Mortada Motahari

Ibn Sînâ écrit : « Le gnostique cherche Dieu seul. Il n'est concentré par rien d'autre. A ses yeux, rien n'est plus important et n'a plus de valeur que la gnose. Il adore Dieu parce que l'adoration Lui est due, et parce que c'est un moyen approprié et correct d'exprimer la relation de l'homme à Lui. L'adoration du gnostique est exempte de toute crainte ou d'espoir de récompense. »



Cette formule du génie universel pourrait résumer le court ouvrage (moins d'une centaine de pages) : la gnose ('irfân) est une science au sens le plus noble du terme, celle de la "discrimination" (fûrqan - un nom du Qu'ran - ou vivêka des Indiens, un mot qui se retrouve dans le titre d'un livre majeur du grand maître de la métaphysique indienne, Adi Shankara), c'est-à-dire qu'elle abolit la consistance ontologique du monde phénoménal pour ne laisser place qu'à la suprématie essentielle de l'Existence divine ; c'est une ascèse de l'esprit, un redressement de l'âme et une domination du corps (et qui dit domination ne dit pas fuite, car le monachisme est interdit en Islam) qui a pour but de briser les assises de notre moi et ne proclamer que Son Existence, car, "...tout est voué à périr, excepté la Face du Seigneur" (Qur'an 28:88).



L'esquisse historique aussi est riche, en dépliant l'évolution chronologique du mouvement gnostique en Islam (et la différence avec l’ascèse pure - zûhd - ou le tassawûf naissant qui était plus "pratique" que "intellectuel"), en présentant quelques grandes figures du courant et surtout en montant que à partir du dixième siècle de l'Hégire (plus ou moins nos seizième et dix-septième siècles), la gnose a été déliée à la réalité confrérique (tarîqa ; pl. tûrûq), ce qui est d'autant plus d'actualité qu'un spécialiste comme Eric Geoffroy parle d'un "soufisme post-confrérique", et que beaucoup de penseurs (Mûlla Sadra, ...) ont montré qu'il existait un espace d'expression pour la sève gnostique en dehors des cadres "formels" des tûrûq.