Si les airs du bonheur passent devant ta rive,
ne tourne pas la tête.
Car ces roses ne sont pas pour toi,
ni le vent qui les emporte,
ni les rubans qui les unissent.
Ce ne sont que mirages,
reflets de ce que tu ne seras pas,
ombres du néant.
Quand il arrive à Tours le lendemain matin, Fermin tombait de sommeil et n'avait qu'un indice sur son débutant : le Colibri. A l'instar des détectives de roman noir qui commencent leur enquête à partir d'une pochette d'allumettes où figure le nom d'un tripot (Le Cygne Sauvage ou Le Serpent Bleu), Maroto débuta la sienne au Colibri, où il n'y avait pas plus de pianiste noir ivre en train de chanter que de trace du malheureux volatile. Le Colibri était un local peint en jaune et recouvert de lambris, situé dans une des rues piétonnes qui partent de la place Plumereau dans le centre du vieux Tours. Peu de clients et pléthore de tables. La serveuse qui vint prendre la commande de Maroto portait dans son nez ce qu'il aurait appelé une boucle d'oreille et elle affirma ne pas savoir qui était Feeling. Fermin ne posa plus de questions. Sa perspicacité innée de fin limier l'amena à la déduction que la fille à l'anneau ne saurait pas davantage où on pouvait trouver l'homme.
Sur l'unique mur sans miroir trônait une photo du Real Madrid de 1966 - temps où les footballeurs avaient encore du ventre et les cheveux longs.
Jean-Marc Feeling n'était pas ce qu'on appelle un homme de principes. Au diable les principes ! avait-il l'habitude de déclarer entre deux gorgées de bière qu'il buvait à toute heure dans des chopes sans fin appelées 'formidables' - probablement parce que c'était là l'expression la plus fréquente quand un client réalisait l'exploit d'en venir à bout. L'exclamation était invariablement accompagné d'un rot, signe de soulagement pour le buveur et grave affront à ses interlocuteurs, obligés d'observer une interminable minute de silence jusqu'à ce que l'émission se dissolve dans l'atmosphère et que la buée disparaisse des lunettes de ceux qui en portaient.
Un "petit moment" est un temps d'attente aussi long (mais pas aussi court) qu'un moment, mais l'attente parait plus agréable car on lui prête moins d'attention. Un "petit coup de cidre" peut aller jusqu'à six verres mais reste léger, et une "historiette", n'étant même pas une histoire, cesse de nous préoccuper. Ainsi la vie devient supportable puisque ses effets sont diminués, de même qu'en été le vin passe mieux avec un peu (ou un "petit peu") d'eau gazeuse.
L'intensité réduit le temps d'exposition, c'était là la sentence de Secundino. Si on met le four au maximum, on ne peut pas y laisser les macaronis trop longtemps, car le gratin risque de se transformer en cendres et personne ne mange les macaronis façon urne funéraire, pas plus qu'on ne mange un 'bollu preñao' avec des couverts. Face à cette affirmation de Secundino, il faut expliquer (aux non-initiés) que le 'bollu preñao' (spécialité locale) n'est ni plus ni moins qu'un pain farci de chorizo qu'on met au four pour en faire éclater le boyau et laisser le pain s'imprégner de sa saveur.