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Citations de Mihai Eminescu (115)


Car la vie est un bien perdu quand on ne l'a pas vécue comme on aurait voulu.
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Mihai Eminescu
Ode
(mètre antique)

Moi, la mort, jamais ne croyais l’apprendre ;
Jeune toujours, d’une pèlerine me couvrant,
Mes yeux rêveurs se levaient vers l’astre
Des solitudes.

Lorsque tu parais brusquement devant moi,
Toi, souffrance, si douloureuse et douce…
Jusqu’au fond j’ai bu le bien d’une mort
Impitoyable.

Tel Nessus, je brûle vivant, tortures
Toutes pareilles aux toiles vénéneuses d’Hercule ;
Ni les vagues, ma flamme, ne pourraient l’éteindre,
De l’entière mer.

Par mon propre rêve, dévoré, je pleure,
Et mon propre feu me consomme, bûcher…
Clair, je peux en ressusciter encore,
Comme le Phénix ?

De ma voie, les yeux qui me troublent, périssent
Et revient dans l’âme, indifférence ;
Pour pouvoir mourir calmement, redonne –
Moi, à moi-même !

(version française d’Elisabeta Isanos)
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Mihai Eminescu
Le page Cupidon
*
Le page Cupidon, ce fourbe,
Est méchant, moult cajolé,
Avec des enfants gambade,
Chez les dames dort en chambrée.

Comme les gueux la lumière
Il évite fortement,
Par les baies la nuit il erre
Tâtonnant si doucement;

Fanfreluches et babilles,
Sont tout son argent comptant...
Généreux quand tu n'as cure
Et radin si lui demandes...

Dans le vieux grimoire tu cherches
Toute la nuit la vérité
Et retrouves collés sur feuilles
Ses cheveux d'or éparpillés.

Il donne des envies pas sages
A l'âge cru et immature,
Avec des brillantes images
Charme qui toute une nuit perdure.

Quand une soif de vague à l'âme
Tourmentait une jouvencelle
Dormira près de la fille
Comme deux jeunes tourterelles.

Indécis pareil aux mômes,
Son sourire est un mystère;
Mais ses yeux sont aussi tendres
Que les yeux d'une douairière.

Des cous fiers et belles épaules
Des poitrines rondes et blanches
Il les garde enserrées
De ses petites mains les cache.

Si tu lui fais la prière,
Il sera assez fougueux
Le voile blanc qui tout ça couvre
L’enlèvera un tout petit peu.

*
traduit du roumain par Cindrel Lupe
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Mihai Eminescu
Que je voudrais revoir le val où je suis né
Ce val éclaboussé par son ru de cristal ;
Revoir ce que jadis j'ai tant et tant aimé,
Les ténèbres du bois, romantique dédale ;

Revoir les chaumières nichées dans la vallée
Sommeillant dans le calme et la paix bucoliques
Jouissant en secret de la simplicité,
Des rêves mystérieuses, des murmures lyriques.

Que je voudrais avoir un tout petit chez moi
Calme dans ma vallée zigzaguant dans les prés
Revoir le mont dressé tout au-dessus des bois
Le front enveloppé de brumes, de nuées.

Que je voudrais revoir les grands champs verdoyants
Tisser le voile blanc de mes jeunes années,
Ces champs penchés un jour sur mes chuchotements,
Qui me virent jouer et souvent folâtrer.

(Traduit du roumain par Claude Dignoire)
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Mihai Eminescu
Venise

S'éteignit la vie de l'altière Venise
Il n'y a plus de chants ni de bals lumineux ;
Sur les marchés en marbres par les portails vieux,
La lune glisse, blanchit les murailles grises.

Okéanos sur les canaux coule gémissant
Lui seulement en fleurs à tout jamais,
Il soufflerait la vie à sa douce mariée,
Il heurte d'anciens murs, des vagues résonnant.

Comme dans un ossuaire le silence trône,
Depuis des jours anciens prêtre resté,
San Marc sinistre la minuit sonne.

D'une voix profonde comme une Sibylle parlant
ll dit doucement en secondes cadencées :
Nul mort n'en revient - c'est est en vain, mon enfant.

(traduit du roumain par Emanuela Busoi)
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Mihai Eminescu
Chaque fois, mon amour

Chaque fois, mon amour, qu’il me souvient de nous

Un océan de glace remonte à ma mémoire :

Nulle étoile ne brille dans le lointain blafard,

La lune seule y fait une tache jaunâtre ;

Et par-dessus les flots pleins de glace blanchâtre,

Un oiseau fatigué passe, triste et hagard,

Tandis que sa compagne est déjà loin devant

Et vole avec les autres du côté du couchant.

Il la suit tristement d’un regard sans espoir,

Tout regret l’a quitté ; au moment où il meurt,

Il ne garde en mémoire qu’un rêve de bonheur.

……………………………………………………….

Chaque instant nous éloigne un peu plus loin de l’autre,

Tandis que, seul et froid, doucement je m’éteins,

Tu te perds en riant dans l’éternel matin.

(Poésies/Poezii, Traduction du roumain par Jean-Louis Courriol, Non Lieu, 2015, p.43)
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Mihai Eminescu
Quant à ma vie, je crois qu'elle coule légère,
Lentement racontée d'une voix étrangère
Comme si ce n'était pas toute mon existence
Qui raconte par cœur mon histoire si dense ?
Que j'y tends mon oreille et ris en écoutant,
Comme d'un autre mal ?... Serais je mort pourtant ?
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Mihai Eminescu
Ce que je te dédie, ma douce Roumanie

Ce que je te dédie, ma douce Roumanie
Mon pays de gloires, pays de désir ?
Que des bras nerveux, l’arme pleine d’énergie,
A ta grande histoire, un plus grand avenir !
Coule le vin en coupes, écume le calice,
Si tes fiers dauphins le souhaitent ainsi ;
Car la roche perdure, si la vague périsse,
Ma douce Roumanie, ça je te dédie !

Rêve de vengeance obscur comme la tombe
Ton épée de sang de l’ennemi fumant,
Et dessus la hydre dans la brise flambe
Ton rêve de gloires fier et triomphant,
Que disent au grand monde les flammes tricolores,
Que disent du brave peuple, du Roumain pays,
Quand sacrée s’allume sa candide aurore,
Ma douce Roumanie, ça je te dédie.

L’ange de l’amour, ce tout pacifique ange,
Sur l’autel de Vesta discret souriant,
Celui qui aveugle Mars par ses louanges,
Quand au monde s’envole sa lampe éclairant,
Lui à ton sein vierge trouvera son appui,
Goûter le bonheur divin de ce paradis,
Prends-le dans tes bras, des autels fais-lui,
Ma douce Roumanie, ça je te dédie.

Ce que je te dédie, ma douce Roumanie,
O, jeune épouse, mère comblée d’amour !
Tes dauphins en frères qu’ils vivent depuis
Comme de nuit les astres, comme l’éclat du jour,
Ta vie soit sans cesse, gloire et liesse,
Armes fortes qui servent, un roumain esprit,
Rêve de vaillance, gloire et hardiesse,
Ma douce Roumanie, ça je te dédie !

(traduit du roumain par Tudor Mirică et Cindrel Lupe)
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Mihai Eminescu
Dehors c'est l'automne, feuille éparpillée,
Mille gouttes le vent jette dans les fenêtres ;
En enveloppes usées on lit des lettres
Et à toute la vie on s'arrête à penser.

Avec des bagatelles le temps est gaspillé,
Que l'on frappe à la porte on ne voudrait pas,
Et l'on adore quand la giboulé bat,
Rêver devant le feu à demi ensommeillé.

Assis dans le fauteuil, plongé dans les pensées,
Je rêve au vieux conte de Dokia la fée ;
Le brouillard s'amasse en tas autour de moi ;

Brusquement d'une robe j'entends le froufrou
Le plancher à peine est touché d'un pas mou...
Tu couvres mes yeux des doigts minces et froids.

(traduit du roumain par Emanuela Buşoi)
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Mihai Eminescu
Fleur bleue

« - De nouveau tu sombres aux nues
Aux étoiles et hauts abysses ?
Encore je crains que tu puisses
M'oublier, âme de ma vie.

En vain des solaires coulées
Tu enfournes dans tes pensées
Toutes les plaines Élysées
Sombre mer et ses chimères ;

Pyramides obsolètes
Montent vers le ciel leurs cimes -
Dans les lointaines abîmes
Ton bonheur, jamais ne quête ! »

Ainsi dit ma petite pudique,
Me lissant les cheveux tendres.
Ah! la vérité d'entendre
Moi je ris, sans une réplique.

« - Viens au bois dans la verdure,
Dans les près où des sources sombrent,
Et les roches presque tombent
Dans la faille à grande posture.

Là, longeant les clairières,
Auprès de la mare sereine
Près des calmes roseaux m'entraîne,
Sis sous les bosquets de mûres.

Contes, tu me diras les mêmes
Mensonges de ta bouche petite,
Effeuillant la marguerite
Je saurai si toujours m'aimes.

Sous le soleil qui m’assèche
Je rougirai comme une pomme
Déférai mes cheveux de môme,
L'or des boucles fermant ta bouche.

Si me donnes une bise fugace,
Nul saura dans la nature,
Elle sera sous couverture -
Et après, qui s'en tracasse !

Quand des branches apparaîtrait
La lune, dans la nuit d'été,
Aux aisselles tu me serrerais,
Moi, ton cou j'enlacerais.

Au sentier, sous voûtes de feuilles,
Vers le village en vallée,
Bises échangerons dans l'allée,
Doux comme des fleurs cachées.

Sur le pas de porte restant,
Parlerons dans le soir gris -
Et quelconque ne s'en soucie,
Qui saura que je t'aime tant ? »

Un baiser, puis disparaît...
Sous la lune je porte mes frasques !
Qu'elle est belle, qu'elle est fantasque
Mon bleuet, ma fleur aimée!
[...]
Douce merveille, rien ne persiste,
Il est mort notre amour -
Ma fleur bleue ! Ma fleur d'azur !
Que ce monde me semble triste !

(traduit du roumain par Cindrel Lupe)



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Mihai Eminescu
Le lac

Bleu, le lac au cœur des bois,
Des lys jaunes l'alourdissent ;
Dès qu'il vibre, l'onde fait
Qu'une barque au fond frémisse…

Et je vais, longeant la rive ;
J'attends presque, à chaque pas,
Qu'Elle des roseaux surgisse
Et s'abatte entre mes bras ;

Que nous sautions dans la barque –
L'eau chantonnerait soudain
Et m'échapperaient la barre
Et les avirons, des mains ;

Que nous voguions sous le charme,
Baignés par la lune pâle ;
Que le vent froisse les joncs,
Que l'eau tinte, musicale…

Mais non, jamais plus !… je porte
Seul, en vain, mon lourd fardeau,
Près du lac si bleu, qui tremble,
Surchargé de grands lys d'eau.

(traduit du roumain par Annie Bentoiu)
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Mihai Eminescu
Reste, oh ! reste…

« Reste, oh ! reste je t'en prie,
Près de moi, je t'aime tant !
Tes chagrins, tes nostalgies,
Moi seul je les comprends.

Je crois voir un jeune prince
Caché dans l'ombre du soir,
Quand tu sondes l'eau brillante
De tes sages, grands yeux noirs ;

Dans le brunissement des vagues,
Dans les yeux du regain vert,
Parfois je te fais surprendre
Le pas du troupeau de cerfs ;

Je te vois quand tu murmures,
Ivre d'un charme inconnu
Et vers l'eau étincelante
Tu allonges ton pied nu ;

L'œil perdu, au clair de lune,
Sur les flammes de l'étang,
Un instant te sembles un siècle,
Ton passé, quelques instants. »

Ce disant, ployant ses voûtes,
La forêt ombrait ma tête…
Je sifflais, puis vers les plaines
M'en allai, le cœur en fête.

Aujourd'hui, même auprès d'elle,
Je ne la comprendrai plus…
Ô forêt, ô mon enfance,
Où avez-vous disparu ?

(traduit du roumain par Annie Bentoiu)
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Mihai Eminescu
Empereur et prolétaire

Sur des bancs de bois, dans la basse taverne sombre,
Où le jour pénètre à travers les vitres sales,
Autour de longues tables, était assise, triste,
Une bande errante, faces assombries,
Enfants pauvres et sceptiques de la plèbe prolétaire.

Ah ! s’exclamait l’un, vous dites que l’homme est une lumière
Sur ce monde plein d’amertumes et de torture ?
En lui nulle étincelle n’est candide ni entière,
Son rayon est sordide comme le globe de boue
Sur lequel il règne tout puissant.

Dites-moi qu’est-ce que la justice ? — Les forts se retranchèrent
Avec leur fortune et leur grandeur derrière leur cercle de lois ;
On les voit éternellement comploter, au moyen des biens qu’ils ont volés,
Contre ceux qu’ils condamnèrent au labeur
Et dont ils exploitent le travail de toute une vie.

Les uns comblent de plaisirs leur vie,
Ils passent des jours joyeux et les heures leur sourient ;
Vin d’ambre dans les coupes ; l’hiver, jardins, verdures,
L’été, divertissements, Alpes aux fronts de glace ;
Ils font de la nuit le jour et ils bouchent les yeux du jour.

La vertu pour eux — ça n’existe pas. Mais ils ont soin
De vous la prêcher, car c’est vous qui devez être les bras forts
Des États, masses lourdes qu’il faut pousser,
Et elles doivent être lutées, les guerres une fois allumées ;
Car vous mourant dans le sang, eux peuvent être grands.


Et les flottes superbes et les armées glorieuses,
Et les couronnes que les rois posent sur leur front,
Et ces millions, qui en amas luxueux
Sont entassés chez le riche, oppriment le pauvre
Et sont extorqués à la sueur du peuple hébété.

La religion — phrase par eux inventée
Afin que par son pouvoir ils vous courbent sous le joug,
Car s’il manquait aux cœurs l’espoir de la récompense,
Après que vous travaillâtes amèrement, misérables toute votre vie,
Supporteriez-vous encore la condamnation, comme des bêtes à la charrue ?

Elle vous a obscurci la vue par des ombres qui ne sont pas,
Et vous a fait croire que vous serez récompensés...
Non ! La mort dans la vie a éteint tout plaisir —
Celui qui en ce monde n’a eu que des douleurs
N’a rien au-delà, car bien morts sont ceux qui sont morts.

Mensonges et phrases voilà tout ce que les états soutiennent,
Et non point l’ordre naturel.
Pour que vous défendiez leur fortune, leur grandeur et leur bien-être
Ils arment vos bras, afin que vous frappiez en vous-mêmes,
Et ils vous mènent à la guerre contre vous-mêmes.

Pourquoi faut-il que vous soyez les esclaves de leurs millions néfastes,
Vous, qui à peine pouvez vivre de votre travail ?
Pourquoi faut-il que la maladie et la mort soient votre lot,
Lorsqu’eux dans leurs richesses splendides et vastes
Vivent comme dans les cieux, n’ont même pas le temps de mourir ?

Pourquoi oubliez-vous qu’en vous est le nombre, en vous le pouvoir ?
Vous pourrez très aisément, quand vous le voudrez, vous partager la terre.
Ne leur construisez donc plus de maisons où ils enferment des richesses,
Où voudriez-vous qu’on vous enferme, quand poussés par la souffrance
Vous croyez avoir, vous aussi, le droit de vivre.

Eux. protégés par les lois, s’abandonnent aux plaisirs
Et ils sucent à la terre sa plus douce sève,

Ils attirent, dans la volupté de l’orgie bruyante
Des musiques aveugles, vos filles belles ;
Leurs vieillards flétrissent nos beautés vierges.

Et si vous demandez alors ce qu’à vous il vous reste ?
Le labeur ; qui leur permettra de se vautrer dans les joies,
L’esclavage pour toute la vie, le pain noir mouillé de pleurs,
La misère dans la honte de vos filles souillées.
Tout pour eux, et rien pour vous ; à eux le ciel, à vous les douleurs. !

Eux n’ont pas besoin de lois : la vertu est aisée
Quand on a ce qu’il faut... Mais les lois sont pour vous.
On vous applique la loi, on vous jauge la peine
Lorsque vous tendez la main vers de bonnes choses souriantes,
Car même au bras de la terrible nécessité il n’est pas pardonné.

Brisez l’ordre établi, cruel et injuste
Qui divise le monde en miséreux et en riches.
Et puisqu’après la mort aucune récompense ne vous attend
Faites que dans ce monde il y ait une part équitable,
Égale pour chacun, et que nous vivions en frères !

Brisez la statue nue de l’antique Vénus,
Brûlez ces toiles aux corps de neige,
Elle déchaînent dans l’âme l’idée malheureuse
De la perfection humaine, et elles font choir
Sous les griffes de l’usure les filles du peuple !

Brisez tout ce qui attise leur cœur malade,
Dévastez palais, temples, qui recèlent des crimes,
Abattez les statues des tyrans, qu’une lave coule dans le feu
Qui purifie les pierres de toute trace, esclave
De ceux qu’elle suit jusqu’au bout de la terre !

Brisez tout ce qui marque orgueil et fortune,
O ! déshabillez la vie de son vêtement de granit,
De pourpre, d’or, de larmes, d’ennui,
Qu’elle ne soit plus qu’un rêve, qu’une illusion
Qui sans angoisse traverse le temps infini.


De tous ces décombres dressez de gigantesques pyramides
Comme un memento mori sur le plan de l’histoire —
Celui-là est l’art, qui ouvre notre âme
A l’éternité ; non pas le corps nu qui rit
De sa moue de vendue, de son œil rusé et vif.

Oh ! emmenez le déluge, assez longtemps vous attendîtes
De voir quel bien pourrait surgir du bien —
Aucun ! La place de la hyène a été prise par le beau parleur,
La place de l’antique cruauté par l’insinuant tenace.
Les formes ont changé, mais le mal est resté.

Et vous retournerez alors vers les âges d’or
Que les mythes bleus nous murmurent souvent ;
Les plaisirs égaux seront partagés en égalité,
La mort même, éteignant la lampe de la vie qui se finit,
Vous apparaîtra comme un ange aux épais cheveux blonds.

Alors, vous mourrez aisément sans amertume ni souci,
Des adolescents vivront comme vous aurez vécu,
Mêmement la cloche ne pleurera plus de sa langue de bronze
Celui dont prit soin la bonne chance
Et que personne n’aura à plaindre ; il aura vécu sa vie.

Et les maladies, que la misère et la richesse hors-nature
Enfantent parmi les hommes, peu à peu s’évanouiront,
Il ne croîtra plus dans le monde que ce qui est destiné à croître,
On boira la coupe jusqu’à la lie, jusqu’à ce qu’on veuille la briser,
On mourra lorsqu’on n’aura plus de raison de vivre.


* * *


Sur les bords de la Seine en phaéton de gala
César passe, pâle, plongé dans ses pensées ;
Le lourd et sourd bruit des flots, le grondement sur le granit
Des centaines d’équipages, ne trompent pas ses réflexions :
Son peuple le rend silencieux et humble.

Son sourire est intelligent, profond et muet ;
Son regard lit dans les âmes des hommes,

Et sa main qui tient les destinées du monde
Est saluée, le long du chemin, par la masse des loqueteux.
Sa grandeur est mystérieusement liée à ceux-ci.

Il est, comme vous, convaincu dans sa grandeur solitaire
Dépourvue d’amour, que le principe mauvais,
L’injustice et le mensonge tiennent les freins du monde,
L’histoire humaine l’exprime éternellement ;
C’est l’histoire du marteau qui tombe sur l’enclume.

Et lui — lui, la cime splendide de ceux qui oppriment,
Salue en passant le défenseur muet.
Si vous manquiez sur cette terre, vous la cause ténébreuse
Des révolutions grandioses — la grandeur rayonnante
De César, César lui-même il y a longtemps serait tombé.

Par vos ombres incrédules,
Par vos sourires figés, que la pitié a quittés,
Par vos pensées de justice et de bonté rayonnante,
Par vos ombres seulement- puissances effrayantes,
Il force sous son joug ceux-là qui l’ont haï.


* * *


Paris brûle en flots, la tempête s’y baigne,
Des tours tonnantes bondissent, flambantes, comme des torches noires, dans le vent.
Parmi les langues des flammes qui se tordent en vagues,
Cris mugissants, cliquetis d’armes pénètrent la mer embrasée.
Le siècle est un cadavre — Paris est son tombeau.

Dans des rues qu’entrecroisent les flammes aveuglantes.
Montés sur des barricades de monceaux de granit.
Se meuvent les bataillons de la plèbe prolétaire
Avec leurs bonnets phrygiens et leurs armes luisantes ;
Et des cloches en branle retentissent, rauques.

Blanches comme le marbre, comme celui-ci impassible,
Des femmes, l’arme au bras, traversent l’air rouge,

Leur chevelure riche et noire s’épand sur leurs épaules,
Et couvre leurs seins — il y a haine et rage
Dans leurs yeux noirs, profonds et désespérés.

O ! guerroie, femme voilée par ta riche chevelure ;
L’enfant perdu est aujourd’hui un héros !
Car l’oriflamme rouge à l’ombre de justice
Sanctifie ta vie fangeuse et pécheresse.
Non ! la faute n’est pas à toi mais à ceux qui t’ont vendue !


* * *


La mer brille, calme ; et ses plaques grises
Se meuvent l’une sur l’autre comme des couches de cristal
Jetées sur la terre ; de la forêt mystérieuse
La lune émerge, grande, -dans les plaines azurées,
Les emplissant de son œil superbe, triomphal.

Sur les ondes lentes, de vieux vaisseaux,
Meuvent en bercements leurs carcasses de bois ;
Glissant doucement, tels des fantômes, ils enflent leurs voiles
Devant la lune qui les traverse
Et dont la face apparaît comme un signe sur le disque de feu jaune.

Sur des bords bouleversés par le délire de la mer,
César veille toujours sous le tronc courbé
Du saule à la chevelure pendante, et les chants prolongés de l’eau,
En cercles fulgurants, s’allient ineffablement au souffle
De la brise du soir, et vibrent en cadence.

Il lui semble que dans l’air et la nuit étoilée,
S’avançant sur les cimes des forêts, par-dessus l’étendue des eaux,
Passe, barbe blanche, — sur le front assombri,
La couronne de paille lui pend, sèche —
Le vieux roi Lear.

Émerveillé, César regardait l’ombre des nuées
A travers la crête de laquelle transparaissaient des étoiles doucement tremblantes.
Son esprit s’ouvrait à tout le sens des tableaux
De la vie brillante, et les échos des peuples
Lui sembla
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Mihai Eminescu
J’ai ce dernier désir…

J’ai ce dernier désir,
Dans le soir pacifique
De me laisser mourir
O mer mélancolique.

Mon sommeil sera doux,
Et la forêt prochaine,
Et les flots sans courroux
Sous la voûte sereine.

Je ne veux ni drapeaux,
Ni riche sarcophage,
Mais un simple assemblage
De fragiles rameaux.

Après mon agonie
Pas de gémissement,
Mais le bruissement
De la feuille flétrie,

Qu’avec des sanglots vains
La source toujours pleure,
Et la lune demeure
Sur la cime des pins.

Que les clarines blanches
Tintent dans l’air glacé,
Et le tilleul sacré
Me couvre de ses branches.

Plus d’un doux souvenir
Neigera sur ma tombe
Pour que, dans l’avenir,
L’exil sur moi ne tombe.

De l’ombre au firmament
Les étoiles surgies,
Chacune mon amie,
Souriront doucement.

Et la mer âpre et fière
Hurlera son tourment…
Dans mon isolement
Moi je serai poussière.

(Adaptation d’Annie Bentoiu)
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Je n'ai qu'un seul désir

Je n'ai qu'un seul désir:
Sous le couchant d'éther
Qu'on me laisse mourir
Près du bord de la mer
Que mon sommeil soit doux
Et le vieux bois voisin,
Que mon ciel soit serein
Dessus les eaux partout.
Je ne veux de drapeaux
Ni de riche cercueil,
Mais seul un lit de feuilles
Fait de jeunes rameaux.

Que personne après moi
Ne pleure à mon chevet:
Seul l'automne m'envoie
Le chant de sa forêt.
Quand tombent cristallins
Les ruisseaux qui bruissent
Que l'or de lune glisse
Aux cimes des sapins
Que la clochette franche
Pénètre le vent froid
Que le tilleul sur moi
Secoue sa sainte branche

Et comme à l'avenir
Ne serai plus errant
Me couvrira le temps
Aux flots des souvenirs.
L'étoile qui surgit
De l'ombre des mélèzes,
Sourira bien aise
Comme éternelle amie.
Gémira l'âpre chant
Que soulève la mer...
Je ne serai que terre
Dans mon trist néant.

*Une mention: traduction realisée par Elena VELICU
http://www.estcomp.ro/eminescu/seuldes.html
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Mihai Eminescu
Mélancolie

Un grand portail semblait s'ouvrir dans les nuages,
À la reine des nuits, morte, livrant passage.
Dors, dors en paix ! Mille flambeaux baignent du feu
Ton suaire d'argent et ton sépulcre bleu,
L'arc infini du ciel te sert de mausolée,
Ô douce de nos nuits souveraine adorée !
Sous toi la terre étend ses plaines, prisonnières
D'un givre où dorment des hameaux, voilés de verre ;
L'air étincelle ; on croirait fraîchement chaulés
Ces pans de mur luisant par les champs désolés.
Le cimetière seul, aux croix torses, moroses,
Reste éveillé ; sur l'une un hibou noir se pose,
Le clocher grince, une simandre fait l'appel
En frappant les piliers, sonore, et dans le ciel
Un invisible esprit, heurtant d'une aile immense
Le bronze, en tire un cri affolé de souffrance.

Vide et pieuse,
La vieille église est tout auprès, silencieuse.
Par les carreaux brisés le vent remplit la voûte,
On l'entend murmurer, on croirait qu'il envoûte ;
Les parois, les piliers, l'iconostase peinte
N'ont gardé que traits flous et nuances éteintes ;
Un grillon officie en son langage obscur
Et, chantre, un perce-bois grignote le vieux mur.
[...]
La foi orne les nefs d'images où l'on prie ;
Mon âme aussi connut sa douce féerie,
Mais la vie et le temps, leurs orages, leurs plaintes
N'ont laissé que traits flous et nuances éteintes.
Je cherche en vain mon univers, ma tête est lasse,
Un grillon dit son sortilège à voix très basse ;
Ma main a beau compter les coups du cœur en deuil,
Insecte morne, il cogne au fond d'un vieux cercueil.
Quand je songe à ma vie, il semble, mensongère
Que la redit pour moi quelque bouche étrangère :
Non, je n'ai pas vécu, ce récit est trompeur…
Qui donc raconte ainsi tout mon destin par cœur ?
Je tends l'oreille, et ris : ces chagrins, ces efforts…
On dirait qu'il y a longtemps que je suis mort.

(traduit du par Annie Bentoiu)
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Mihai Eminescu
[Pour le 1er décembre (fête nationale) ce poème culte ( Ce-ți doresc eu ție dulce Românie) de Mihai Eminescu, dans la traduction de Elisabeta Isanos] :

Quel souhait me pousse, Roumanie la douce

Quel souhait me pousse, Roumanie la douce,
Mon pays de gloire, mon pays d'amour ?
Bras nerveux, agiles, armes à la rescousse
À ton grand passé, de futurs grands jours !
Que la mousse du vin, dans les coupes, abonde
Si tes nobles fils le désirent ainsi,
Car la pierre reste, même si meurent les ondes,
Je te le souhaite, douce Roumanie.

Rêve de vengeance, sombre comme la tombe,
Ton épée qui fume d'un hostile sang,
Qu'il se lève, vainqueur, que la hydre tombe,
Que ton rêve de gloire flotte dans le vent,
Que les trois couleurs des drapeaux racontent
Qu'est-ce que la roumaine race signifie ;
Lorsqu'une flamme pure, de son âme, monte
Je te le souhaite, douce Roumanie.

L'ange de l'amour, l'ange de l'entente
En secret sourit dans le saint foyer,
Il aveugle Mars, de sa lampe le hante,
Lorsque sa lumière vole nous éclairer,
Sur ton sein vierge, qu'il descende du ciel
Pour goûter la sainte joie du paradis,
Prends-le dans tes bras, fais-lui des autels,
Je te le souhaite, douce Roumanie.

Quel souhait me pousse, Roumanie la douce
Fille au jour des noces, mère qui nous aime !
Que jamais nos frères mêmes ne nous repoussent,
Que tes fils soient comme l'aurore même,
À jamais unis, en gloire, en fête,
Armes et âmes fortes, éternelle vie,
Que jamais ton rêve de gloire n'arrête,
Je te le souhaite, douce Roumanie !
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Mihai Eminescu
UN DEMAIN
À TES JOURS S’AJOUTE



Un demain à tes jours s’ajoute,
Un hier à ta vie se soustrait,
Mais cependant, devant toi-même
C’est l’aujourd’hui seul qui paraît.

Les scintillants tableaux qui passent
Fuyant sous ton regard surpris
Reposent, purs et immuables,
Sous l’œil de l’éternel esprit.
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Mihai Eminescu
Ô, mère...

Ô, Mère, douce Mère, du brouillard du temps
Tu m'appelles à Toi par le vert bruissement
D'acacias perdant leurs feuilles, avec détresse,
Sur le caveau noir et saint de Ta sépulture.
Leurs branches en se touchant avec Ta voix murmurent.
Ils frémiront toujours, Tu dormiras pareil...

Ne pleure pas, Chéri, sur ma tombe,
Mais romps un beau rameau au tilleul sacré
Et, le plantant à l'endroit de ma tête, laisse
Couler sur lui tes larmes amères et fécondes.
Un jour je sentirai qu'il ombrage ma tombe...
Dans l'ombre grandissante je dormirai sans cesse...
Mais, s'il fallait ensemble que nous mourrions, un jour,
- Point de lieu triste, avec des murs autour -
Qu'au bord d'une rivière on nous ensevelisse,
Dans un même coffre, tous deux, comme avant,
Pour te sentir très proche, éternellement…
L'eau pleurera toujours, nous dormirons sans cesse…
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Mihai Eminescu
La profonde mer...

La profonde mer sous le clair de lune,
Eclaircie par son rayon blond,
Tout un monde rêve là, au fond
Et des étoiles porte sur l’onde brune.

Mais demain elle s’enrage altière
Et meut un monde noir là-bas
Sur ses milliers et milliers bras
Apportant la mort – des pays enterre.

Ce jour, diluvium, demain murmure,
Une harmonie qui n’a pas de confins
De la sorte est son caractère obscur.

Ainsi est l’âme dans l’antique mer
Elle n’en a cure – elle ne m’inspire rien
Indifférente, solitaire – ô, mer.

(traduit du roumain par Emanuela Bușoi)
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