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Citation de Cielvariable


J'avais loué une maison à Dawson, au pied du Midnight Dome. Par la fenêtre de la cuisine, on voyait le fl euve Yukon et la falaise, de l'autre côté. Le village se déployait au premier plan, avec ses édifi ces colorés et bordés d'arbres minces, givrés en hiver. C'était une grande maison, selon les critères de Dawson. Au Québec, on aurait dit un chalet. Maureen, la propriétaire, l'avait construite de ses mains et répétait à qui voulait l'entendre qu'elle avait pelé elle-même chacun des troncs avant de les assembler pièce sur pièce. À la fi n janvier, quand le soleil recommençait sa tournée, il se couchait de biais, presque au sud. Ses rayons s'engouffraient alors par les fenêtres, inondant le salon de rose, de mauve et d'orangé. C'était du moins ce que prétendait l'annonce que j'avais trouvée sur internet.
À ceux qui me posaient la question, je répondais que je louais la maison. En vérité, on me la prêtait en échange de menus services. Maureen possédait un appartement au Mexique. Depuis sa retraite de l'enseignement, elle y passait un mois par année. L'hiver, de préférence. Pendant ce qu'elle appelait ses « vacances », elle offrait sa maison de Dawson à quiconque s'engageait à nourrir le poêle à bois, histoire de préserver les tuyaux du gel. L'occupant devait également prendre soin d'un chien et d'un chat. Rien de bien compliqué, m'étais-je dit en sautant sur l'occasion.
Je suis écrivain. Écrivaine, plutôt. En 2009, après six mois de congés sabbatiques à réfl échir devant un écran blanc, j'étais une écrivaine qui ne savait toujours pas sur quoi son prochain roman allait porter.

Je me trouvais en transit à Whitehorse ce jour-là. Mon avion avait atterri la veille au soir, et j'attendais de prendre un vol vers Dawson City le lendemain.
Nous étions en janvier. Les touristes qui envahissaient le Yukon de la fi n mai à la fi n août avaient depuis longtemps abandonné le territoire aux Yukonnais. Pour passer le temps, j'avais trouvé refuge au Baked Café, à l'intersection de la Main et de la 1re Avenue, c'est-à-dire à une dizaine de mètres seulement du fl euve, donc exposé aux intempéries. M'y rendre avait été périlleux à cause de l'obscurité qui s'éternisait, mais aussi parce que la neige tombait en abondance et que le vent du nord se montrait harassant. À l'intérieur cependant, l'air surchauffé avait un parfum de cannelle que j'ai trouvé revigorant.
Dès mon arrivée, l'aspect familier des lieux avait fait naître un sourire sur mes lèvres. Un éclairage cru, des murs peints orange brûlé, une déco éclectique, mélange de boiseries traditionnelles et d'oeuvres d'art contemporain. Avec la musique d'Amy Winehouse qui planait en sourdine, on oubliait qu'on se trouvait au Yukon pour s'imaginer quelque part sur le Plateau Mont-Royal ou dans le chic quartier Montcalm à Québec. Il s'agissait de toute évidence d'un lieu branché, mais, si tôt le matin un jour de tempête, l'endroit était désert, mis à part un jeune homme penché sur son ordinateur.
J'ai boudé les fauteuils pour m'asseoir sur une chaise droite et poser mon propre ordinateur sur la table adjacente. De là, mon bol de café dans les mains, je n'avais qu'à lever les yeux pour admirer, à travers l'immense mur vitré, le jour qui gagnait enfi n sur la nuit. Il était passé 10 heures.
C'est en reportant mon attention sur l'intérieur du café que j'ai aperçu l'affi che fi xée au-dessus de la porte. Il s'agissait d'une photographie laminée d'un vieil édifi ce de trois étages recouvert de déclin rose. Les mots « Westminster Hotel, est. 1898 » peints sur la façade contribuaient à lui donner un petit air western qui rappelait l'époque des chercheurs d'or. Voilà qui me ramenait malgré moi à mon travail. J'ai effl euré le clavier de mon ordinateur pour le sortir de son état de veille et j'ai ouvert le dossier ROMAN auquel je n'avais pas touché depuis quelques jours. Puisque j'étais au Yukon pour écrire, aussi bien m'y mettre !
Ce n'était pas par hasard si j'avais proposé mes services pour garder la maison de Maureen. Après tout, il y a plus exotique pour une Québécoise qu'un hiver dans le Grand Nord. La vérité, c'est que j'espérais trouver l'inspiration à Dawson City. Une partie du village avait été restaurée, et j'étais persuadée qu'on y sentait encore l'esprit de la ruée vers l'or. Si c'était le cas, je me disais que j'arriverais peut-être à raconter dans un roman les diffi cultés qui avaient jonché la route des prospecteurs cent ans plus tôt.
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