Citations de Mo Malø (356)
Je sais que ça surprend, mais sous ses poils, l’ours blanc a la peau aussi noire que du charbon. D’ailleurs, ses poils ne sont pas blancs non plus. En réalité, ils sont translucides. C’est la décomposition de la lumière du soleil qui renvoie cette teinte claire en les traversant. Entre le jaunâtre et le crème.
Au Groenland, aucun prévenu ne restait plus de douze heures consécutives en cellule. Pour ce peuple de chasseurs nomades, la privation de liberté s’apparente à la mort. Par le passé, un nombre important de détenus s’étaient suicidés, d’autres s’étaient simplement laissés mourir de faim ou avaient dépéri de tristesse. C’est pourquoi on n’astreignait désormais les gardés à vue, comme les condamnés, à ne passer que leurs nuits en prison. Le jour, ils étaient libres de circuler comme bon leur semblait, avant de pointer de nouveau le soir suivant, au plus tard à vingt et une heures trente. Certains d’entre eux poursuivaient même une activité professionnelle et une vie familiale parfaitement normales ; rien ne les distinguait en apparence des citoyens ordinaires.
Le plus déstabilisant pour un flic comme Qaanaaq, c’était d’avoir à appréhender un nouveau territoire. Essentiel, pour un flic, son territoire. Il faut l’apprivoiser, le quadriller, le humer jour après jour. Mais aussi y laisser son empreinte, le baliser d’indics et de repères bien à soi.
[...] on ne négocie pas avec la faim d’un animal sauvage. On se soumet – ou on détale.
(…) on est toujours l'animal exotique d'un autre.
Même informel, même amorcé en douceur, un interrogatoire devait être un choc.
Une porte qu’on force pour se servir à l’intérieur.
– Le foie est l’organe où se concentrent les vitamines. Les chasseurs pensent que c’est là que résident toutes les facultés physiques et spirituelles d’un animal, du moins d’un point de vue symbolique. C’est pour ça que la première chose qu’ils mangent, quand ils viennent de tuer un phoque…
– … c’est son foie, OK, le coupe Qaanaaq.
[...]
– Et le foie des ours alors, ils le mangent aussi ?
– Non, surtout pas ! C’est le seul auquel on ne doit pas toucher.
– Pourquoi ?
– Il est trop chargé en vitamine A. Un homme pourrait faire une overdose. En mourir.
Bon à savoir ?
Pouvait-on tuer pour vingt-sept mille dollars ?
Oui. L’expérience lui avait appris qu’on tue parfois pour un seul et misérable cent. Ou même pour rien. Sauf que tuer ses débiteurs n’a jamais enrichi le moindre créancier.
[...] les phoques groenlandais ont un métabolisme qui leur permet de résister aux très basses températures. Dès qu’il se met à faire vraiment trop froid, le sang contenu dans leurs membres reflue vers le tronc, et plonge leurs nageoires dans une sorte d’état d’hibernation. Comme ça, les fonctions vitales de leur corps sont préservées, et leurs membres tournent en quelque sorte « à l’économie ».
– Monsieur Adriensen, savez-vous quelle pression la gueule d’un ours polaire peut exercer ?
– Non, admit Qaanaaq à regret, agacé d’avance par la leçon de choses annoncée du zoologiste.
– Huit cents kilogrammes par centimètre carré. C’est la deuxième mâchoire la plus puissante du règne animal terrestre, derrière celle du crocodile. Cinq fois plus forte que celle d’un pitbull. Elle est capable d’arracher n’importe quel membre humain d’un seul coup.
La colère, c’est comme un grain : ça pleut fort et puis ça passe. Il faut surtout veiller à ne rien dire qui puisse relancer la machine.
La matière criminelle n’échappe pas aux lois de la nature : rien ne naît de manière spontanée. Les drames d’aujourd’hui ne sont jamais que les malheurs d’hier, que le temps a transformés.
Les Inuits ne croient pas en un dieu, monsieur Adriensen. Ils croient en l'unité des hommes et de la nature qui les entoure. En leur symbiose.
Le traître s’attend toujours à être trahi. Mais sa parano suffit rarement à déterminer quand, et par qui. Le traître n’est qu’une boussole affolée par des magnétismes qui la dépassent.
- C'est quoi , l'ukiaq" ?
- " Le jeune hiver", la première saison réellement froide des dix saisons inuites.
- " Winter is coming", quoi, sourit le Danois.
Quand les principaux concernés se mêlent de l’enquête, ça tourne rarement à leur avantage. Foi de criminologue. Dans environ cinquante pour cent des cas, cet empressement à rendre service trahit même un lien direct avec le coupable, quand il ne s’agit pas du coupable lui-même. Comme dans un bon vieil Agatha Christie.
Comme toutes les occasionnelles, étudiantes, chômeuses ou femmes au foyer fauchées, elle se persuadait que sa descente aux enfers n'était que temporaire. Juste le temps d'empocher quelques billets. Refusant d'admettre que ce n'est jamais le damné qui décide de sa rédemption.
Ainsi le voulait la législation groenlandaise : cent pour cent du sol appartenait à l’État. Un propriétaire ne possédait que la jouissance de son logis, jamais le sol sur lequel il l’avait fait édifier. De fait, lorsque quelqu’un quittait sa maison et qu’il ne trouvait pas repreneur, il perdait tout. Et n’avait d’autre choix que de livrer son ancien toit aux pillards.
" Trop boire nuit à l'esprit, trop manger ruine la santé."
Pour ce qu'il en savait, la délinquance de rue était quasiment inexistante au Groenland. L'île, encore intégrée au Danemark sur la scène internationale, affichait en la matière les meilleures statistiques de toute l'Union Européenne. A part peut-être au Vatican, on n'était nulle part plus en sécurité que dans les rues de Nuuk.