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Citation de Charybde2


Elle me dit : tu es sûr que tu ne l’arranges pas, ce rêve ? Les rêves, c’est confus, ça ne se déroule pas comme une séquence de cinéma. C’est parce que c’est un rêve récurrent, lui dis-je. Et alors ? Alors à la longue il se forme comme une logique.
Nous avions pris l’habitude, Céline et moi, de ces brefs échanges en cours de journée, par fax ou courrier électronique, à l’époque où nous travaillions dans des bureaux, chacun à un bout de la ville. Quand nous nous sommes installés à Saint-Julien et que nous avons pu faire le plus gros de notre travail sans bouger de chez nous, nous avons continué à nous laisser des messages sur nos ordinateurs respectifs, pour dire certaines choses, d’ordre pratique quelquefois, mais aussi de celles qui demandent quelque distance, un temps de réflexion. Il arrive à Céline d’entrer silencieusement dans la pièce où je me tiens et, par-dessus mon épaule, elle s’amuse à me surprendre par une intervention directe et intempestive sur mon clavier.
Le rêve dont elle parle a pour décor la plage de Maguelone, non pas telle qu’elle est aujourd’hui et que nous l’avons vue tout cet été, parcourue et salie par les foules vacancières, mais déserte aussi loin que porte le regard, vierge de toute présence. Peut-être n’est-ce pas véritablement un rêve, d’ailleurs, car je ne le fais pas au profond du sommeil, plutôt dans une sorte d’entre-deux de la nuit où je serais comme en suspension, les yeux fermés. Il suffit que j’attende : à l’intérieur de mes paupières apparaît cette courbe parfaite que déploie le littoral jusqu’à l’horizon où il se confond avec la mer. La cathédrale, isolée sur la lagune, est derrière mon dos ; je la vois pourtant, sans doute parce que dans mon rêve elle n’appartient pas tout à fait au même espace que le paysage autour d’elle : les étangs salés, les langues de terre caillouteuse piquées de buissons épineux, et quelques mauvais carrés de vigne, quelques bosquets de pins et d’acacias. Elle est là depuis presque mille ans, « la seconde après Rome ».
Quelle raison peut faire qu’il n’y ait pas une voile sur la mer, pas la moindre barque ? Personne nulle part ? Pas un pêcheur sur le bord des étangs où tant de fois nous les avons vus lancer leurs lignes ? Le jeune garçon qui, de la passerelle, plongeait son carrelet dans les eaux du canal, les enfants avec leur sac de plage, disparus ? Et le manchot qui manœuvrait la gabarre d’une rive à l’autre avec son bras unique ?
Pas une âme. Et pas davantage de passerelle ni de gabare. Étrangement aussi, je ne gouverne pas mes yeux ; ils se posent là où le veut une puissance inconnue, n’obéissant pas à mon désir de contempler jusqu’à l’assouvissement le Christ sculpté au tympan du portail dont la bénédiction demeure levée sur ma tête, même quand mes regards sont tournés d’un autre côté, vers les étangs ou la grande allée de pins qui mène à la mer.
Cette allée de pins, souffle Céline dans mon cou, elle n’existe pas. Non. Tu l’inventes. Le manchot aussi ; qu’est-ce que c’est que cette gabarre qui traverse le canal ? Je vois bien la passerelle, rien d’autre. Des pêcheurs, ça oui. Et qu’est-ce que tu as dit encore ? Un garçon avec un carrrelet ? C’est quoi au juste, un carrelet ? Ah oui. Peut-être qu’on a vu ça en effet.
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