En été viennent s'ajouter aux Croates, Slovènes et Italiens qui peuplent l'Istrie, des Français, Hollandais, Anglais, Suédois, avant tout des Allemands et des Autrichiens, démontrant ainsi l'ouverture cosmopolite de la péninsule. Aucune ou presque de ces personnes ne se soucie particulièrement du passé. L'histoire est pour elles tout bonnement là. Elle respire paisiblement et régulièrement comme la mer. L'avenir est écrit dans les étoiles. Mais le présent regorge de ce soleil qui nous donne vie et chaleur.
Il me faut tout d'abord commencer par avouer que je ne suis pas très attiré par les montagnes, à moins que du haut d'un sommet je ne puisse découvrir la mer dont toute vie provient sur cette terre.
La liberté, en effet, a un prix.
Il faut regarder les Vénitiens manger pour comprendre que la cuisine est un art.
Il n’existe pas d’autre ville au monde qui, à peine l’a-t-on aperçue, vous paraisse aussi connue et familière que Venise. Tout visiteur qui se trouve sur la place Saint-Marc, donne à manger aux pigeons voraces ou regarde tout simplement autour de soi, a le sentiment d’y être venu déjà une fois. On connaît déjà la vue sur la mer qu’offre la Piazzetta avec ses deux colonnes en haut desquelles trônent saint Théodore, le premier patron de la ville et le second, définitif, le lion ailé de l’évangéliste Marc ; on croit avoir marché déjà au moins une fois dans sa vie entre le campanile et la Tour de l’Horloge, entre la cathédrale Saint-Marc, le palais des Doges et les colonnades. Cette impression est compréhensible si l’on songe au nombre important d’écrivains renommés qui, au cours des décennies passées, ont écrit au sujet de ce morceau de terre ceint par les eaux, de peintres célèbres qui en ont fait des tableaux et de touristes anonymes qui en ont pris des clichés depuis l’invention de la photographie.
Venise. Carnaval de l’Italie, p. 35-36
Il est intéressant de constater que quelques-uns des hommes qui ont considérablement déterminé le destin de notre siècle ont séjourné à Vienne au même moment, en 1913, peu de temps avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale donc, sans se connaitre, à quelques rares exceptions près : Joseph Vissarionovitch Staline qui voulait y étudier la question nationale au coeur de l'État pluriethnique, Léon Trotski qui, en tant que journaliste indépendant, couvrait la guerre des Balkans, Nikolaï Boukharine, étudiant inscrit en sciences économiques, Adolf Hitler qui était illustrateur de cartes postales et logeait dans un foyer, Thomas Masaryk, député du Reichsrat, et Josip Broz qui prit bien plus tard le nom de Tito et rodait les voitures chez Daimler à Wiener Neustadt. À cette époque, Vienne était une métropole européenne qui les hébergeait tous.
Mitteleuropa, mythe ou réalité, p. 10-11
Joseph Roth affirma un jour que l'Autriche était la seule patrie qu'il eût jamais possédée. Et Kurt Tucholsky écrivit qu'il s'avérait de plus en plus que l'Autriche était une invention de Karl Kraus. Dans cette Autriche inventée par Karl Kraus, Joseph Roth n'apparaissait qu'à la marge, de sorte qu'il dut s'inventer sa propre "patrie".
Comme les termes patrie et terre natale me paraissent extrêmement suspects en raison de l'emploi abusif qui en est fait fréquemment à des fins funestes, j'essaierai dans ce qui va suivre de décrire mon approche très personnelle d'une entité étatique disparue, mais encore présente dans un cadre restreint où j'ai finalement trouvé un chez-soi.
Mitteleuropa. Mythe ou réalité, p. 7-8