Combien il est difficile de considérer comme un proche celui que nous sentons ou voyons différent, que sa différence soit de couleur, de vieillesse, de maladie, de malformation, de manque de parole ou de silence ! Et comme il est difficile pour celui qui se sent autre de nous rejoindre ! (p.145)
Celui qui vit seul, ou celui qui se sent seul ou se veut seul même au milieu des autres, bien souvent ,écrit son journal, entretient une correspondance avec ses amis. Il écrit pour s’écrire à lui-même, pour s’exprimer et se lire ou s’entendre penser et ressentir, puisqu’il ne peut pas toujours le faire au fil des jours pour un proche qui n’est pas là ou qui n’existe pas. (…)
Mais, nous l’avons vu, celui qui vit seul court le risque incessant de s’enfermer ou de se noyer dans un activisme menteur. Comme celui qui est en lien nécessaire avec les autres risque d’oublier la richesse de l’indispensable et réelle expérience de la solitude . (p. 123)
Vivre seul signifie-t-il que l'on est seul ? Vivre seul ne permettait-il pas d'approfondir des liens que parfois celui qui vit en couple, en famille ou en petite communauté risque d'oublier ou de négliger ? (p. 120)
Le drame apparaît plutôt avec l'absence d'amour. Si je n'aime rien ni personne, si nul ne me semble digne d'amour, alors je suis voué à la mauvaise solitude. (p. 181)
Si la paix s'installe un jour, elle ne pourra être authentique que si chaque individu fait d'abord la paix en soi-même (...)
après la guerre nous aurons à construire un monde entièrement nouveau et, à chaque nouvelle cruauté, nous devrons opposer un petit supplément d'amour et de bonté à conquérir sur nous-mêmes.
Etty HILLESUM, une vie bouleversée - Journal 1941-1943
Enraciné dans sa ville, étroitement lié à sa famille, apprécié par ses amis, inscrit dans la communauté juive à laquelle il appartient, Franz Kafka n'en est pas moins un solitaire. Un solitaire heureusement plein d'humour, mais sans cesse confronté à de douloureux paradoxes: il est juif et cette appartenance fait en même temps de lui un exclu, un étranger. Il a une famille mais cette famille lui pèse et le culpabilise comme lui pèse et le culpabilise son sentiment d'exclusion. (p. 115)
Chaque fois qu'il [Kafka ] tente un projet de mariage, il recule, affolé- qu'il s'agisse de Milena ou, plus tard, de Felice. Il est convaincu que seule la solitude lui convient : "Il me faut beaucoup de solitude; ce que j'ai accompli n'est qu'un succès de la solitude. je hais tout ce qui ne concerne pas la littérature. " (p. 117)
J'étais dans une jolie prairie : des herbes longues, bien vertes, soyeuses, en pente douce.
Je ne sais pas bien comment la pente est devenue très raide. Les herbes étaient glissantes. Le ciel s'est couvert de nuages.
J'ai continué à descendre. La pente est devenue de plus en plus raide, l'herbe de plus en plus gluante. Je voyais que je ne pouvais plus m'arrêter. En bas c'était tout noir, un torrent d'eau noire.
Pas moyen de m'arrêter. C'était irrésistible. Une impression terrible.
Et puis ça s'est arrêté. Juste au-dessus de l'eau il y avait un petit espace plat.
Je crois que je m'y suis laissé tomber. J'étais là avec au-dessus de moi la grande pente glissante et en-dessous toute cette eau , pas un torrent, un puits noir.
Je me suis réveillé. Je me suis dit : comment faire quand on est dans un endroit pareil ? Quand on en est là.
Et maintenant que je vous le dis je pense que c'est la même question que je me pose dans ma vie. Tout m'échappe, tout est sombre. Y a pas d'issue... du moins je n'en vois pas. Comment faire quand on en est là ?
L'enfant qui comme Aline, tient à tout prix à attirer l'attention des autres est bien, lui aussi de la même famille. Mais il est le cousin joyeux de notre dramatique destructeur. Se croyant peu ou mal aimé, sans intérêt pour les autres, principalement pour les adultes, et ce, pour mille raisons dont les unes ont une valeur objective, et d'autres sont partiellement le fruit de son imagination, il cherche à tous prix à attirer l'attention.
Tout une gamme de comportement est à sa disposition depuis la plus naïve pitrerie jusqu'à la vraie bêtise. Chaque fois, cet enfant nous dit : "Suis-je assez intéressant pour que tu me regardes? m'aimes-tu un peu, beaucoup, passionnément, à la folie...?
M'aimes-tu?
C'est la même question fondamentale de l'enfant qui se détruit lui-même systématiquement. M'aimes-tu, même si je te révèle que je ne vaux rien, même si je te montre que je me suis moqué de toi, de moi, dans mon travail?
M'aimes-tu, même si moi je suis sûr que je ne vaux rien, rien du tout tellement rien que je me punis d'être aussi mauvais?
C’est en créant une véritable rencontre avec soi dans la solitude que l’on développe sa capacité à développer des relations authentiques