Miguel de Beistegui

(p.135)
Le désir, écrit Barbaras en une formule à laquelle je souscrirais entièrement, "est cette faille qui s'ouvre à mesure qu'elle se comble, cet écart (entre le désir et le monde) qui se creuse à mesure qu'il se réduit, cette identité qui ne se réalise que pour faire différence".

Mais entendu de la sorte, le désir est l'espace d'un manque qui jamais ne sera comblé, le sens même d'un sujet que la possession d'objet jamais pourra épuiser. Pourquoi ? Tout simplement parce que le désir désigne la dimension d'un manque originel auquel rien de positif ne manque, l'ouverture d'un champ d'absence au sein duquel quelque chose fait défaut. Il est cette insatisfaction première plus ancienne que toute frustration, sans laquelle, paradoxalement, rien ne serait jamais donné.

(p.20)
Qui, mieux que Schopenhauer, a su évoquer les affres de cette condition humaine, trop humaine ? Le désir, nous dit en substance l'auteur du "Monde comme volonté et comme représentation", est l'indice d'un manque, et ce manque est l'essence même de la vie. Et puisque tout désir naît d'un manque, il est inséparable d'un état de souffrance, que l'on s'efforce naturellement d'apaiser. Aussitôt apaisé, cependant, il donne naissance à un nouveau désir, qui à son tour occasionne une nouvelle souffrance. Mais que la volonté vienne à manquer, qu'une prompte satisfaction vienne à lui enlever tout motif de désirer, et le voilà tombé dans ce vide épouvantable qu'on appelle l'ennui.