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Citation de Daubamnus


Virginie Ateh, serveuse à l’hôtel Kingston, témoin dans l’affaire Dorothéa Schultz, s’est présentée devant le Tribunal et a fait la déclaration suivante :
« Le jour en question (2 octobre 1982), le temps était ensoleillé et j’étais très angoissée. Des filaments d’air salé arrivaient du Bosphore, accompagnés de mes pensées rapides qui se faufilaient entre les pensées alanguies comme de petits serpents. Le jardin de l’hôtel Kingston, où l’on sert le petit-déjeuner quand il fait beau, a une forme carrée. Un coin est ensoleillé, l’autre fleuri, le troisième venté, et dans le quatrième coin il y a un puits et pilier à côté. J’ai l’habitude de me tenir derrière ce pilier car je sais que les clients n’aiment pas qu’on les observe quand ils mangent. Ce n’est pas étonnant. Je sais par exemple, en regardant un client prendre son petit déjeuner, que l’œuf brouillé le soutiendra pour se baigner avant midi, le poisson pour aller le soir à Topkapi Sarayi, et que le verre de vin lui donnera la force d’esquisser un sourire avant d’aller dormir, sourire qui ne parviendra jamais jusqu’aux miroirs myopes de la chambre d’hôtel. De cet endroit, près du puits, on voit l’escalier qui mène au jardin et donc tous ceux qui arrivent et qui s’en vont. De même que toutes les eaux des gouttières d’alentour se jettent ensemble dans le puits, toutes les voix du jardin y convergent aussi […]. Le matin en question, les premiers à descendre au jardin furent les clients de la chambre 18, ceux qui avaient un passeport belge, la famille Van der Spaak, le père, la mère et leur fils. Le père a un certain âge, il joue joliment d’un instrument fait de la carapace d’une tortue blanche, on pouvait l’entendre ce soir. Il est un peu bizarre et mange toujours avec sa fourchette personnelle à deux dents, qu’il garde dans sa poche. La mère est jeune et belle, aussi l’avais-je observée de près. Je me suis aperçue qu’elle avait une tare – il n’y avait pas de cloison dans son nez. Elle allait tous les jours à Sainte-Sophie pour y copier, très bien d’ailleurs, des icônes. […] Son petit garçon qui a à peine quatre ans, souffre sans doute aussi d’une tare. En effet, il portait toujours des gants, même pendant les repas. Autre chose cep
endant m’intrigua. Ce matin-là était ensoleillé et je suivais du regard la famille belge qui descendait au jardin pour se rendre au jardin, quand soudain je constatai que le visage du monsieur n’était pas comme les autres visages.
Le Juge – Que voulez-vous dire par là ?
Le Témoin – Mettez deux parties gauches d’un visage l’une à côté de l’autre, et d’un bel homme vous ferez un monstre. Doublez la moitié d’une âme et vous n’obtiendrez pas une âme entière, mais deux moitiés d’âme monstrueuses. L’âme, comme le visage, a un côté gauche et un côté droit. On ne peut pas faire un bipède avec deux jambes gauches. Le visage de monsieur était composé de deux moitiés gauches. […]
Puis arriva le Docteur Schultz, ici présente, qui s’installa à sa table. Avant que je m’approche pour la servir, le Docteur Mouaviya, la victime, l’avait rejointe à sa table, et s’y était assis. On voyait clairement que le temps du Docteur Schultz tombait comme la pluie, et celui de Mouaviya comme la neige. Il y était déjà enseveli jusqu’au cou. J’avais remarqué qu’il ne portait pas de cravate, et qu’elle avait tiré en cachette de son sac un pistolet, mais après avoir échangé quelques mots avec le Docteur Mouaviya elle tendit la main pour saisir un rouleau de feuillets qu’il lui présentait. Puis elle se leva et courut vers l’hôtel, laissant l’arme cachée sous les feuillets, sur la table. Le Docteur Moaviya avait un sourire d’enfant, emprisonné dans sa barbe comme une mite dans l’ambre jaune, et brûlé par le vert de ses yeux tristes.
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