Murray Bookchin pour une écologie sociale et radicale de
Murray Bookchin
Bookchin imagine la création d’un mouvement partant de la base, de l’échelon local, et qui s’organiserait pour diffuser ces idées et les réaliser concrètement. Une fois les assemblées mises en place, celles-ci devraient se fédérer entre elles et chercher à étendre de plus en plus leur champ de compétence politique, c’est-à-dire leur pouvoir de décision. Cette lutte passerait autant par une participation aux élections municipales – comme outil de propagande et comme soutien institutionnel aux assemblées populaires – que par la contestation du pouvoir existant que représente la mairie. La difficulté serait de garder cette ligne radicale de transformation de la société et d’ancrage local face au désir d’efficacité et à la volonté d’obtenir rapidement des résultats. À ce titre, Bookchin n’a pas manqué de dénoncer en politique la «déradicalisation» des «partis verts», leurs incohérences et leurs compromis (exaltant par exemple l’horizontalité, la démocratie de la base et même la décroissance, tout en affichant des ambitions aux élections nationales). Ainsi, par leur stratégie électoraliste représentative, ces politiciens «?alternatifs?» ne font que déposséder les citoyens de tout élan et de toute initiative pour agir.
Pour Bookchin, il est clair que le champ du politique doit plutôt devenir l’émanation du champ social, son expression directe. Il l’englobe et, en même temps, s’y enchâsse, et s’en nourrit. Ainsi, doter les activités sociales alternatives – mais aussi les luttes – d’une traduction politique immédiate et cohérente permettrait non seulement à celles-ci d’exister mais aussi, peu à peu, de s’institutionnaliser, de dépasser la marge pour rivaliser avec le modèle dominant, tout en leur conférant un sens, une force et une portée significatives. En rupture profonde vis-à-vis de toutes les formes de domination – que ce soit celles de la marchandise, de la valeur, de l’argent, du marché, de la concurrence, de l’État-nation, mais aussi celles du patriarcat et des fétichismes multiples –, elles deviendraient difficilement récupérables.
Tout aussi important est le rôle dévolu à la culture. Riche en éléments positifs, liée à des pratiques d’échange, de création, d’entraide au sein des sociétés et avec la nature, celle-ci peut contribuer au renversement de la vision pessimiste et au ré-enchantement du monde. Elle permet de renouer avec la confiance dans un destin collectif en faisant entrevoir un monde nouveau, plus vrai, en syntonie avec la nature. La conjonction de ces éléments devrait ouvrir à la création d’un authentique mouvement de contre-pouvoir (ou «?contre société?») s’érigeant face au pouvoir dominant. Cet agir collectif, ce nouveau pouvoir, à la fois partagé et conçu pour le partage, fort de sa raison, de son éthique, apparenté à la démocratie directe, fonctionnant au plus près des aspirations réelles de chacun et permettant à chacun de les réaliser, phagocyterait progressivement le pouvoir représentatif, en le privant peu à peu de toute légitimité. La propriété collective née des réalisations autogérées se transformerait en propriété communale socialisée.
Cela, bien sûr, ne se fera pas sans susciter l’opposition des tenants du capitalisme et de l’État. Il faudrait alors, nous dit Bookchin, beaucoup d’imagination, de force de conviction, de perspicacité et de persuasion pour garder le cap de la société nouvelle sans tomber dans le piège de l’affrontement violent, domaine dans lequel le projet naissant ne pourrait rivaliser. Mais cette opposition constructive est somme toute préférable à la certitude de devoir continuer à subir passivement l’extrémisme destructeur du capitalisme et de son économie de croissance.
+ Lire la suite