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Critiques de Mieko Kawakami (111)
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De toutes les nuits, les amants

"De toutes les nuits, les amants" est le troisième roman que je lis de l'autrice, il a paru en France en 2014 et il est à mon sens le plus troublant.



Dans ce roman très intimiste Mieko Kawakami donne la parole à la femme. La femme fragile, inconstante, secrète, en proie à ses doutes, ses peurs, ses fantasmes et ses désillusions. Un très beau roman à la tonalité musicale, entre mélancolie et vague à l'âme.



De nos jours au Japon, à Tokyo, Fuyuko est une jeune trentenaire qui travaille en tant que correctrice free-lance pour une maison d'édition. Elle vit seule et son travail à domicile aidant, elle s'enferme peu à peu dans la solitude. Pas de cette solitude qui lorsqu'elle est voulue peut être salutaire et permettre de se reconnecter avec soi-même mais de cette solitude qui vous isole, vous enferme et vous empêche d'aller à l'encontre du monde. Introvertie, mal dans sa peau, elle se refuse le droit d'aimer et d'être aimée pour des raisons que nous découvrirons au fil de ce roman.



Fuyuko, pauvre petit oiseau de nuit qui ne daigne quitter son nid qu'au crépuscule quand vient la saison de l'hiver, les soirs de son anniversaire. Il y a tant de mots couchés sur le papier des épreuves qu'elle corrige inlassablement chaque jour qui passe et pourtant tous ces mots restent coincés à l'intérieur de son coeur sans pouvoir sortir, jamais.



Comme elle est jolie Fuyuko, mais elle ne le voit pas, elle n'en est pas capable car elle s'efface, tout doucement, lentement, sans que personne n'y prête attention, silhouette floue et évanescente dans les lumières de la nuit, dans les vapeurs de l'alcool de riz, divin élixir, dont elle s'abreuve quotidiennement

pour se donner le courage d'affronter les regards que le monde porte sur elle.



Elle cherche les lumières de la nuit, faisceaux lumineux, contrastes colorés, enveloppants et rassurants qui lui font apparaître la vie plus merveilleuse et la libèrent de ses états d'âme, l'espace d'un moment seulement...



Mais certaines rencontres (comme je le dis toujours) ne sont pas le fruit du hasard. En croisant la route de l'énigmatique monsieur Mitsutsuka et en acceptant l'amitié de la délurée Hijiri, la chrysalide va peu à peu se muer en un joli papillon et découvrir le désir, celui qui vous met dans un état d'embrasement au moindre frôlement, au moindre regard, celui qui met tous vos sens en éveil et vous oblige à vous projeter hors de vous-même.



Rarement un personnage de roman ne m'a autant touchée. Fuyuko c'est toutes les femmes, c'est un peu vous qui me lisez, c'est un peu moi. C'est le regard des autres qui parfois peut être si cruel quand on est différent et que l'on ne rentre pas dans la norme.



Au travers de thèmes évoqués ici avec discrétion tels que : l'émancipation de la femme au Japon, l'exclusion dans le milieu professionnel, l'extrême solitude, l'estime de soi après avoir subi un traumatisme, Mieko Kawakami nous offre un roman d'une grande densité émotionnelle, à la dimension poétique et musicale très présente. Un roman métaphorique, au tempo lent dont j'ai perçu chacune des voix des personnages principaux comme des murmures et dans lequel la lumière fait le lien entre les différentes émotions ressenties par la narratrice. Moments de grâce, fragiles, suspendus avant qu'ils ne disparaissent, nous sont magnifiquement restitués tout au long de ce récit.



"Ce que j'aime ce sont les faux-pas des personnages principaux et leurs trébuchements qui mènent à l'amour..."

(Mon ami Berni29 en conclusion de son dernier billet "Senso")



Et je rajouterais que l'amour à son tour nous mène toujours quelque part...
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J'adore

Lors d'une de mes précédentes lectures d'un roman de Natsuo Kirino, je me suis intéressée au système éducatif et aux valeurs familiales nippones, découvrant un système et des valeurs bien différents du modèle occidental. Un système dans lequel la pression de la réussite est exercée dès le plus jeune âge sur les écoliers dont le peu de temps libre est consacré aux "jukus" (stages de révisions intensifs) ; une structure familiale où le silence et la modération du langage sont de mise et font office de politesse, reléguant ainsi l'expression spontanée des sentiments au second plan, la proscrivant bien souvent en public, lui préférant une forme de pudeur et de distance.



"L'adolescence c'est l'âge où l'on doute de tout ce qui est possible et de rien de ce qui est impossible" (Jean Dutourd), d'où l'importance de pouvoir mettre des mots, des paroles sur les émotions, les sentiments qui submergent l'adolescent face à des évènements passés ou à venir, graves ou moins graves et encore plus lorsque se pose la question du deuil comme c'est le cas dans ce récit. Faire le deuil d'un parent est loin d'être chose aisée pour un enfant ou un adolescent, le chemin pour y parvenir est long et il s'effectue en partie grâce aux échanges et à la parole avec l'entourage et le parent restant.



C'est de cela que nous parle ce très joli roman de Mieko Kawakami dont l'écriture élégante et pudique a le mérite de ne jamais tomber dans l'excès propre au jargon adolescent. Le récit, par le biais de sa double narration, donne la parole tour à tour à Mugi et Hegatea au Japon de nos jours, un garçon et une fille, tous deux âgés de douze ans que la perte respective d'un de leurs deux parents alors qu'ils étaient encore très jeunes va rapprocher instinctivement. Une double narration très pertinente qui accentue la caractérisation psychologique des deux personnages principaux, permettant ainsi au lecteur de s'approprier dès les premières pages, leurs pensées et leurs humeurs.



Mieko Kawakami nous dresse les portraits touchants et emplis de tendresse de ces deux enfants qui entrent dans l'adolescence, période troublée et régie par son lot de questions existentielles. Deux enfants qui ont beaucoup de respect et d'attention mutuelle l'un pour l'autre, qui ensemble vont grandir, vont avancer sur le chemin qui est le leur et tenter de découvrir ce que les adultes ont occulté et rangé dans des tiroirs tels des secrets inavouables. Ces mêmes adultes qui ont préféré enfouir ces secrets plutôt que de les affronter comme en témoigne le sapin de Noël qui trône comme une relique de sanctuaire dans le salon chez Hegatea depuis huit années que sa maman a disparu.



Comment un enfant peut-il faire son deuil si on ne l'autorise pas à y mettre les mots et qu'il est laissé dans l'ignorance ?

Apprendre à parler et à s'exprimer c'est aussi apprendre à poser des questions et qui sait (et c'est déjà beaucoup) tenter d'y trouver des réponses...



La nuit n'est jamais complète.

Il y a toujours, puisque je le dis,

Puisque je l'affirme,

Au bout du chagrin,

une fenêtre ouverte,

une fenêtre éclairée.



Il y a toujours un rêve qui veille,

désir à combler,

faim à satisfaire,

un coeur généreux,

une main tendue,

une main ouverte,

des yeux attentifs,

une vie : la vie à se partager...



(Paul Éluard ; La nuit n'est jamais complète)



*Je remercie Tetrizoustan pour le partage régulier de sa bibliothèque.
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J'adore

“J'adore “ raconte l'univers de deux enfants qui grandissent, l'un et l'autre dans une famille monoparentale. Mugi est orphelin de père et Hegatea ( surnom) orpheline de mère. Ils fréquentent la même école élémentaire, et au départ ne sont pas à proprement parler amis. Leurs solitudes et leurs vies de famille insolites vont les pousser à comprendre et partager leurs ressentis réciproques sur leur existence au quotidien.

Muji a une maman devin astrologue très occupée, aime les yeux de Miss Ice Sandwich, dessiner et se confier à sa grand-mère paralysée.

Hagetea aime regarder des films avec son papa, critique de cinéma, et possède déjà une philosophie de vie précoce pour son âge "je suis devenue une habitante d'un univers où ça n'existe pas, la prochaine fois. Il n'y a que maintenant. Je l'ai décidé il y a très longtemps". Confrontée à un secret concernant sa propre vie au hasard d'une recherche sur Google, elle va passer une épreuve où Muji va l'y épauler sans hésiter , "Si on est épaule contre épaule, c'est plus facile que de rester debout tout seul “. Tous les deux en sortiront grandis et soudés à Vie.... du moins je l'espère 😊.



C'est une jolie histoire écrit avec poésie et amour, qui dépeint la difficulté d'exister dans notre monde actuel, pour deux enfants solitaires, qui n'ont pas encore basculé dans le monde des apparences, et cherche à rester dans leur propre vérité.

Beaucoup aimé.



"alpacino ! C'est notre façon de nous dire au revoir que personne d'autre ne peut comprendre...."😊

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Seins et oeufs

Il y a

les seins de Katharine Hepburn

des seins de polos sans manches

des seins de double-mixte

Il y a

les seins de Jean Harlow

Et puis il y a ...

les seins de Makiko



(Extrait revu et corrigé pour l'occasion de "Platine" de Régine Detambel).



"Seins et Oeufs" ("Chichi to Ran" pour la version japonaise) est le deuxième roman de Mieko Kawakami, il a paru au Japon en 2008 et une fois de plus la plume de l'autrice ne m'a pas laissée indifférente tant elle exprime avec un naturel désarmant tout ce qui a attrait au corps de la femme et à son intimité. Avec ce court récit Mieko Kawakami nous offre une parole de femmes, sensible parfois même délicieusement effrontée et qui nous laisse un léger goût d'amertume tant elle pousse à l'introspection.



Mieko Kawakami nous raconte un moment de la vie de trois femmes d'une même famille, chacune rendue à une période charnière de son existence dont la plus jeune des trois est âgée de douze ans : Midoriko. Midoriko qui depuis six mois a décidé de ne plus parler à son entourage sauf par le biais de l'écriture, des petits mots griffonnés ici et là et son journal intime dans lequel elle exprime son mal-être face à son corps qui se transforme sous les effets de la puberté et face à sa maman pour laquelle elle s'inquiète beaucoup (beaucoup trop pour une jeune-fille de douze ans). La maman c'est Makiko, elle a trente-neuf ans et élève seule sa fille depuis une dizaine d'années, elle peine à joindre les deux bouts en travaillant comme hôtesse dans un bar d'Osaka, ce qui ne l'empêche pas de nourrir une obsession pour ses seins qu'elle projette de faire refaire dans un futur très proche. Et enfin Natsu, qui est la soeur cadette de Makiko, chez qui mère et fille vont se rendre le temps d'un court séjour durant lequel elles vont devoir cohabiter toutes les trois tant bien que mal dans le petit appartement tokyoïte.



Si Mieko Kawakami donne la parole à Midoriko par l'intermédiaire de son journal intime c'est Natsu la soeur cadette qui s'approprie la narration de ce récit en nous partageant un point de vue railleur et bien souvent désabusé quand il s'agit d'évoquer sa soeur. On ressent une forme de rancoeur contenue dès les premières pages, rancoeur certainement liée à son propre mal-être car finalement dans cette histoire celle qui est le moins en accord avec son corps n'est pas celle qu'on voudrait bien nous laisser croire.



Midoriko petit poussin trop fragile parviendra-t-elle à sortir de sa coquille à l'issue de ce séjour ? Makiko ira-t-elle au bout de son projet de se faire refaire les seins car malheureusement elle fait partie de ces femmes qui se retrouvent en situation de grande précarité, elle est une "boshi-katei", une mère célibataire, élever seule un enfant au Japon est un véritable parcours du combattant, le marché du travail donnant la priorité aux hommes et la pension alimentaire n'étant pas obligatoire comme en France. Mais paradoxalement ces femmes n'hésitent pas comme Makiko à cumuler les emplois et pour certaines à dépenser 1 500 000 yens pour modifier leur apparence. Comment Makiko pourrait-elle résister ? La chirurgie esthétique est en plein essor au Japon, elle est partout, blanchiment de la peau, augmentation mammaire, chirurgie des paupières pour occidentaliser le regard, publicités, panneaux d'affichage qui vous promettent une vie meilleure, être plus belle pour avoir un bon mari, être plus belle pour avoir un bon travail...

Et même si ne pas aimer certaines parties de notre corps est dans notre nature profonde, nous avons toutes et tous des complexes et nous vivons tant bien que mal avec mais certaines femmes plus fragiles comme Makiko y voient peut-être là un remède miracle pour adoucir le malaise ressenti face aux difficultés de l'existence qui leur est imposée.



J'ai trouvé les trois personnages de ce récit extrêmement touchants, chacun à sa manière : Midoriko qui s'inquiète tellement pour sa maman et qui refuse de voir son corps changer. Comment expliquer à une jeune fille de douze ans qui ne supporte pas l'idée d'avoir les seins qui poussent que sa maman, elle, voudrait se faire opérer pour en avoir plus ? le personnage de Natsu aussi, qui est si dure envers les autres et envers elle-même et qui finalement quand on soulève un peu la carapace laisse entrevoir une profonde solitude, un grand besoin d'amour et une fébrilité certaine face au temps qui passe et à ses effets sur le corps.



Un très joli roman sur la perception que peut avoir une femme sur son corps à différents moments de sa vie et sur l'estime de soi, que je vous invite à lire...



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J'adore

C'est sûr, Mugi est le garçon avec lequel Hegatea s'entend le mieux. Sa maison se trouve à cinq minutes de la sienne, et il vient souvent regarder des films chez elle, alors que son père, critique de cinéma, dort sur le canapé à côté d'eux. Oui, c'est sûr, avec Mugi, dont la mère est astrologue, ce n'est pas comme avec ses camarades qui ont fini par se dire qu'elle n'était pas tout à fait comme les autres. Mugi a perdu son père et Hegatea sa mère, et cet état d'orphelins rapproche les deux enfants qui l'un avec l'autre cherchent des réponses aux questions restées en suspens avec leur parent respectif, et grandissent moins solitaires.



« — Hegatea, a dit Mugi au bout d’un moment.

— Quoi, j’ai dit en me frottant les yeux avec les doigts pour pas montrer que je pleurais.

— Hegatea.

— Quoi.

— Il faut qu’on se mette épaule contre épaule.

— Épaule contre… ?

— Oui, épaule contre épaule, il a dit.

— Pour quoi faire ?

— En se mettant épaule contre épaule, ce sera un peu plus facile.

Mugi m’a regardée et a souri. 

— Si on est épaule contre épaule, c’est plus facile que de rester debout tout seul. Tu veux essayer ? »



Une réflexion poétique et sensible sur la façon dont le langage chez l'enfant exorcise ses peurs, et participe à la construction de l'identité de l'adulte en devenir.



Merci Idil pour cette belle lecture



Challenge MULTI-DÉFIS 2020
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J'adore

Hegatea et Muji sont en dernière année d’école primaire au Japon et commencent à peine à sortir de l’enfance. Alors que, dans un océan de non-dits, l’une vit avec son père et l’autre avec ses mère et grand-mère, les deux enfants liés par une amitié grandissante vont tenter de trouver eux-mêmes la réponse à leurs questions, notamment sur leurs familles monoparentales.





Mieko Kawakami réussit merveilleusement à se glisser dans la tête de ces deux pré-adolescents, restituant leurs doutes et leurs émotions avec une justesse d’autant plus frappante que l’écriture reproduit à s’y méprendre leurs façons de penser et de s’exprimer. Unis par une touchante amitié, un solide bon sens, et la sincérité simple et directe de jeunes êtres qui n’ont pas encore rejoint le monde adulte des faux-semblants, Hegatea et Muji partagent leurs difficultés à quitter le cocon de l’enfance pour entrer peu à peu dans une réalité qu’ils commencent juste à discerner et à s’approprier.





Pétrie de tendresse et de délicatesse, cette lecture s’avère un attachant moment de fraîcheur, où la candeur le dispute à l’étonnant sérieux de ces deux enfants appliqués à trouver leur chemin parmi les ombres et les mystères des adultes qui les entourent.


Lien : https://leslecturesdecanneti..
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De toutes les nuits, les amants

Fuyuko est une jeune femme célibataire de 34 ans. Correctrice initialement comme salariée d'une maison d'édition, elle décide de devenir free-lance. Elle va travailler pour une femme de son âge, Hijiri. Fuyuko est une solitaire, entièrement dévouée à son travail. Elle ne sort pas et n'a pratiquement pas de relations sociales, et a toujours l'air de tomber de l'armoire (dans les conversations avec ses rares connaissances féminines, elle se contente neuf fois sur dix d'un « Ah bon ? » en guise de relance). C'est qu'elle n'a pas grand-chose à raconter. Alors qu'Hijiri est l'archétype de la femme moderne, célibataire qui assume ses aventures masculines sans s'engager, que Kyôko, son ancienne collègue de travail, mère de deux enfants, se plaint d'avoir une morne vie de couple, Fuyuko noie le poisson quand il s'agit de parler des hommes. C'est qu'elle n'en a connu qu'un, il y a longtemps déjà, un camarade étudiant qui l'a forcée sexuellement. Alors pour affronter le monde, se donner du courage en société, elle boit des bières et du saké…jusqu'à s'endormir d'ivresse dans un lieu public, où elle fera la connaissance d'un homme qui l'aide à émerger. M. Mitsutsuka a 58 ans, il se dit enseignant en sciences physiques. Il a l'air emprunté aussi, lui non plus n'a pas grand-chose à raconter. Ils vont nouer une curieuse relation, se donner des rendez-vous régulièrement au café pour malgré tout échanger un peu sur la pluie et le beau temps, mais surtout, du mystère de la lumière qui manifestement les rapproche. Mais Fuyuko est complètement chamboulée, et s'enfonce de plus en plus dans la déprime au fur et à mesure qu'elle comprend qu'elle est tombée amoureuse…Elle finira par prendre l'initiative, par se faire violence pour approcher M. Mitsutsuka dont elle rêve, se fait belle comme jamais (avec d'élégants vêtements qu'Hijiri lui avait donnés) pour l'inviter au restaurant et fêter l'anniversaire de cet homme dont elle ne connaît même pas le prénom. Mais au-delà de la magie d'une soirée, le rêve va s'évanouir, laissant place à un retour sur terre à la fois douloureux et dans l'ordre des choses, qu'Hijiri l'amie réaliste facilitera et adoucira.



Au début, j'étais dubitatif, entre le sentiment d'un manque d'action et la crainte d'un scénario superficiel et à l'eau de rose, et puis j'ai découvert peu à peu la richesse sous-jacente du propos. Car ce livre baigne dans un esprit bien japonais, au centre duquel émergent entre autres thèmes les interrogations de la femme japonaise dans son rapport au couple, aux enfants, la solitude, les blessures intimes, l'incommunicabilité entre les êtres, la destinée, et ce qu'on se cache à soi-même et aux autres.



Un beau et subtile roman, qui suscite attachement et compassion envers la narratrice Fuyuko, dont la vie intérieure est faite de souffrance permanente. L'auteur s'y entend pour nous faire toucher du doigt son mal être intérieur et ses peurs, sans pathos exagéré, et finalement avec un relatif optimisme.

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J'adore

Une belle découverte cette histoire d'amitié entre deux enfants d'une douzaine d'années !

Mugi a perdu son père et Heagatea est orpheline de mère.

Ils fréquentent la même école élémentaire , solitaires de par leur statut, discrets ils ne sont pas à priori amis , n'en parlent jamais ....

Pourtant c'est ce contexte familial particulier, insolite qui les rapprochera.





Heagatea habite avec son père , critique de cinéma assez connu.

Passionnée de cinéma elle adore rejouer la scène de fusillades de Heat avec Al-Pacino, avec une perfection glaçante...



Mugi dont la maison se trouve à cinq minutes à pied de la sienne vient souvent visionner des films .

Il vit avec sa mère devin - astrologue et sa grand- mère paralysée à la suite d'une attaque cérébrale , il aime dessiner , participe même à des concours, peint à l'aquarelle ...

Petit à petit ils tentent de mettre des mots sur les réponses délicates à leurs questions .

Ils ressentent le besoin de nommer leurs émotions au cours de dialogues hésitants et tendres, cherchent des réponses sur les graves non- dits des adultes et leurs mensonges ...



Et Justement Heagatea cache un lourd secret ...



L'auteure tient la gageure étonnante de conter à hauteur d'enfant la notion de temps qui passe, le langage chez l'enfant , les MOTS : telle une passerelle ou un saut vertigineux entre le monde adulte et adolescent semblable à un beau voyage sur la construction de l'identité ...



Réflexion poétique sensible , touchante , roman tendre et gracieux à l'écriture pétrie de sensations éclairantes .... sur fond de culture japonaise .

.Jolie couverture surprenante , que l'on ne peut qu'admirer ...

—«  - Heagatea

—- Quoi .

——Il faut qu'on se mette épaule contre épaule .

—- Épaule contre,..?

—- Oui, épaule contre épaule , il a dit.

—- Pour quoi faire ?

—- En se mettant épaule contre épaule , ce sera un peu plus facile » ....



Et je ne résiste pas au plaisir de vous livrer la dernière phrase :

«  Je ne sais pas pourquoi , mais j'ai pensé que je n'oublierais jamais ce jour- là . »

Merci beaucoup Idil pour cette lecture rafraîchissante !

«  -J'adore » Éditions Actes-Sud , roman traduit du japonais par Patrick-Honnoré. .











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J'adore

Après Naufrages d’Akira Yoshimura, voilà le second livre que je lis suite au conseil de Sachka, et je l’en remercie.



L’auteure, Mieko Kawakami, nous offre une histoire simple, celle de deux primo-adolescents, Mugi et Hegatea.

Ces deux protagonistes ont en commun d’avoir perdu un de leurs parents, Mugi a perdu son père et Hegetea sa mère.

Au début leur relation est distante mais ils vont se rapprocher



Le livre est divisé en deux grandes parties, la première nous est contée par Mugi, et la seconde par Hegetea.

Et c’est avec leurs mots, leurs réflexions d’enfant que cela nous est présenté.

Mugi nous parle de sa mère, un peu fantasque mais assez distante, de sa grand-mère alitée à qui il confie tout, de ses dessins, de sa relation avec Hegetea et surtout de sa fascination pour Miss Ice-sandwich, une vendeuse de sandwich.

Hegetea passionnée de films d’action, se découvre par hasard une demi-sœur dont elle ignorait l’existence et cela la perturbe.

Tant Hegetea que Mugi s’aideront et se conseilleront mutuellement.



L’histoire est simple mais empreinte d’une merveilleuse sensibilité. Ces adolescents nous relatent leur vie quotidienne avec leurs propres pensées, partant parfois dans tous les sens, et c’est à la fois enfantin et souvent extrêmement mature.

Leur amitié est belle, ils se soutiennent et arrivent peu à peu à exprimer leurs sentiments, leurs craintes, leur curiosité.

Ce fut une belle lecture.



Un dernier point , plus anecdotique : je ne suis généralement pas très intéressé par la couverture d’un livre mais ici elle me plait et illustre bien le récit de Mugi



.

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Seins et oeufs

Trentenaire célibataire, Natsu vit à Tokyo une existence morne et routinière. C’est avec circonspection qu’elle s’apprête à recevoir chez elle sa sœur Makiko et sa nièce Midoriko. Venues d’Osaka pour passer quelques jours dans la capitale, mère et fille sont en froid. A presque quarante ans, Makiko élève seule sa fille adolescente depuis que son mari l’a quittée. Pour subvenir à leurs besoins, elle est hôtesse dans un bar louche. Son voyage a pour but de visiter des cliniques afin de subir une augmentation mammaire. Cette lubie incongrue a provoqué le mutisme de Midoriko qui ne communique plus que par l’intermédiaire d’un carnet dans lequel elle écrit aussi ses pensées. A charge pour Natsu de s’accommoder de ces deux personnalités qui s’opposent et, pourquoi pas, de les réconcilier.



Trois femmes à trois âges de la vie. Trois femmes confrontées à leur féminité, à leur corps, à leur solitude. Trois femmes à la recherche du bonheur.

Natsu aborde la trentaine et commence à penser à la vieillesse. Elle voit sa sœur, son aînée de dix ans, trop maigre, qui commence à se flétrir alors qu’à l’opposé, sa jeune nièce lui donne la nostalgie de rondeurs enfantines et de peau sans défauts. Makiko, à presque quarante ans, se retrouve obsédée par son corps vieillissant et sec. Elle est persuadée qu’en s’offrant une nouvelle paire de seins elle changera sa vie toute entière. Quant à Midoriko, l’éclat de sa jeunesse ne saurait cacher son mal-être. Son corps change, ses seins poussent, bientôt ses règles apparaîtront. Tout cela la désoriente et la dégoûte. Arbitre, malgré elle, de la crise que traversent la mère et la fille, Natsu ne sait pas comment gérer cette sœur obnubilée par ses futurs gros seins et cette nièce muette. Ce sont des œufs qui décanteront la situation…remettant le rire et les mots au cœur de ce triangle féminin.

En peu de pages et l’air de ne pas y toucher, Mieko Kawakami aborde des sujets profonds qui minent la société japonaise et en particulier la place des femmes. Au Japon, elles se doivent d’être de bonnes mères et de bonnes épouses. Une femme célibataire est cantonnée à des postes subalternes et tant pis si elle est mère célibataire et a plusieurs bouches à nourrir. Une femme se doit aussi de correspondre à certains critères de beauté, ne pas faire de vague, combler son époux. En somme, il n’est pas facile d’être une femme au Japon…comme ailleurs.

Seins et œufs est un roman surprenant, déstabilisant, qui peu paraître terne au premier abord, mais qui véhicule quelques vérités bien senties. Il faut prendre le temps de lire entre les lignes et de creuser sous la surface.

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Seins et oeufs

Makiko approche la quarantaine. Célibataire avec une enfant à élever, elle se pose des questions sur sa vie. Que faudrait-il changer ? Ses seins, peut-être...



Midoriko, sa fille, une adolescente de douze ans, elle aussi se pose beaucoup de questions. Notamment, sur ses premières règles. C'est répugnant, le sang qui coule entre ses jambes... et ses seins qui poussent. Pourquoi, ne peut-elle pas resté une petite fille ?...



Au milieu, Natsu la tante, qui en terme d'âge se retrouve au milieu de ces deux "femmes". Le temps d'un week-end, elle servira de médiatrice entre la mère et la fille. Il faut dire que depuis que Makiko a la lubie obsessionnelle de vouloir se refaire les seins, Midoroki refuse totalement de parler, et ne quitte plus son carnet où elle note ses brèves réponses, ses échanges "verbales".



"Seins et Œufs", c'est une histoire de femme et de féminité, qui traite du corps, de ces changements à des âges différents et de la perception que l'on a de son propre corps, de sa personnalité. Deux générations et demi pour comprendre son corps, (oser) se regarder dans le miroir et accepter - ou pas - le reflet renvoyé. Avec une Kirin et un Suntory whisky, je suis à l'écoute de ces corps, je les regarde, les observe, perçoit leur méfiance, leur désir, leur dégoût. Et lorsqu'elles m'emmènent au bain public, je suis avec elles, tel un voyeur qui détaille la taille des nichons qui se balancent devant moi. D'ailleurs, Makiko aussi, obsédée par ces atouts féminins, elle les mate, les scrute, les détaille, les qualifie. Elle devient mon mentor en matière de seins, sur leur forme, leur taille, leur couleur...
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J'adore

Lire "j'adore", c'est entrer dans l'Univers de l'enfance à travers Muji et Hegatea. La première partie, celle qui est vue par, Muji, ce petit garçon qui vit seul avec sa mère, est attendrissante. La deuxième partie est vue par Hegatea, l'amie de Muji, qui elle, vit seule avec son père. Cette partie m'a plus plue, mais je n'ai pas été emportée. Est-ce un problème de traduction ? je ne sais pas mais la plume m'a moyennement séduite. Il y a des "incohérences". Ecrire comme si c'étaient les enfants eux-mêmes qui s'expriment, explique les répétitions (un peu lassante à mon goût) mais il y a parallèlement du vocabulaire que je trouve inadapté pour des enfants de 10-12 ans, vocabulaire bien trop élaboré. Si ce décalage dans l'écriture m'a gênée, j'ai pu toutefois en faire abstraction (mais pas totalement) pour en apprécier l'histoire et la tendresse qui en émane.

Le lien qui unit ces deux enfants est simple, pur, authentique et c'est ce qui en fait toute sa force et sa beauté.

Je reste attendrie par cette amitié mais ce n'est pas un coup de coeur
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J'adore

Une belle histoire d'amitié entre 2 enfants unis par un même contexte familial. Ils sont tous les 2 orphelins. Mugi a perdu son père tout petit. Il vit avec sa mère astrologue et sa grand mère, paralysée suite à une attaque cérébrale. Il aime le dessin et la jeune femme qui vend des sandwichs au supermarché du coin. Hegatea habite avec son père, critique de cinéma, et adore rejouer la scène de fusillades de Heat avec Al Pacino. Leur relation, distante au départ va se renforcer au fil des années et des découvertes que chacun va faire sur sa famille...Décomposé en 2 grandes parties, avec 2 narrateurs différents (Mugi puis Hegatea), ce récit réussit la gageure de raconter à hauteur d'enfant le temps qui passe et l'adulte qui se construit. Les enfants sont attachants, leur psychologie particulièrement bien décrite. L'écriture est gracieuse et étonnante. La couverture surprenante. Et Cerise sur le gâteau : le Japon (et son atmosphère particulière) en toile de fond. Une belle découverte ! Merci Bookycooky pour le conseil. 😀
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J'adore

Choisi à sa parution mai 2020 / Relecture 3 novembre 2023



Deuxième fois que je lis cette "romancière- philosophe musicienne" japonaise...après avoir adoré, en 2016, le très beau et très sensible " Heaven" !



Lecture fort intéressante sur des thématiques délicates : La difficile épreuve du deuil vécu par des enfants , la complexité de mettre ses émotions en mots, les mensonges et secrets des adultes , l'apprentissage du langage pour grandir et tenter de comprendre le monde des parents, etc.





Deux enfants d'une douzaine d'années,Hegatea et Mugi, l'un et l'autre de famille monoparentale, deviennent des amis, car ailleurs, à l'école, ils sont tous les deux à part, avec leur " deuil " à porter; leur extrême sensibilité les rend différents...et solitaires...



Tous les deux orphelins, ils ont en commun, ce chagrin fou d'avoir perdu un de leurs parents.



Mugi pour se libérer et s'exprimer, dessinait les événements de sa vie et son amie Hegeata, passionnée de cinéma se libérait en jouant certaines scènes qui devaient faire écho avec ce qu'elle vivait et ressentait...



Hegeata semble beaucoup plus mature et tente de comprendre la vie des adultes , se pose avec inquiétude les questions existentielles : pourquoi on nait ; pourquoi on meurt, pourquoi les êtres qu'on aime disparaissent ? Pourquoi les mots dont difficiles à trouver pour exprimer tout cela ?



Le récit est largement composé des dialogues entre ces deux préadolescents....Mugi s'exprime moins, et surtout se torture moins sur " le Pourquoi" des choses ...

il est l'ami, le confident, le modérateur de Hegeata...en colère contre l'absurdité de la vie, et contre surtout ce scandale que représente La Mort...sans oublier les " cachotteries " et les secrets des adultes , leur compliquant bien leur vie d'adolescents....



Ce qui est fort déroutant c'est la platitude extrême du style, qui doit avoir été choisi par l'auteure, sans doute, pour mieux signifier le fort délicat apprentissage du Langage , des mots, par les enfants; comment apprendre à trouver les bons mots, pour formuler les questions, les émotions fortes de leur quotidien....et de leur évolution de futurs " grands" !



Ce que je trouve inhabituel et fort passionnant c'est de sortir de ces clichés réducteurs sur l'Enfance innocente et mièvre...alors ce récit bouscule ces stéréotypes : les dialogues de Mugi et Hegeata nous offrent, à leur niveau et avec leur vocabulaire les échanges de deux apprentis- philosophes...!



(***Hegeata)

"Ça m'a fait penser, tout d'un coup, que partout partout, il y avait tellement de gens que je ne pouvais même pas les compter.Des gens qui vivent des événements, des gens qui naissent et des gens qui meurent.Des gens qui ne savent même pas qu'ils vont mourir demain, mais qui vont mourir quand même, des gens heureux, des gens tristes, des gens qui se mettent en boule parce qu'ils n'ont pas à manger, des gens qui pleurent et qui crient, des gens qui n'ont même pas la force de s'enfuir et qui se disent je suis foutu, des gens qui ont mal, et puis aussi des gens qui de temps en temps éclatent de rire.Je ne peux pas les connaître tous, personne ne peut les connaître tous, de toute façon, mais dans un endroit que je ne connais pas, loin très loin, il y a aussi quelqu'un comme moi qui pense la même chose que moi en ce moment, j'en suis sûre. "



Une lecture, une forme, des sujets franchement inhabituels, qui méritent le détour !







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De toutes les nuits, les amants

Voilà un beau roman qui raconte avec beaucoup de justesse, les difficultés d'une jeune japonaise d'aujourd'hui, cabossée par la vie.

Fuyuko (" Enfant de l'hiver" ) la narratrice, 34 ans, vit seule. Elle travaille chez elle comme correctrice free lance. Scrupuleuse, consciencieuse, méthodique. Elle traque la maladresse, l'erreur, la faute sans voir le sens de ce qu'elle lit. Elle n'a de contact qu'avec sa référente professionnelle, Hijiri, son exact opposé. Hijiri est une femme extravertie, expansive, hyperactive, autoritaire et crainte. Elle collectionne les amants. Fuyuko est introvertie, inhibée, taiseuse, sans amant. L'une comme l'autre sont très mal vues par les autres femmes, ex collègues de bureau, beaucoup plus conventionnelles. En quittant la maison d'édition où elle était salariée, Fuyuko s'est laissé porter un moment dans le train avec une sensation agréable de légèreté mais à regarder le visage radieux des autres autour d'elle, cette sensation a disparu...

Peu à peu on va comprendre les raisons de son mal être, on va l'accompagner dans son errance, dans sa quête de lumière.



C'est un livre bouleversant sur la solitude. Et pas uniquement sur celle des Japonaises aux prises avec des conventions plus contraignantes que les nôtres. Non la solitude des femmes qui ont subi la violence en silence. Celles qui préfèrent fuir hors de la réalité plutôt que de se voir baisser la tête. Celles qui ont perdu l'estime d'elles-mêmes. Et puis c'est un roman revigorant sur l'espoir, sur les gens qui tendent la main, qui apportent la lumière dans la nuit. Sur les gens qui vous aiment quand vous ne vous aimez plus.

Je remercie grandement Dame Sachka pour m'avoir donné l'envie de lire ce beau roman.
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De toutes les nuits, les amants

A trente-quatre ans, Fuyuko est correctrice, elle scrute dans les textes qu'elle relit, la cohérence de l'action, les anachronismes, et les fautes de grammaire. Après avoir été salariée, et sur les conseils de Hijiri, l'éditrice qui l'emploie, elle a accepté d'être free-lance, un statut qui lui convient car la jeune femme est discrète et solitaire. Mais se sentant différente - elle se rend compte que sa solitude est mal acceptée - elle se fait violence pour choisir une activité qui la remettrait, du point de vue de la société, dans une certaine normalité. C'est en allant au centre qu'elle fait la connaissance de Mr Mitsusuka, un professeur de physique avec qui elle sympathise. Jusqu'alors, elle semblait vivre par procuration mais avec cette rencontre la jeune femme commence à s'ouvrir à de nouveaux sentiments et à se mettre en danger en s'affrontant aux relations avec d'autres personnes.



Mieko Kawakami offre avec de toutes les nuits, les amants une variation très subtiles sur les sentiments d'une jeune femme, discrète qui s'est isolée, se sentant différente, solitaire et qui peu à peu s'est abstraite du monde ne maintenant qu'un fil fragile avec son interlocutrice dans l'édition. Peu à peu, au gré des rencontres et des invitations à boire le thé, elle va apprendre à laisser aller des sentiments qu'elle connaît mal et qu'elle va découvrir, en retrouvant également une amie d'enfance...Autant de rencontres qui lui font peur mais qui vont lui permettre de mieux se connaître au travers des jeunes femmes qu'elle côtoie et de s'ouvrir et d'affronter le monde.

Mieko Kawakami, avec beaucoup de poésie, offre un beau portrait de femme, délicat et émouvant.
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Seins et oeufs

Seins et œufs est un livre satisfaisant au travers duquel j'ai pénétré dans l'univers de la romancière Meiko Kawakzmi, artiste montante de la scène littéraire japonaise et encensée par les critiques. Elle a obtenu le prestigieux prix Akutagawa pour ce roman.



Makiko, hôtesse dans un bar miteux d'Osaka, élève seule sa fille Midoriko après sa séparation avec le père de celle ci. Les deux personnages voyagent à Tokyo et s'installent pour trois jours dans le petit appartement de Natsu, soeur de Makiko qui vit une existence morne de célibataire. Midoriko ne parle plus à son entourage et ne communique plus que par un cahier ou elle écrit ce qu'elle veut communiquer et où elle expose le malaise dans lequel les affres de la puberté la jettent. Sa mère Makiko n'est guère plus raisonnable : fataliste dans sa relation houleuse avec sa fille, elle se réfugie dans son unique obsession qui l'a fait voyager à Tokyo : se faire refaire les seins dans une clinique privée. Coincée entre les deux, Natsu peine à échanger et a faire office de médiateur.



Le style de Kawakami me laisse partagé, il m'a semble que le bon alternait avec le banal. Les passages où l'adolescente écrit dans son carnet sont très efficaces : l'écriture est réaliste et correspond bien à une personne de cet âge, les émotions sont là, alternant entre tristesse, dégoût et incompréhension de la part de Midoriko, ce qui en fait un personnage attachant. Enfin, un soupçon de cynisme vient pimenter le tout.

Je suis moins convaincu par la narratrice, Natsu, qui parle de manière un peu plate et nous ennuie parfois en faisant preuve d' une certaine placidité.

Il n'en reste pas moins que la scène des œufs conserve une certaine puissance qui vient rehausser l'intensité de ce livre.



Ce que j'ai trouvé intéressant dans ce livre c'est la manière dont l'auteur parvient à nous montrer les problèmes auquel la gente féminine est confrontée au Japon : ces femmes doivent se débrouiller seules si elles n'ont pas de mari pour avoir des revenus, elle sont cantonnées au travaux pénibles et peu gratifiants : il est difficile pour des femmes de vivre de manière autonome au Japon, comme nous le montre Kawakami au travers des parcours de Natsu et Makiko.

De plus ces femmes subissent un mal plus général qui est dénoncé par beaucoup d'auteurs nippons dans leurs livres : elles souffrent d'une impossibilité de communiquer entre générations et individus qui sévit même au sein de chaque famille, comme le montre la relation de Makiko et de sa fille qui ne parviennent pas à se comprendre et à échanger sans conflits. La figure de Natsu illustre aussi ce phénomène : elle ne comprend pas sa sœur qui lui semble presque être à certains passages du livre une étrangère. Pour pallier ce déficit d'échanges, les individus se réfugient dans un univers personnel artificiel et absurde qui a le mérite de maintenir l' illusion d'un monde stable et protecteur pour les individus. L'obsession de Makiko pour se faire refaire les seins ne vise t-elle pas à masquer un vide existentiel, à oublier qu'elle n'arrive par à parler avec sa fille ?

La moindre chose qui perturbe cet ordre des choses bouscule le personnage qui perd ses repères, comme Midoriko qui voit son corps changer avec la puberté.



Kawakami livre un roman intelligent qui porte un style personnel affirmé. Je me rallie à tous ceux qui aiment cet écrivain. Je lirai d'autres livres d'elle avec plaisir.



PS : ce qui est intéressant est que j'ai pu être intéressé par ce livre même si il abordait des thèmes féminins.

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Seins et oeufs

"Seins et oeufs" est un livre que j'attendais de lire avec impatience. Inutile de dire à quel point j'ai été contente de le trouver à la bibliothèque (j'aime beaucoup aller à la bibliothèque découvrir, puis rafler, les nouveautés de la semaine, je me sens toujours comme une chercheuse de pépites d'or dans le Yukon. Digression qui n'a absolument rien à voir, mais comme je suis dans ma propre critique, je le reconnais volontiers :) ) pour pouvoir enfin poser les yeux dessus. Las, ma joie a été refroidie, et rapidement.



J'ai eu énormément de mal à entrer dans l'histoire, dont je n'ai pas vu (et ne vois toujours pas, malgré cette critique) l'intérêt. "Seins et oeufs" raconte l'histoire de la relation difficile entre Makiko et Midoriko, qui viennent passer quelques jours chez Natsu (la soeur de Makiko) à Tokyo. Cette relation entre mère et fille n'était déjà pas bien brillante puisqu'à l'issue d'une dispute, Midoriko refuse de parler à sa mère et note ce qu'elle a à dire dans un carnet, mais elle s'est encore plus dégradée depuis que Makiko a décidé de se refaire les seins (c'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle et sa fille sont à Tokyo). Opération dont elle ne cesse de rebattre les oreilles (et nos yeux par la même occasion) à sa soeur.



Le roman est choral, à la fois narré par Natsu, de manière classique, à la première personne, et par Midoriko, à travers des extraits de son journal intime.

Ce procédé aurait pu être une bonne idée, sauf que les personnages ne sont pas bien consistants (surtout Makiko, dont on n'a pas accès à l'intériorité, à supposer qu'elle en ait une, d'après ce que Natsu dit d'elle), et les propos manquent singulièrement de relief et d'originalité, alors qu'ils sont censés être le sujet central de l'histoire : Natsu aborde la trentaine et s'interroge sur le début de sa vieillesse, reflétée par le corps trop maigre de Makiko (qui est de dix ans son aînée) et la perfection enfantine de Midoriko (qui est âgée de douze ans), tandis que cette dernière évoque son mal-être, ses regrets d'être sur terre, son refus de grandir (ce qui explique qu'elle prenne aussi mal l'envie de sa mère de se faire refaire les seins, symbole de la maternité et de l'âge adulte) et sa volonté de ce fait de ne jamais avoir d'enfants.



Bref, un roman sur le rapport à sa propre féminité envisagé par trois figures féminines, et les thèmes qui en découlent (la maternité, etc.) dont le thème est traité un peu trop superficiellement.
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Heaven

Découverte solitaire de hasard , étonnante, époustouflante, de cette auteure japonaise...Un "texte-coup de poing", aux thématiques des plus sombres: le harcèlement,les maltraitances subis par deux préadolescents, un jeune garçon et une jeune fille; le premier persécuté par un strabisme aigu, la seconde, par son apparence volontairement négligée, à la suite du choc de la mort du père...



Ces deux collégiens fortement malmenés par leurs camarades, vont se "reconnaître" dans leur quotidien de "victimes harcelées"...

Ils vont s'aider, s'épauler, en s'écrivant des petits mots, en se retrouvant en-dehors du collège...

Leurs échanges, leurs confidences, leurs questionnements réciproques vont les aider à supporter la violence, les humiliations incessantes de leurs camarades, et contribuer à les construire et à les rendre plus forts, grâce à leur amitié et à leur complicité...



Une lecture poignante, bien loin, certes du ton habituel des lectures estivales !!! Toutefois cette auteure et ce roman méritent grandement

d'être lus et connus...

Un roman peu aisé qui a le mérite d'exister sur un sujet et une réalité très durs.... Fiction mettant en scène le mal être d'adolescents

pris dans des rackets, ou des persécutions diverses, qui ont doublement honte de subir et de se taire...



L'un de nos deux adolescents en arrive à songer au suicide...

Ce texte a de multiples mérites dont celui, non négligeable, de montrer à quel point l'adolescence n'est pas la période la plus joyeuse de la vie...Que cette période unique de construction, de devenir est centrale, essentielle, qu'il faut y être aussi attentif que possible, que l'adolescent peut s'enfermer dans le mutisme et se détruire à petit feu...Une étape vitale qui peut de révéler une période de solitude absolue...



Notre auteure japonaise, diplômée de philosophie, musicienne et romancière, a su décrire avec un style puissant et une sensibilité à fleur de peau, ce passage complexe entre "l'Enfant et l'Adulte"...



Les questionnements fusent de toutes parts entre les deux amis:

L'existence du bien , du mal, des forts contre les faibles,la banalité et le non sens du mal et de la violence, les victimes et les bourreaux, etc.



"Les faibles sont toujours opprimés et ne peuvent rien faire. Ca, ça ne disparaîtra jamais. Et tu crois qu'il suffirait de copier les forts pour que les faibles disparaissent ? C'est ça ?

Eh bien je te dis que non ! C'est juste une épreuve. C'est surmonter qui est important . " (p. 189)

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Seins et oeufs

Je tenais à découvrir le court roman qui a révélé Mieko Kawakami, que je tiens pour l’un des meilleurs écrivains japonais actuels, deux sexes confondus. Lauréat du prix Akutagawa, je savais que ce n’était pourtant pas son meilleur, loin s’en faut. Au verdict, ce fut plutôt une assez bonne surprise.



Le décor est planté d’une famille incomplète et dysfonctionnelle, les trois femmes que nous suivons sont assez barrées. Natsu doit avoir environ 30 ans et reçoit chez elle à Tokyo sa sœur aînée Makiko, qui s’est retrouvée mère célibataire de Midoriko. Les deux femmes vivent à Osaka et ne roulent pas sur l’or, Makiko étant hôtesse de bar. Makiko est venue avec une obsession en tête, se faire refaire les seins, et entend bien passer au bistouri dans une clinique de Ginza. Midoriko est clairement prise dans les affres de la crise d’adolescence, elle a décidé de ne plus parler autrement qu’en écrivant sur un carnet, et trouve tout répugnant, à commencer par se voir devenir peu à peu une femme, avec l’irruption des règles, le mystère de l’ovulation et tout le toutim.



Les trois femmes traînent leur dégaine maigrichonne, leur ennui et leur avarice de mots pendant ces quelques jours, dans des échanges et situations où l’absurde n’est jamais loin. Le texte tourne largement autour de cette obsession de ses petits seins piteux à refaire, et franchement on ressort instruit sur les trois techniques possibles, leurs avantages et inconvénients ! Derrière une apparente banalité, Mieko Kawakami livre un texte plus profond qu’il n’y paraît sur le mal de vivre dans un univers de solitude, dans une société japonaise où les femmes sont souvent en souffrance. Au Japon, ça ne se fait pas de faire des enfants hors mariage. Les mères célibataires y sont assez nombreuses et mal vues, peu aidées financièrement, et condamnées pour s’en sortir à faire de petits boulots. Les adolescents ont bien du mal à se projeter dans la vraie vie, par manque de sens, ils n’ont pas envie de faire des enfants et fonder une famille.



Dans ce roman, les trois femmes vont-elles finir par enfin se regarder et s’écouter, et tirer un fil pour peut-être, qui sait, faire de ce court séjour un nouveau point de départ pour retisser un vrai lien familial ?



Mieko Kawakami use d’un style sobre, pudique voire assez sec, mais non dénué d’un humour pour exposer cette sorte de huis-clos féminin, qui pourrait très bien faire l’objet d’une mise en scène théâtrale. Avec le recul de quelques années et plusieurs excellents romans parus depuis, on se dit que ce roman augurait déjà d’une suite de carrière talentueuse.

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