Entre la simulation d'une autorité structurée mais factice et l'exercice d'un autre type d'autorité, hasardeuse mais authentique, qu'est-ce que tu préfères, dis-moi? Est-ce qu'il vaut mieux se confronter à quelqu'un qui parle une langue compréhensible même si elle n'est pas la sienne, ou à quelqu'un qui parle une langue qui lui est propre mais à laquelle on ne comprend rien?
Comme cela avait été facile de t'aimer enfant. Comme c'est difficile de continuer à t'aimer maintenant que nos tailles respectives sont quasiment identiques. (...)
C'est bien après, quand ton enfant (l'angelot inepte qui te donnait l'impression d'être dieu parce que tu le nourrissais et le protégeais: et ça te plaisait de te croire puissant et bon) se transforme en quelqu'un qui te ressemble, un homme, une femme, bref, quelqu'un comme toi, c'est alors qu'aimer requiert de précieuses vertus.
Le Kilim à l'entrée s'est transformé en une minuscule cordillère de plis et de vallons. Son honnête forme rectangulaire, dès que tu entres ou sors de la maison, est totalement ravagée par les semelles de tes énormes pompes ; chacun de tes passages correspond à une nouvelle déformation. Des siècles entiers de savoir-faire de dizaines de peuples différents – caucasiens maghrébins perses hindous – sont balayés par un seul de tes pas.
Bien sûr, cet éloignement vis-à-vis des adultes, je l'ai moi-même vécu lors de mes seize ou dix-huit ans? Mais pas à ce point. Franchement, pas à ce point. Je voyais le monde des adultes comme un royaume à conquérir. Les imiter pour les détrôner: le trône à gagner était celui-là même sur lequel ils étaient assis.
La jeunesse peut-être éternelle, j'ai songé. A condition d'accepter le fait qu'elle ne nous appartient plus.
Si je n’exerce pas le pouvoir ce n’est pas uniquement à cause de ma paresse (qui est réelle, mais pas déterminante). C’est surtout parce que je n’arrive plus à croire au pouvoir, et ce, même avant notre relation à tous les deux. Et donc je ne peux pas, me trompant moi-même, te tromper aussi.
Même les fresques, vous savez, et les peintures à l’huile, les mosaïques, les statues aussi, s’abîment avec le temps. Il s’agit là d’une temporalité bien différente, beaucoup plus ample, mais toutes les choses fabriquées par l’homme sont destinées à dépérir et à disparaître.
Tu es le conformiste parfait. Le rêve inavoué de tout chefaillon, de tout fonctionnaire d’une dictature qui, pour garder intactes ses délirantes murailles, a besoin que chacun brûle plus que ce qu’il lui faut pour se chauffer, que chacun mange plus que ce qu’il lui faut pour se nourrir, que chacun éclaire plus que ce qu’il lui faut pour voir, que chacun achète plus que ce qu’il lui faut pour être satisfait.
Même quand il suffirait d’un rien pour rabattre le couvercle, tu le laisses ouvert. Tu es le perfectionniste du laisser-aller.
On ne peut pas, on ne doit pas demander à ces beaux et à ces belles des renseignements, des prix ou des indications sur les vêtements, car ils sont là uniquement dans le but d’exposer leurs personnes et leurs jeunesses en fleur.