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3.88/5 (sur 4 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Madagascar , 1931
Biographie :

Michèle Brocard-Plaut, est née à Madagascar où son père dirigeait le Comptoir Colonial de la Marseillaise ; elle passe sa jeunesse au Maroc et y obtient un diplôme de licenciée en droit de l'Institut juridique de Rabat. Épouse de l'architecte des Bâtiments de France Edmond Brocard, elle suit son mari à Chambéry en 1964. Reprenant ses études, elle est titulaire d'une maîtrise d'Histoire consacrée aux communautés de Tarentaise au XVIIème siècle.
Membre d'un grand nombre de Sociétés savantes, Michèle Brocard a écrit ou participé à au moins huit importants ouvrages sur la Savoie.

Source : Académie de Savoie
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
A Nancy, Charles VII était accompagné d'Agnès Sorel, la dame de Beauté. Lorsque le Dauphin arriva, il crut éclater de colère. Sa mère était bafouée en public. Son épouse, Marguerite d'Écosse, se prenait pour une héroïne de vieux roman. Le roi la couvrait de soieries et de fourrures, tandis que lui-même ne possédait pas un réau pour payer ses dettes. La jeune femme recevait chaque soir un cercle de courtisans qui lisaient de la poésie, et tardait tant à rejoindre le lit conjugal que le Dauphin avait terminé ses dévotions minutieuses et dormait quand elle approchait d'un pas menu. Comment s'unir et faire un héritier ? D'autant que la folette, pour conserver sa minceur et se préserver des grossesses, buvait du vinaigre, mangeait des pommes vertes et se laçait aussi étroitement que possible, à en avoir le souffle coupé. Charles VII menait joyeuse vie avec la reine, sa maîtresse, la dauphine, et sa nièce, Marguerite d'Anjou, qui n'avait pas rejoint son époux anglais.
Le Dauphin fut envoyé avec sa mère, Marie d'Anjou, en éclaireur à Châlons y conférer avec la duchesse de Bourgogne des dédommagements pour les ravages des Écorcheurs. Isabelle de Portugal était à présent une femme de quarante-huit ans, impérieuse, habile négociatrice, que son époux chargeait de missions diplomatiques. Mais la duchesse passait de longues heures avec la reine de France, en grand honneur et privauté, à se plaindre de leur époux. On ne savait laquelle de ces dames était la plus cocufiée, le duc Philippe étant l'homme le plus dameret et le plus envoiseux qui soit, nanti d'une belle compagnie de bâtards. Quant à Charles VII, il venait de passer les bornes de la bienséance, élevant une pauvre demoiselle, gentille femme toutefois, à un état comparable à celui des plus grandes princesses. La Surelle, fille d'un homme de robe, était, à bien chercher, noble par sa tourangelle de mère. Elle avait su y faire, la mâtine. Un astrologue lui avait prédit qu'elle serait aimée d'un des plus vaillants rois du monde :
" J'ai bien cru qu'il s'agissait de votre Majesté, mais je vois bien que c'était le roi d'Angleterre, qui vous prend tant de belles villes à la barbe, j'irai donc le trouver ".
Piqué au vif, le roi avait réagi, tandis que Marie d'Anjou pleurait dans le giron de sa mère Yolande d'Aragon. Mal lui en prit, la belle-mère jeta elle-même la Surelle dans les bras de son gendre, afin d'éloigner des favoris qu'elle jugeait néfastes au royaume, Agnès lui paraissant de bon conseil, et elle prescrivit à la reine de fermer les yeux.
" Si ce n'est celle-ci qui entre dans la couche de Charles, ce sera une autre ".
Agnès Sorel lançait la mode en matière d'accoutrements. Ne lui doit-on pas les grands décolletés jusqu'au " Fils ", tel celui qu'elle adopta sur un portrait, poussant l'effronterie juusqu'à mettre un sein à nu ? On jasa. . . :

" Robe ainsiques escoletée
Semble le treu d'une privée ( trou de latrines )
L'en l'on puet bien veoir es sains
L'en i mettroit bien ses deux mains
Ou une miche ".

Ses longues jupes à grande queue fourrée traînaient au sol, elle fut la première à porter des diamants taillés, ce que nous nous empressâmes d'imiter. Nous étions devenues folles d'affiquets, c'était à qui s'arracherait le poil du dessus de la tête avec des pincettes pour dégarnir le front sous le hennin. On s'épilait les sourcils pour n'en laisser qu'un ligne étroite.
" Où est la femme qui nous ose ici protester d'avoir pris le fer, pour se plumer vive et répandre son sang par plaie ? "
Le " Dict des mariages " se moquait aussi de nos coiffures orientales, pointues ou cornues, somme toute extravagantes :

" Or, venons à dames cornues
Chiès de Paris testes tondues
Qui se vont pour offrant à vente
Comme cerf ramu vont par rues
En bourriaus, en fars, en sambues "
( coiffées de bourrelets, fardées, sur leurs selles ).

Jehan de Meung ne nous avait pas épargnées non plus :

" Je ne sais s'on s'appelle
Potences ou corbiaux
Ce qui soutient leur corne,
Que tant tiennent à biaux
Mais bien vous ose dire
Que Saincte Elysabiaux
N'est pas en paradis
Pour porter tiex babiaux ".

Pour conserver le teint lisse, nous nous enduisions front, tempes et joues de pommades à base d'oignons de lis blanc, de miel et de cire fondue. A chacun ses soucis.
Pris entre les confidences des deux princesses, les afféteries de son épouse, le dauphin s'exaspérait. Or la duchesse de Bourgogne savait exactement où elle voulait mener ce jeune homme impatient. Ah oui bien, les Écorcheurs avaient osé ravager ses états. . . Ah ! ils avaient exercé le droit de gîte en vidant les huches à pain, en défonçant les tonneaux de bon vin de ses sujets, brûlé les chaumières des laboureurs, volé au meunier les fers de son moulin, au forgeron ses clous et ses soufflets, passe encore. . . Mais comment justifier jamais les crimes commis contre l'humanité : crucifiements, pendaisons, filles et femmes violées, enlevées, enfants assassinés ? On ne s'était pas privé de faire rôtir l'habitant pour qu'il révèle la cachette de ses maigres trésors.
[ . . . ]
Avant de quitter Châlons-sur-Marne, Charles VII accomplit avec sa bru un pèlerinage de remerciement à Notre-Dame-de-l'Épine. C'était le samedi 7 août. La chaleur était exessive. De retour au château de Sarry, la dauphine toute en sueur ôta son manteau, s'assit en cotte dans une chambre basse et fraîche. Le lendemain elle toussait beaucoup, prise d'une forte fièvre. Le physicien conclut à une inflammation pulmonaire, et l'on transporta la princesse de Sarry à Châlons, dans une salle donnant sur le cloître de la cathédrale. On ordonna de ne point sonner les cloches des églises. Son état empirait rapidement, Marguerite d'Écosse brûlait, obsédée par un fait qu'elle refusait de révéler, disant enfin que l'on avait mal parlé d'elle à tort. Le samedi 14, on espérait mieux la mort que la vie ; les médecins déconfits et impuissants l'abandonnèrent comme elle entrait en agonie. Le dauphin maître de lui ne soufflait mot. Le dimanche 15, Marguerite demamda à se confesser, on la supplia de pardonner à ses ennemis. Au crépuscule, elle murmura :
" Fi donc de la vie, qu'on ne m'en parle plus ", perdit connaissance et expira dans la nuit du 16. Elle avait dix-huit ans. . .
Trépassa la dauphine à Châlons, belle dame et bonne.
A présent, le dauphin pleurait et se lamentait, soupirant :
" Dieu me oste la chose au monde que plus je amoye ".
La cour de France fut plongée dans le deuil de la fillette, et la reine éprouva si noir chagrin qu'elle eut un flux de ventre.
Le cadavre de la princesse fut examiné, les médecins déclarant que sa maladie faisait suite à de trop longues veilles. Peut-on mourir de trop aimer la poésie ? Le corps fut embaumé. Ni le dauphin, ni ses parents n'assistèrent aux funérailles, ayant quittés Châlons dès le 17 août, suivant les exigences des honneurs de la cour. Le cercueil plombé fut déposé dans un caveau à gauche du maître-autel de la cathédrale de Châlons, en attendant d'être transféré, conformément aux voeux de Marguerite, dans l'abbaye augustinienne de Saint-Laon de Thouars, où elle avait fait élever une chapelle du saint-Sépulcre. Sa soeur, Isabelle Stuart, duchesse de Bretagne, la pleura en vers :

" Adieu Dauphin mon très cher sire,
A plourer la dame se print
Pour vous j'avoie la mer passée
...
Adieu duchesse de Bourgoine
La mienne soeur o coeur jolis
si vous pouvez par nulle voye
Mettez la paix en la fleur de lis
. . .
Adieu noble royne de France
Et toutes vos dames aussi
Je vous prie ma très chière dame
Confortez mon loyal mary ".
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Mélusine a crié trois fois.

Moi seule l'ai entendue. Dans la chambre où le jour s'éteint, je ne suis déjà plus de ce monde. Entourée des ténèbres de la mort, j'ai ordonné par testament que ma sépulture soit en l'église des frères mineurs conventuels, dans la chapelle de Notre-Dame-de-Bethléem, que j'y sois ensevelie sous l'habit des soeurs de saint François d'Assise, lui qui loua notre soeur la mort corporelle, que l'on dise moult messes pour le repos de mon âme. Que des torches de cire blanche éclairent par centaines le saint des saints. J'ai légué des offrandes aux couvents des clarisses pour qui j'ai toujours eu une tendresse spéciale.
Louis est assis auprès de moi, sa main étreint la mienne, il ne peut retenir ses larmes. Et pourtant, je meurs de la bonne mort, lavée de mes fautes, j'ai reçu la sainte hostie, et me tiens prête à comparaître devant mon seigneur Dieu.
Un murmure de sanglots et de prières monte vers moi. Les frères récitent les prières des agonisants. Ma chère Louise et ma bonne nourrice Eustace, je ne les aperçois plus que dans un brouillard. Merci de m'avoir accompagnée de mon enfance à mon dernier soupir.
Vierge Marie, ma mère, sainte Anne ma patronne, épargnez-moi les souffrances de l'agonie. Emportez-moi vite auprès de vous dans l'attente du jugement dernier et de la résurrection des morts. L'au-delà m'attend, aussi terrifiant pour une princesse que pour une pauvre femme ignorante.
Adieu, je m'en vais, laissant les méchantes querelles apaisées. Et que m'importe que mon corps retourne à la poussière originelle. Mais pourquoi la mort est-elle aussi cruelle que la vie ?
Les prières se font plus hautes, j'entends les litanies, mais elles ne m'apaisent pas. Je n'ai pas démérité. J'ai rempli mes devoirs de servante de l'Éternel, de mère, d'épouse, de princesse. Mon coeur a toujours été un coeur d'amour épris. Je m'en vais rejoindre mes petits morts en jeunesse et vous laisse : Amédée et Yolant, ils règneront sur la Savoie ; Louis et Charlotte, toujours en butte à la haine de leurs ennemis, mais ils sont courageux, ils vaincront ; Marguerite, qui est auprès de son époux à Montferrat ; Charlotte, ma fille, reine de France ; Jean-Louis, bien peu fait pour être homme d'église, l'évêque de Genève ; Philippe. . . Ah ! Philippe. . . Bonne, Anne, Marie, François, Agnès, tous à Amboise ; Janus, l'insouciant. . .
Un grand vent égaré souffle autour du lac, et les frissons me parcourent. Je tente de prononcer quelques mots, mais Louis m'entend-il ?
" Adieu. . . Je vous ai aimé, Louis, je n'ai jamais eu d'autre volonté que la vôtre. Hélas, tous autour de toi m'ont rejetée, nommée l'étrangère, la Chypriote, moi, Anne de Lusignan, Anne de Chypre, moi qui ai abandonné une mer profonde, mon île. . . Chypre. . . ".
Ce 11 novembre 1462, trépassa Madame Anne de Lusignan, princesse de Chypre, Arménie et Jérusalem, fille de fée, qui fut duchesse en Savoie
Les cloches de la paix sonnaient encore, lorsque se mêla à leur son triomphal le tintement doux et sourd du glas funèbre.

" Certes la duchesse valait bien que l'on fit d'elle grande estime, car elle était fille de roi, une très grande et puissante duchesse, et l'une des plus belles Dames de tout le monde ".
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Le 21 juin, tout s'envenime. Philippe et Romont s'emparent brusquement d'Amédée IX qui tient à peine à cheval, le séparent de son épouse et de ses domestiques, pour le conduire en captivité à Chambéry. Ils font aussi prisonniers Montbel et Montmayeur. Yolande, qui doit subir le même sort, se déclare au matin incapable de poser un pied à terre, pliée en deux par des vomissements de peur. La violence, même verbale, la terrorise. Janus, qui a rejoint ses deux frères sur le tard, accepte de différer le départ de sa belle-soeur, dont il se chargera personnellement.
Yolande a réfléchi :
- Je suis l'ancre qui retient la barque qui dérive au rocher. Il faut gagner du temps.
Le lendemain, elle fait savoir à Janus qu'elle accepte de regagner Chambéry avec ses enfants, à conditions de pouvoir faire ses dévotions au couvent de Notre-Dame de Myans.
La nuit a porté conseil. Yolande n'est pas restée inactive, envoyant d'Orlyé à Jean, bâtard d'Armagnac et comte de Comminges, le gouverneur du Dauphiné, et Hugonin de Montfort, seigneur de Flaxieu, vers le roi, solliciter leur aide. La duchesse ne se laissera pas enfermer sans résistance au château de la pire aventure. Elle dépêche son majordome et la brigade de cuisine au château de Chambéry sous prétexte de préparer la collation de réconciliation qui devrait réunir les frères ennemis. À la faveur de l'agitation ambiante, Claude d'Ambel saute sur son cheval pour mettre en alerte les troupes dauphinoises massées à la frontière, non loin des Marches, et Anthelme de Miolans pour qu'il prépare l'arrivée de la duchesse au château d'Apremont, chez Jacques de Montmayeur.
À peine prosternée aux pieds de la Vierge noire de Myans, la Dame qui arrêta l'éboulement du Mont-Granier en 1248, Yolande la supplie humblement :
- Glorieuse Vierge Marie, mère de Dieu et ma dame maîtresse, moi, Yolande de France, misérable pécheresse et votre esclave, je confesse et vous promets par la foi que je dois à Dieu et à vous, de me donner à vous corps et âme, et je vous baille toute la seigneurerie et mes enfants, et le pays, et toute la justice et puissance qu'elle a en ce monde à votre gouvernement. Je m'en démets et vous les remets, et vous supplie que veuillez les garder de leurs ennemis et de tout ce qui leur pourrait nuire, et aussi me veuillez garder de l'Ennemi et de sa puissance à l'heure de la mort, car j'y renonce, et au monde aussi. Et si, par humaine fragilité, ma personne tombait en péché, qu'à l'heure de ma mort il ne puisse rien me demander, car toute ma vie, je t'ai fait hommage et suis ton esclave. En témoignage de cet hommage, je dis tous les jours quinze Ave Maria. Je l'écrirai de ma main et le scellerai de mon sceau.
Puis elle s'effondre inanimée sur le dallage de la chapelle. On la ranime et la conduit sur sa demande au château le plus proche, Apremont, justement, pour qu'elle puisse s'y reposer avec ses enfants.
Encore dolente, Yolande réclame son dernier-né, lui ôte son bonnet de soie blanche, effleure doucement des lèvres le fin duvet blond de Jacques-Louis, lui caresse la joue du bout des doigts et le rend à la nourrice, une larme perlant à ses yeux, disant :
- Veillez sur cet enfançon comme sur la prunelle de vos yeux, je vous en conjure.
Elle refuse de recevoir son beau-frère Jean-Louis qui demandait à la rencontrer, exige de gagner la terrasse qui domine le torrent, cueille distraitement une grappe de cytise à la tonnelle. Le soir tombe sur le jardin clos fleuri d'ancolies où s'effeuillent des roses. Son regard se pose sur le massif de Belledonne dont la brume du soir estompe les contours. Allons, il fera beau demain, ce signe ne trompe jamais. La brise retrousse les feuilles des alisiers. Les buttes herbeuses des abîmes de Myans font le gros dos entre les plants de vigne. Ici et là des roches grises rappellent l'éboulement monstrueux de la montagne du Granier. Un fil de fumée monte des chaumières basses. La duchesse soupire, pense aux familles de paysans paisiblement réunies autour du chaudron de soupe. La lune s'est levée, on l'a laissée seule après qu'un page lui eut soufflé à l'oreille que Comminges était arrivé à La Buissière, rejoignant un parti armé conduit par Châteauneuf, maréchal du Dauphiné.
Yolande se décide à emprunter l'escalier secret qui aboutit aux douves, révélé par Montmayeur. À la lueur d'une maigre chandelle de suif, sourcils froncés, la duchesse descend avec précaution les marches humides taillées dans le roc, croyant voir un espion dans chaque ombre, entendre une voix hostile dans chaque murmure. De peur, ses cheveux lui tirent la peau du crâne. Elle clopine en marmonnant entre ses dents, une habitude qui a le don d'énerver Amédée.
- Me voici réduite à fuir devant mes beaux-frères, à abandonner mon malheureux époux, mes enfants. Mais si je veux conserver l'intégrité du duché, éviter une guerre civile, je ne peux que me réfugier en terre française avec mes conseillers et attendre en Dauphiné des renforts armés. Inutile d'appeler Sforza à mon secours, il me le ferait payer de manière ou d'autre. Je fais ce que je dois et je suis sûre de faire ce que je dois.
Ses bottes glissent, elle se retient avec dégoût aux parois gluantes. Elle parvient tremblante au fond des douves asséchées. Pourvu que l'on ne se soit pas aperçu de son absence prolongée ! Il faut maintenant trouver le souterrain qui la mènera à la liberté. Le voici. Quand elle émerge enfin dans des fourrés épineux, échevelée, déchirée, il n'y a personne en vue. Le coeur de Yolande s'affole, en outre elle se sent ridicule. . . Où sont passés les hommes de l'escorte promise par Comminges ?
Minuit sonne au clocher d'Apremont.
- Madame. . .
Une petite troupe silencieuse, fantomatique, guettait, tapie dans l'obscurité, les sabots des chevaux enveloppés de chiffons, arbalètes et épées serrées dans des sacs de toile afin d'étouffer martèlements et cliquetis.
- Je suis la duchesse de Savoie, dit Yolande dont la voix a retrouvé sa fermeté.
- Venez, Madame, il nous faut partir sans délai.
- Mes enfants ?
- Personne n'osera les toucher. Vite, Madame, monseigneur de Comminges et le maréchal du Dauphiné nous attendent en terre française, au château de la Buissière, à trois lieues d'ici. Vite, avant que vos geôliers ne s'aperçoivent de votre fuite.
- Merci.
- De la Buissière où nous passerons la nuit, nous gagnerons Grenoble. Votre Seigneurerie y sera reçue avec les plus grands honneurs, comme la propre personne du roi.
On jette une cape de bure sombre sur les épaules de la duchesse de Savoie. La troupe se met aussitôt en marche à travers les vignes, au long des coteaux qui dominent l'Isère vagabonde. Hors de vue d'Apremont, on se guide aux flambeaux dont la lueur irisée troue l'obscurité naissante de ce beau soir de juin. Un sentiment de paix s'empare de Yolande.
- Sans moi, qui détiens le gouvernement légitime du pays, ni le duc ni ses frères ne pourront rien décider. Je resterai éloignée le temps nécessaire. Il faut donner du temps au temps et négocier.
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- Hâtons-nous, hâtons-nous ! Les fourriers du prince de Tarente arrivent. Monseigneur a quitté Milan, il se dirige sur Vercelli. Venez ça, messire Lancelot de Lans. Où en sont les choses ?
- Madame, les cuisines et l'office ont été suffisament pourvus en provisions de bouche. Nicolas le peintre est à l'oeuvre, tous les décors et les accessoires du banquet et de la morisque sont en cours de fabrication. Le prince devrait faire son entrée à Turin lundi 6 février aux alentours des deux heures de l'après-dîner.
- Nicolas se surpasse afin que la réception soit inoubliable. J'ai ouï dire que les dames se font confectionner des robes de taffetas blanc et des frontières de velours garnies de plumes d'autruche.
- Leurs bonnets sont si emplumés qu'ils risquent se s'envoler. . .
- J'ai entr'aperçu la robe de la Bâtarde de Villars, mais je préfère celles de Mademoiselle de Miolans et de Jaquemette de Challes.
- Oui da ! La robe de Jaquemette est mal faite, elle lui fait le cul large. On dit le plus grand bien de ce jeune prince, continue Marie, devenant rêveuse.
- En effet, ma chère. Mais cela ne vous concerne point. Vous êtes promise à Hochberg, et Loyse à Hugo de Chalon. Par contre, le prince de Tarente conviendrait bien à votre soeur aînée, qui risque de demeurer pucelle, car le roi ne se hâte guère de lui trouver un époux. Je vais m'enquérir des projets matrimoniaux d'Alphonse d'Aragon pour son fils cadet.
Lancelot de Lans s'esquive, la conversation entre la duchesse et ses filles prenant un tour personnel.
- Le roi marie sa fille aînée à un vieux bachelier de trente-cinq ans, qui n'est même pas riche. Quelle idée, vraiment !
- Vous n'avez guère appris à connaître votre oncle et les méandres de sa pensée. Le roi se complaît à tisser patiemment plusieurs motifs, qu'il enchevêtre à sa guise. Un cadet sans fortune lui coûte moins cher qu'un prince et se montrera plus docile.
- Oh !
- Par ailleurs, Beaujeu n'a beau être que le cadet du duc Jean de Bourbon, ce dernier n'ayant pas d'héritiers légitimes, Pierre héritera de son énorme fortune. En gagnant le cadet Bourbon, le roi l'éloigne de son frère. Il empêche un éventuel mariage entre Beaujeu et Anne d'Orléans, la soeur de Louis. Son union avec Anne dissocie deux clans qui jouèrent un rôle important lors de la Ligue du Bien public. Le roi n'oublie rien. Vous devriez en tirer leçon, ma mie.
- On dit qu'au jour du mariage, qui se fera à Tours, le roi ne daignera paraître. Anne a dit à notre soeur, sous le sceau du secret, qu'elle s'en moquait, et n'ôterait pas l'anneau que lui passa jadis au doigt Nicolas de Calabre, le prince plaisant.
- Cela ne l'empêchera pas de remplir son devoir d'épouse et de princesse. Prenez exemple sur cette jeune femme accomplie, qui a la tête bien faite.
- Nous passons de l'autorité paternelle, ou d'un oncle, en l'occurence, à celle d'un époux.
- L'éducation des princesses n'est pas une sinécure. Vous y veillerez avec soin lorsque vous serez mères à votre tour. Une princesse doit avoir une contenance belle et simple, savoir se bien conduire dans le monde, parler avec grâce en société. . .
- Si l'on bavarde trop, on passe pour doctorale ou irréfléchie. . .
- Mais les silencieuses sont souvent jugées sottes, se plaint Loyse, qui n'avait pas encore ouvert la bouche.
- Mais non, ma petite mésange. Vous possédez cependant un fonds de sensibilité qui m'alarme pour le repos de votre vie. Gardez-vous l'une et l'autre d'une excessive pudeur, qui risque de vous faire passer pour fières, mais ne regardez pas les hommes comme l'épervier qui fond sur l'alouette. . .
- Ou l'émouchet sur un crapaud, comme la belle Gilberte de Miolans. . .
- Je trouve sa beauté commune, c'est trop.
- Elle porte des cottes hardies, très courtes, très ajustées au buste, sur de longues gonnes. . .
- Ne soyez pas médisantes, mes coeurs, et prenez grand soin toutes deux d'un corps qui est le temple de votre esprit. Allez, à présent, sans oublier que Gilberte sera un jour très riche.
Yolande scrute son visage dans le miroir d'argent poli. Ses traits ont perdu de leur acuité au fil des ans, le gris de ses yeux a pâli et pris la teinte de l'étain terni. Son miroir renvoie une image brouillée, mélancolique et fanée. Elle plisse les lèvres de mécontentement, lève la main, sa suivante accourt.
- Epile-moi les sourcils convenablement, presse un citron, pour aviver mon regard avec une goutte de jus. Prépare mes fards à joue. Lave mes cheveux avec de la cendre. Je deviens transparente, et nous recevons un prince.
Les suivantes entrent chez la duchesse. Sous les ordres de la Janyne, chambrière attitrée de la duchesse, Miquette et Babette se placent de part et d'autre du large lit, tendent et lissent draps et courtepointe avec le grand bâton de lit dont chacune tient une extrémité, glissent la chemise de nuit sous le traversin, répandent sur la couette piquée des coissines de satin blanc emplies de poudre de violettes. Elle passent ensuite dans la garde-robe attenante, secouer les robes et les fourrures étendues sur des perches le long des murs.
- Celle-ci a un accroc. Emportons-la.
Le jeune Charles entre à grand fracas dans la chambre, piaffant et caracolant sur son cheval-bâton.
- Hue dia ! Je suis un chevalier qui part guerroyer avec le duc de Bourgogne.
- Un chevalier ? À peine un palefrenier, se moque Marie.
- Maman !
- Calmez-vous, mes chéris. Où est passé Philibert ?
- Avec le sire de Rivarol.
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