Crossfire de
Miyuki Miyabe
De toute évidence, les paroles du chauffeur avaient exaspéré les trois jeunes. Mais s'ils avaient réagi ainsi, ce n'était pas seulement à cause de leur colère. En fait, ils avaient eu la frousse. Le chauffeur avait enfoncé le clou au bon endroit. Vous vous prenez pour qui? Vous n'êtes que des ordures... Ces phrases-là terrifiaient vraiment les jeunes actuels. Ils avaient peur de n'être personne. On les élevait dans l'aisance, l'absence de besoins, l'abondance, la satisfaction, mais ils n'étaient pas seuls à en jouir. Les voisins d'à côté et de derrière en profitaient aussi. Tout le monde était logé à la même enseigne. Mais eux, ils aspiraient à être différents des autres. Et cette différence, ils ne la trouvaient pas. A la place, il n'y avait qu'un orgueil monstrueux, nourri de leur sentiment de satiété, flottant dans un néant incolore et transparent comme un bulbe de fleur dans son eau, et enveloppé d'un soi sans forme ni couleur.
Ces jeunes n'avaient même pas le sentiment d'exister. Ils n'avaient aucune difficulté dans leur vie quotidienne : ils sortaient, claquaient de l'argent, jouissaient d'une vie agréable. Ils en oubliaient donc que leur vie, profitant de cette riche nourriture reposait sur ce seul orgueil. Puis, cet orgueil développait des racines folles qui, s'emmêlant comme des lianes dans la jungle, les enlaçaient pour les étouffer peu à peu. Où qu'ils aillent, quoi qu'ils fassent, ils étaient condamnés à traîner avec eux les racines de cet orgueil qui prenaient bien plus de place que le bulbe d'origine, déjà bien hypertrophié. Il les empêchait d'avancer et ils finissaient par s'abîmer dans la paresse et l'inertie.
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