Quand j'avais découvert le titre il y a 10 ans, je l'avais trouvé beaucoup trop dur pour moi et je n'avais pas du tout accroché. Mais toujours avec les offres gratuites de Kazé pendant le confinement j'ai eu envie de lui redonner sa chance, tellement il y avait de lecteurs amateurs de cette histoire autour de moi, et ce fut une riche idée.
Ikigami : Préavis de mort est à l'origine un seinen en 10 tomes écrit par Motorô Mase, que l'on connait aussi pour Heads et Démokratía deux thrillers très différents mais aux ambiances étranges et dans lesquels on retrouve le goût de l'auteur pour l'anticipation.
Ici, il a imaginé un univers dystopique dans lequel le gouvernement japonais a imaginé un système de contrôle de la population assez ignoble. En effet, il implante dans certaines personnes, dès l'enfance, une micro-capsule qui les fera mourir entre 18 et 24 ans sans qu'ils le sachent. La peur de cette mort annoncée pousserait alors la population à travailler plus et à commettre moins d'actes criminels. Le héros, Fujimoto, est un des fonctionnaires dont le rôle est, 24 h avant, d'annoncer à ces personnes qu'ils vont mourir. Avec lui, nous allons suivre leurs derniers instants.
J'ai d'abord trouvé l'univers imaginé assez fou. C'est impressionnant pour un auteur d'avoir une telle idée de coercition pour le futur de son pays et en même temps, c'est malheureusement crédible, ce qui en dit long sur la société dans laquelle on vit. On est ainsi dans la plus pure science-fiction d'anticipation à la Orwell, Bradbury ou K. Dick.
Pour raconter cela, Motorô Mase a imaginé un héros assez froid qui cache ses tendances de rebelle, à nouveau je me suis parfaitement retrouvé dans l'ambiance des oeuvres des auteurs précités avec lui. Fujimoto perçoit l'injustice et l'horreur de ce système mais il en est lui aussi victime et ne peut en sortir pour le moment, donc il s'y plie. On le suit ainsi lors de ses formations, où on apprend comment cela fonctionne, puis lors des annonces qu'il doit faire, où l'on voit la variété des cas possibles. C'est assez terrible, ça fait froid dans le dos tant c'est réaliste.
Mais le plus intéressant vient des cas dont on va être témoin, car l'auteur prend soin de choisir des personnalités très différentes dans les futures victimes de ce système afin d'en profiter pour dénoncer d'autres méfaits de la société actuelle. Dans ce premier tome, nous suivons tour à tour une victime de harcèlement et violences scolaires, puis un chanteur voulant percer dans le showbiz.
Le premier est probablement celui qui me marquera le plus. On suit avec lui la lente descente en enfer d'une victime qui a survécu jusqu'à présent à tout ce qu'il a subi mais qui n'a plus rien à perdre et peut se venger désormais. Son chemin de croix est terrible. Il appuie là où ça fait mal, mettant en lumière la cruauté de ses congénères, l'aveuglement volontaire des adultes qui ont fermé les yeux, et la perte d'espoir de sa part de trouver de l'aide ailleurs. Heureusement, l'auteur n'est pas là que pour nous délivrer un message sombre et la fin donnera une lueur d'espoir.
Sur le même modèle, dans la seconde histoire, le mangaka dénonce la façon dont le showbiz peut exploiter les petits jeunes voulant naïvement percer, les utilisant jusqu'à la corde sans la moindre considération pour leurs aspirations premières. Mais cette histoire-là est moins percutante déjà. Elle est plus tendre car elle parle aussi d'une amitié brisée et d'une quête de rédemption dans les derniers instants de la vie de cet homme en sursit. C'est touchant.
J'imagine que les prochains tomes navigueront aussi sur ce difficile équilibre, penchant un coup vers la dénonciation d'un des méfaits de notre société, et un coup vers un message plus émouvant où l'on pointe une lueur d'espoir afin que cela ne soit pas trop sombre. D'ailleurs les dessins sont également sur cette ligne-là. Il n'y a rien de trop sombre, de trop glauque de montré. L'auteur sait quand s'arrêter et préfère suggérer l'horreur que de l'afficher pleinement, c'est parfait pour mon coeur sensible. Cependant, je trouve son dessin un peu froid, il fait partie de cette veine d'auteur de seinen dont je trouve le graphisme un peu trop rigide.
Ma relecture d'Ikigami : Préavis de mort fut une bonne surprise. Je ne sais pas si l'absence de fil conducteur se poursuivra et me gênera par la suite. Ici, j'ai été embarquée par la découverte de ce terrible univers et les premières histoires de condamnés à mort que j'ai croisées. Je trouve que l'intrigue est bien menée et que les thèmes sont bien portés. Affaire à suivre.
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