[SMEP22] RENCONTRE AVEC SONJA DELZONGLE - PATRICE GAIN - MO MALO
Je sais que ça surprend, mais sous ses poils, l’ours blanc a la peau aussi noire que du charbon. D’ailleurs, ses poils ne sont pas blancs non plus. En réalité, ils sont translucides. C’est la décomposition de la lumière du soleil qui renvoie cette teinte claire en les traversant. Entre le jaunâtre et le crème.
Au Groenland, aucun prévenu ne restait plus de douze heures consécutives en cellule. Pour ce peuple de chasseurs nomades, la privation de liberté s’apparente à la mort. Par le passé, un nombre important de détenus s’étaient suicidés, d’autres s’étaient simplement laissés mourir de faim ou avaient dépéri de tristesse. C’est pourquoi on n’astreignait désormais les gardés à vue, comme les condamnés, à ne passer que leurs nuits en prison. Le jour, ils étaient libres de circuler comme bon leur semblait, avant de pointer de nouveau le soir suivant, au plus tard à vingt et une heures trente. Certains d’entre eux poursuivaient même une activité professionnelle et une vie familiale parfaitement normales ; rien ne les distinguait en apparence des citoyens ordinaires.
Le plus déstabilisant pour un flic comme Qaanaaq, c’était d’avoir à appréhender un nouveau territoire. Essentiel, pour un flic, son territoire. Il faut l’apprivoiser, le quadriller, le humer jour après jour. Mais aussi y laisser son empreinte, le baliser d’indics et de repères bien à soi.
[...] on ne négocie pas avec la faim d’un animal sauvage. On se soumet – ou on détale.
– Le foie est l’organe où se concentrent les vitamines. Les chasseurs pensent que c’est là que résident toutes les facultés physiques et spirituelles d’un animal, du moins d’un point de vue symbolique. C’est pour ça que la première chose qu’ils mangent, quand ils viennent de tuer un phoque…
– … c’est son foie, OK, le coupe Qaanaaq.
[...]
– Et le foie des ours alors, ils le mangent aussi ?
– Non, surtout pas ! C’est le seul auquel on ne doit pas toucher.
– Pourquoi ?
– Il est trop chargé en vitamine A. Un homme pourrait faire une overdose. En mourir.
Bon à savoir ?
(…) on est toujours l'animal exotique d'un autre.
Même informel, même amorcé en douceur, un interrogatoire devait être un choc.
Une porte qu’on force pour se servir à l’intérieur.
Pouvait-on tuer pour vingt-sept mille dollars ?
Oui. L’expérience lui avait appris qu’on tue parfois pour un seul et misérable cent. Ou même pour rien. Sauf que tuer ses débiteurs n’a jamais enrichi le moindre créancier.
– Monsieur Adriensen, savez-vous quelle pression la gueule d’un ours polaire peut exercer ?
– Non, admit Qaanaaq à regret, agacé d’avance par la leçon de choses annoncée du zoologiste.
– Huit cents kilogrammes par centimètre carré. C’est la deuxième mâchoire la plus puissante du règne animal terrestre, derrière celle du crocodile. Cinq fois plus forte que celle d’un pitbull. Elle est capable d’arracher n’importe quel membre humain d’un seul coup.
[...] les phoques groenlandais ont un métabolisme qui leur permet de résister aux très basses températures. Dès qu’il se met à faire vraiment trop froid, le sang contenu dans leurs membres reflue vers le tronc, et plonge leurs nageoires dans une sorte d’état d’hibernation. Comme ça, les fonctions vitales de leur corps sont préservées, et leurs membres tournent en quelque sorte « à l’économie ».