Les petites villes chinoises sont enveloppées d'un manteau de sommeil. Leurs rues sont calmes, car beaucoup de gens s'y déplacent à vélo. Assis sur de petits tabourets devant leurs échoppes ou à la terrasse des restaurants, les habitants de Luoyang savouraient le soir d'été. Leur curiosité grandissait comme un besoin physique.
"De quel pays viens-tu ," m'apostrophaient-ils.
C'est drôle, c'est exactement la question que je me pose sans cesse, aurais-je voulu leur répondre.
Dans les rues (de Koutcha), les carrioles tirées par des ânes n'étaient pas destinées aux touristes, mais aux Ouîgours eux-mêmes. Comme l'étaient le vieux marché, les rues et les melons. Les Ouîgours occupaient cette terre depuis plusieurs centaines d'années, ils y étaient chez eux. Cet endroit était leur propriété de plein droit. C'était dans l'air, et chacun sentait instinctivement que les Hans étaient ici les étrangers.
Mes hôtes m'ont expliqué que les royaumes, à l'instar des rivières, avaient grossi, rapetissé ou changé de contour après que le moine fut parti vers l'ouest. Des cités s'étaient effondrées, ne laissant que des ruines. […] affronter les déserts […], d'anciennes républiques d'une Union soviétique disloquée, des nations musulmanes en guerre, un royaume himalayen […].
Les rues d'Islamabad regorgeaient de grosses Toyota blanches, décorées de l'emblème bleu des Nations Unies, avec antennes souples dépassant du capot. Les travailleurs humanitaires brassaient d'épais rapports sur papier glacé avec photos esthétisantes de la misère du monde. En bas de page figurait l'inévitable requête, glissée là incidemment, presque insidieusement, à des donateurs, exigeant d'eux toujours plus d'argent, à défaut de quoi les ventres creux mourraient et les blessés succomberaient. Ce discours sur la famine et la mort semblait déplacé, quand il était prononcé dans l'atmosphère d'aisance matérielle qui transpirait de ces bureaux occupés par des nantis.
Une Indienne toquée de la Chine, un moine chinois obsédé par l’Inde. Lui et moi souffrions de la même schizophrénie. Il me semblait donc logique que nous suivions la même voie. À la faveur de cette quête, je fouillerais les vestiges du passé, je remonterais mille quatre cents ans en arrière et j’exhumerais les débris de son périple. Sur sa route entre la Chine et l’Inde, peut-être trouverais-je une histoire, un passé et un présent, que je pourrais m’approprier. Où était le vrai ? Où était le faux ? Quel était le lien avec moi ? L’histoire d’une femme ne se résume-t-elle pas à sa vérité telle qu’elle choisit de la raconter ?
Su-Yeh, la ville de la rivière Chuy...
La ville a été fondée par les Sogdiens de la région de Samarkand, puis les Tûrks étaient venus. L'hiver, les nomades y redescendaient après avoir passé l'été dans les montagnes.
Cela, au moins, n'avait pas changé.
Cinq niches noircies marquaient les endroits où avaient brûlé des lampes. Dans ce lieu même, parmi les Tûrks, il restait des traces des zoroastriens. Selon les historiens, le culte du feu pratiqué dans cette ville était si complexe que chaque maison en possédait sa propre version.
Pour moi Mathura était d'abord le lieu de naissance de Krishna.....
La route de Bairat à Mathura coupait à travers les collines et le Parc national de Sariska....Je me gorgeais de tout cela. C'était comme si j'apprenais une nouvelle langue, le vocabulaire du paysage indien. Lentement, je m'appropriais un pays et une histoire, en les parcourant, en réclamant la propriété de telle branche, telle route, telle brique vieille de mille ans, tel peuple. A moi, tout cela était à moi. J'en étais légèrement étourdie.
En proie à la crainte de ce qui m'attendait, je ne m'étais pas préparée au Kirghizistan. Je ne m'étais pas préparée aux paysages qui nous ont accueillis, à l'aisance des cavaliers galopant le long des routes avec leurs chapeaux de feutre blancs rayés de noir, pareils aux montagnes coiffées de neige blanche et aux rivières coulant en contrebas. Sous son voile de brume et de pluie, le Kirghizistan était une beauté époustouflante drapée dans un murmure sacré.
Pour aller à Koutcha, j'ai dû attendre des heures dans la petite gare routière poussiéreuse de Yanqi, parce que les bus ne partaient pas tant qu'ils n'étaient pas pleins.
... Une grosse bonne femme ouîgoure a braillé pour que nous présentions nos billets. Elle a fait monter les derniers retardataires, après quoi elle est passée du côté gauche du bus. Elle a ouvert la portière, soulevé sa robe, s'est installée sur le siège du conducteur et a embrayé.
Sous la dynastie Gupta, les paupières ont été abaissées davantage, pour signifier que Bouddha a le regard tourné vers le bas et vers l'intérieur. Celui-ci (qui provenait du mont Jamalpur) avait été sculpté par un certain Yasdin. J'ai ressenti de la délectation à connaître le nom d'un artiste depuis longtemps disparu. Tout ce que je savais de lui se limitait à cette statue. C'était peut-être suffisant.