La contre-culture qu'ils construisent se déploie en deux volets. D'un côté la contestation des valeurs politiques, sociales et littéraires imposées par la période "révisionniste" qui va des années 1960 à la perestroïka, suivie par l'extase ultralibérale qui sévit jusqu'à ce jour sous l'étiquette de "postmodernisme". Le combat consiste à réhabiliter des hommes et des œuvres marginalisés ou même foulés aux pieds pendant ces longues années.
De l'autre, l'authenticité, l'impertinence parfois déroutante, le ton volontairement décalé baptisé parfois "style patsane", la créativité impétueuse d'une dizaine d'écrivains prêts à casser la baraque de l'establishment littéraire.
Vingt-cinq ans ont passé et la Russie demeure pour l'Occident aussi énigmatique. A croire que le visage impénétrable de son président, tout à la fois patriote autoproclamé et liquidateur de l'Etat social, autocrate brutal et imprécateur du stalinisme, promoteur de l'ultralibéralisme et chantre des valeurs collectivistes, est le masque du pays tout entier, indéchiffrable et menaçant.
Il apparait clairement que les écrivains de la mouvance natsbol sont admirés pour leur courage, leur intégrité et leur morale de l’engagement. Ils se sont taillés une place enviée dans le paysage culturel russe par leur refus intransigeant des valeurs libérales qui ont contaminé la bourgeoisie urbaine. Ironie de l’histoire, c’est ce même Limonov que Soljenitsyne traite naguère « d’insecte pornographique », qui jouit aujourd’hui d’un prestige moral comparable au sien.
Aujourd’hui, plus que jamais, la question de la langue russe revêt une dimension violemment politique : elle est le point de coalescence de la revendication identitaire non plus comme russe, au sens ethnique, mais comme russophone, au sens de citoyen de l’empire. A elle seule, cette nuance suffit à expliquer pourquoi les natsbols répudient toute accusation de racisme ethnique.
La tentative de confiscation par le camp pro-américain de la victoire historique de l’URSS sur le nazisme en 1945, au prétexte que Staline est aussi criminel qu’Hitler, comme l’assigne la théorie totalitarienne, n’échappe pas aux jeunes gens en colère des années 2010 ; ils exigent qu’on rende justice à leurs pères et aux vingt millions de victimes du nazisme, refusant d’interpréter unilatéralement le stalinisme comme une dérive tragique de l’histoire.
La galaxie natsbol coudoie donc des idéologies souvent contradictoires, enracinées dans un passé plus ou moins lointain, plus ou moins fantasmé. L’imprécision des concepts qu’ils manient et leur indétermination historique peuvent laisser réticents. Leur parcours politique, souvent précoce, apparaîtra sinueux.
Non Staline n’appartient pas qu’au passé, assurent-ils en réclamant, par exemple, qu’on rende à Volgograd son nom de Stalingrad.