse à cet homme le repos
Laisse-le
Laisse-nous
Laisse les mots au temps
Laisse l’ombre s’éblouir
Ne l’éreinte pas
Laisse le jour entrer
Laisse l’aube à l’ami
Laisse l’empreinte sur la peau
Laisse l’eau venir aux mains
Laisse l’oubli aux morts
Souviens-toi
Laisse à la poussière la devise qui le dit
Un mot d’ordre le floue
Laisse le doigt dessiner
Le midi de l’os le vif et la mémoire
Laisse la hache et le bruit
Laisse la tête détruite
Laisse à la boue celui qui l’a détruite
Écarte-les
Laisse un fusil se tourner contre lui
Laisse transi l’artificier
Laisse au rebut les désirs d’éboulis
Laisse l’enfant près du mourant
Qu’il grandisse et l’enseigne le remplace
Qu’il l’augmente et l’écoute le récite
Laisse-le prendre la route
Semer le vent
…